Une noirceur insoupçonnée
Le monde ésotérique et ses démons est un point à prendre absolument en compte dans la lecture d’une série des CLAMP, et plus encore avec XXX Holic. Les auteurs mettent en relation les esprits malfaisants contre les apparitions bienfaisantes. Un renard vendeur ambulant, un réparateur de pipe, autant d’objets de la mythologie propre au manga qui bonifient la lecture. De plus, le quatuor fait sans arrêt référence à des fêtes, des traditions, des dates qui existent dans le folklore japonais. Les esprits que voit Watanuki le sont également puisque, si notre traduction leur donne une connotation mystique et malfaisante, au Japon un esprit est d’avantage un « kami », qui peut ou ne pas être mauvais. Ils existent en toutes choses, et pas seulement au travers d’une personne décédée. Les plantes ou les animaux notamment et on a comme exemple la fée de la pluie ou la veuve noire. Le pouvoir est également un point primordial dans l’univers de la série. Pour reprendre un adage bien connu, « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », et c’est un peu le mot d’ordre de Yuko. Elle estime avoir beaucoup de précautions à prendre et de comptes à rendre de part son statut de magicienne, et elle dépend énormément des autres, des conditions météorologiques, des périodes de l’année ... Cela s’étend à tous, puisqu’un pouvoir n’est pas à prendre à la légère et c’est aussi ce que la jeune femme cherche à faire passer à son petit protégé qui, de par sa vision surnaturelle, a une sorte de pouvoir bien spécifique ... Et là encore, le pouvoir peut être contré. Par exemple, un nom, un prénom et une date de naissance suffisent à pouvoir contrôler quelqu’un. C’est une idée récurrente chez les mangakas (Tokyo Babylon, X1999) et qui met en avant la faille de l’identité, l’ascendant que l’on a sur quelqu’un que l’on connait de très près. Elles ne cessent, par ailleurs, pas de jongler entre différentes religions, types de magie, esprits inventés ou issus d’une mythologie existante ...
Avec l’univers empli de magie, de mysticisme et de volupté on fait rapidement le rapprochement avec Tokyo Babylon, un peu dans le même esprit. Entre le sérieux des désirs des personnes esseulées et perdues dans une vie trop complexe, dans un Tokyo qui guide leur destinée, et l’humour des personnages, on retrouve ce cocktail qui fonctionne bien. Des personnages mystérieux dissimulant des secrets, différentes petites histoires autour des clients de Yûko traitant chacune d’un problème de société … On retrouve aussi les grands thèmes des CLAMP : la destinée, l’occulte qui guide chacun de nos pas, l’inéluctable et la joie de vivre les instants présents. Dommage que pour l’instant tout cela nous soit balancés en pleine figure sans aucune explication, rendant un peu lourds certains passages qui imposent d’entrée de jeu des destins difficiles et des souffrances importantes ... en laissant les personnages principaux au second plan. Cet aspect sombre et mystérieux qui lui est rendu contraste merveilleusement avec les doses incessantes d’humour et de SD qui peuplent l’intérieur, déstabilisant un peu le lecteur. Peut être trop, tant il est parfois difficile de savoir s’il faut prendre la narration au sérieux ou pas ... et on se sent parfois un peu perdu. L’ambiance générale est tout à fait réussie, à la fois sombre et oppressante. Les graphismes jouent beaucoup, avec un style noircit volontairement par Mokona Apapa. Les vêtements sont sombres, les lieux souvent épurés voire abandonnés, il n’y a jamais ou presque de décor « humain » avec des figurants. De plus, des motifs alambiqués et mystérieux, noirs, s’invitent tout le long de la série tout comme la fumée, qui est un élément primordial pour rendre compte de l’ambiance du manga. En effet, les mangakas s’en servent pour les sorts, les esprits, les objets étranges, l’inconnu ... Enfin, il faut rappeler que le monde dans lequel évolue Watanuki est profondément traumatisant, rempli de fantômes, de malédictions, d’esprits malfaisants et autres choses du même genre. Esprits morts, lutte contre les fantômes, protection des innocents ... tout cela en évitant qu’il ne lui arrive malheur !
On peut prendre comme exemple le souhait d’une femme de se débarrasser d’une photo qui s’anime sous ses yeux, la mettant en scène dans une situation qui l’effraie et l’empêche de continuer sereinement à vivre. Mais le prix à payer sera-t-il plus aisé que le poids de continuer avec l’image ? C’est à la personne qui fait le vœu seulement de décider de ce qu’elle y gagne, ce qu’elle y perd, de peser les bénéfices et les conséquences. Sauf qu’un vœu est trop souvent pris à la légère, et c’est ici ce que nous enseigne sans difficulté Yuko. Et cela nous amène rapidement à nous questionner sur un autre élément important et toujours révélateur en émotion : le vœu de Yuko. Celle qui en réalise tant aurait-elle un vœu trop fou pour être réalisé ? Qu’en est-il de cette femme qui s’ouvre si peu, en sait autant et se tait ou parle en énigmes étranges ? C’est un point de vue passionnant, d’autant que Watakuni le met en relief avec brio dans un registre mélancolique, plein de regrets et d’empathie, ce qui le caractérise bien. Un autre instant tout aussi poignant : le client très inhabituel et fragile que reçoit un jour la boutique, un enfant qui n’a jamais vu le jour. La révélation nous est très touchante tant cette idée est amenée simplement, sans drame ni larmes. C’est la nostalgie et le regard apaisé du maitre des lieux qui nous suffisent pour éprouver de l’empathie envers ce qui nous semble être, à nous pauvres béotiens, une écharpe de fumée. Un très bon moment, donc, qui de plus pose des bases importantes à l’histoire : le temps qui passe, immuable pour certains, le rôle des amitiés et le poids qui pèse sur des épaules fragiles, en plus d’une attente constante doublée d’un fol espoir.
Kohané s’avère être également un personnage très intéressant, de par son ambivalence, sa passivité qui lui donne tout son sens et l’importance qu’elle semble devoir développer par la suite. Ainsi, l’histoire de Kohané-chan qui se met doucement en place est plus sombre que tout ce que l’on connaissait sur XXX Holic, apportant énormément d’émotions où elle-même n’en a aucune, offrant un délicieux contraste entre elle et nous. En effet, la série concilie à merveille deux aspects très forts et importants dans le récit. Dans un premier temps, le drame, les notions de destinée et de don accablant à travers Kohané qui véhicule une émotion incroyable et une force tout aussi immense. De l’autre côté, Watakuni qui se bat pour faire quelque chose du rêve qu’il croit être sa vie, soutenus discrètement qu’ils sont tous deux par Yuko. Un grand moment lors de l’ascension de Kohané, qui ne peux plus supporter la haine de sa mère à son égard alors qu’elle tente docilement de lui plaire, et quand Watakuni se montre aussi mature et déterminé, comme jamais auparavant. Himawari a aussi, derrière son sourire, un aspect très sombre qu’il convient de développer. Entre horreur et douceur, les CLAMP nous dévoilent le secret de la jeune fille, de façon un peu maladroite tout de même. En effet, après dix tomes de mystères la simple explication, claire et précise par la principale concernée, c’est un peu brutal. D’autant plus que cette même explication est légèrement tirée par les cheveux, et surtout peu justifiée. On nous apprend qu’elle porte malheur aux gens qui l’entourent et qu’elle ne peut donc plus être à ses côtés, point. Pourquoi, comment, que va-t-il se passer, on s’en fiche. Pas évident de digérer cette révélation indigeste, par contre on apprécie beaucoup la gravité de l’état de Watanuki et les concessions faites pour le sauver, ainsi que les tourments de son esprit lorsqu’il se trouve au bord de la mort. Passer de la joie insouciante à la dure réalité de la vie, c’est la grande qualité de ce titre. On voit rapidement que derrière chaque éclat de beauté il y a un drame, et souvent inversement ...
Mais c’est Watanuki qui reste le personnage le plus chargé en souffrance, et en noirceur camouflée sous une nonchalance adoptée. On se passionne alors pour la peine de Watakuni à ne pas comprendre ce monde étrange qui l’entoure et se manifeste de plus en plus souvent, d’autant que dans plus il s’enfonce dans le rêve plus la réalité l’entourant se déforme ou devient réelle, justement. Son rôle prend d’autant plus d’importance quand il se révèle en fin de série. Peu à peu, aux côtés de Yuko, il finit par apprendre le métier et c’est finalement lui qui se devra de recevoir les clients d’un ton mystérieux, un sourire peu rassurant sur les lèvres ... Son vœu ? Pouvoir réaliser les souhaits profonds de ceux qui viendront à présenter lui rendre visite dans « sa » boutique. La compensation offerte ? Son temps. Il ne peut plus sortir, et doit à présent rester attaché à la boutique sans vieillir, sans en sortir, comme prisonnier de son propre désir et du temps alors que ses amis continuent d’avancer autour de lui. On comprend ce que Yûko a pu ressentir au fil du temps, raison pour laquelle elle ne s’entoura que d’êtres magiques qui ne peuvent disparaitre avant elle.
© Clamp / Kodansha Ltd. / Pika Edition
De erotaku, le 09 Octobre 2013 à 23h38
que dire a part que j'adore cette série
De Cycy la vache de l'espace, le 25 Janvier 2013 à 16h13
Un dossier que l'on peut désormais compléter avec la création d'un drama live dont la diffusion des 8 premiers épisodes commencera en février 2013 au Japon.
De drakang [376 Pts], le 06 Juillet 2012 à 10h33
Très bon dossier et bonne remarque pour la conclusion du fait que la série est liè à Tsubasa Reservoir Chronicle, mais ce n'est pas pour ça que l'on appréciera pas l'histoire de la sèrie sans connaître l'autre !
De NiDNiM [912 Pts], le 30 Mars 2012 à 10h40
Merci encore à tous ! Content de vous avoir fait passer un bon moment.
De Sednareinedeseaux [203 Pts], le 26 Mars 2012 à 07h05
J'ai énormément apprécié la lecture de ce dossier. xxxHolic est l'une de mes séries préférées de CLAMP (partageant le podium avec Trèfle) et du début à la fin, jamais je ne me suis lassée de cet univers enfumé et précieux.
C'est une série à savourer lentement, presque totalement indépendante de Tsubasa RC, dotée d'un dessin qui nous offre de la beauté dans la simplicité. Pas de grandes effusions. Les larmes peuvent vous venir grâce à une simple case, une simple bulle parfois.
Cette série est vraiment un emblème du manga pour moi, et ce dossier parvient à la mettre en valeur sans omettre ses évidentes faiblesses.
Enfin, ce mélange de réussi et de raté, c'est un peu aussi la signature de CLAMP.
Je remercie aussi beaucoup Pika pour l'évident effort mis dans l'édition.
En tout cas, merci beaucoup !
De zyma [567 Pts], le 26 Février 2012 à 17h29
De JohnDoe [598 Pts], le 25 Février 2012 à 13h56
Super dossier, une étude nuancée de cette excellente série, bravo !
De NiDNiM [912 Pts], le 25 Février 2012 à 10h33
Merci à tous pour vos commentaires qui font vraiment plaisir. J'espère avoir donné envie à certains de lire ou relire cette série, en tous les cas c'était réellement le but de ce dossier.
Le Fake > Un remerciement tout particulier pour ces beaux compliments, je suis contente que mon avis sur la fin de la série soit partagée. A la lecture, j'ai d'ailleurs hésité entre différents sentiments et ce n'est qu'en le relisant que l'une des interprétations m'a semblée plus logique que l'autre...
De ikuko [1857 Pts], le 24 Février 2012 à 20h31
De Einah [4313 Pts], le 24 Février 2012 à 18h41
De anoa, le 24 Février 2012 à 17h52
De nekochi [3580 Pts], le 24 Février 2012 à 16h01
Une des oeuvres les plus aboutie des CLAMP
une pure merveille ♥
De LeFake, le 24 Février 2012 à 14h37
Fabuleux... Simplement fabuleux!
Ce dossier relate parfaitement la profondeur de ce manga, en insistant bien sur les relectures pour bien saisir le sens caché et le fait qu'il ne faille pas obligatoirement lire "Tsubasa Reservoir Chronicles".
J'avais déjà énormément apprécié votre analyse du tome 19 car j'en étais arrivé aux mêmes conclusions que vous.
J'espère que ce dossier permettra à d'autres gens d'aller vers la lecture de ce chef d'oeuvre qu'est "XXX Holic".
Merci mille fois pour ce dossier extraordinaire!