Vinland Saga - Partie 2 - La ferme de Ketil - Actualité manga
Dossier manga - Vinland Saga - Partie 2 - La ferme de Ketil
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18.50/20

La consolidation d'une voie


Des références un peu moins nombreuses, des repères historiques certes toujours présents, mais un peu plus discrets, de la violence largement moins visible... L'arc de la ferme de Ketil s'écarte un peu du prologue dans son ambiance et dans ses focus, car l'heure est venue pour Makoto Yukimura de pleinement entrer dans le sujet phare de Vinland Saga, celui qu'il a consciencieusement mis en place pendant 8 volumes : la consolidation de la voie que choisira Thorfinn, celle de la négation de la violence et de la recherche de ce que signifie être un vrai guerrier.


Les résultats de la violence


Cette consolidation passe par des nombreux aspects, à commencer par le rapport de chacun à la violence et à la guerre, et aucun des principaux personnages n'échappe à ce constat.

On peut commencer par Ormar, le plus jeune fils incompétent de Ketil, dénigrant le travail agricole de son père pour vivre ses rêves chimériques de combattant. Mais Ormar est un incapable avec une épée à la main, et a vite fait de s'effrayer face au danger. Immature, il commet nombre de frasques, dont certaines ont des conséquences terribles, et ce n'est que vers la fin de l'arc qu'il ouvre les yeux sur ses erreurs et ses chimères, au cours d'une bataille barbare.
Fils prétentieux de Ketil qui souhaitait devenir un guerrier, il prend conscience de ce qu'il a provoqué. Face à la violence et à la barbarie de l'affrontement, il se montre incapable de tuer et ressent un profond sentiment de culpabilité, remettant en cause tout ce en quoi il croyait. Qu'est-ce que le courage ? Que le véritable honneur des guerriers norrois ? Le renoncement au combat et la fuite sont-ils forcément signes de déshonneur ?

Le résultat de ce climat de violence est encore plus terrible pour Arneis. Belle esclave privée de sa liberté et ayant à plusieurs reprises tout perdu à cause des déferlements de violence et de haine de son entourage, elle n'a plus qu'une solution pour enfin trouver la paix... Et Makoto Yukimura en profite alors pour nous interroger sur la vie et sur pourquoi nous sommes en vie. Quand plus rien de bon ne peut nous arriver, la mort est-elle toujours aussi effrayante ?

Les mercenaires du Serpent, eux, amènent une autre vision de la violence : le meurtre pour vivre, par « métier ». Tuer forge un homme, disent certains mercenaires, et selon eux il existe plein d'humains qu'on peut tuer... Quelle sera la réaction du Serpent face à ça ?

Ketil possède lui aussi un certain intérêt, car s'il est au départ un maître plutôt bon, qui laisse une chance à Thorfinn et Einar de racheter leur liberté à la force de leurs bras et aimerait épargner des enfants qui l'ont volé, il déchante subitement quand il perd la seule chose en laquelle il tenait vraiment, et devient l'élément moteur d'une nouvelle explosion de rage qui lui font commettre l'irréparable. Une fois le calme revenu, il ne pourra que regretter de s'être laissé emporter de la sorte, sa haine signant la disparition de celle qu'il aimait plus que tout.

Einar, de son côté, se pose certes en soutien de Thorfinn, mais reste lui aussi le jouet des malheurs qui s'abattent devant lui. Et quand Ketil commettra l'irréparable, il sera le premier à se laisser aller dans la haine, au risque de poursuivre le cercle sans fin de la vengeance et de la violence... Mais tout comme Thorfinn peut compter sur lui, il pourra lui aussi compter sur Thorfinn, qui sera pour lui une sorte de « voix de la sagesse »...





Gloire aux vaincus


L'exemple de haine n'engendra rien de bon arrive pourtant par l'intermédiaire du personnage phare du volume 12, le dénommé Gardar. Tandis que l'on découvre brièvement le passé douloureux de de cet homme et de son épouse lors d'une guerre en Suède qui a changé dramatiquement leur vie et que Yukimura poursuit ses interrogations sur le rôle de la guerre et sur son lien avec l'esclavagisme, on découvre un homme qui, dans sa soif de vengeance et de retrouver son épouse, commet l'irréparable, ce qui entraînera une nouvelle spirale infernale, parfaite illustration du proverbe « la violence engendre la violence » .

Ce qui se dessine ne rappelle alors que trop la soif de vengeance qui animait Thorfinn autrefois, pour un parallèle évident renforçant l'idée de la vanité de la  vengeance.

Mais Gardar pouvait-il se résigner ? Sa vie complètement brisée en Suède après une défaite, sa mise en esclavage, la perte de sa famille et tout ce qu'il a enduré ont certes amené de nouvelles violences sous sa haine vengeresse... mais aurions-nous réagi autrement à sa place ?

Tout en soulignant bien que cette voie n'est clairement pas la bonne, Yukimura nous laisse comprendre ici que les vaincus, ceux que l'Histoire de retiendra pas, peuvent être tout aussi méritants que les gagnants. Car quand Gardar laisse éclater sa haine, ce n'est pas en tant que combattant assoiffé de sang, mais en tant que père de famille souhaitant retrouver les traces de son passé heureux.

Pendant que nombre de mangas se focalisent sur des combats sacralisant les vainqueurs qui imposent la défaite aux autres, Makoto Yukimura met en lumière ces « autres », les vaincus... L'auteur brise le culte du vainqueur et nous rappelle, le plus humainement du monde, que ce qui fait la vertu d'un homme, ce n'est pas son nombre de victoires et de défaites, mais sa façon de s'en relever, les choix qu'il fait et sa manière de les assumer.

Mais rien de mieux, pour conclure ce passage, que la longue postface de l'auteur dans le tome 12.

« Dans toute la documentation que j’ai épluchée, les Vikings sont décrits comme un peuple qui aimait la liberté et haïssait être dominé. Ils avaient aussi la conviction que la liberté se prenait et se gardait par la force. Il n’y avait pas d’autre moyen pour soumettre un Viking que par la force ou l’argent. « Roi » n’était autre que le nom de celui qui possédait la plus grande puissance. Mais si on suit cette logique, cela sous-entend qu’il est normal que les faibles soient soumis, et qu’il est donc aussi normal qu’on prenne leur liberté. Dans une société où la force fait autorité, il était normal que les humains les plus faibles deviennent esclaves. Les forts n’ont pas à se sentir coupables de vendre ou d’acheter les faibles, de les réduire en esclavage et parfois même de les tuer. Telle était leur culture. Comment pouvaient bien vivre les gens au cœur doux ? Je suis sûr qu’il devait y en avoir, des gens qui détestaient la loi du plus fort et les brutalités envers les faibles. A voir un tel décalage entre la réalité du monde et leurs propres valeurs, ils devaient vraiment souffrir.

Mais ils ne devaient pas pouvoir dire ce qu’ils avaient sur le cœur. Même lorsqu’ils voyaient des esclaves maltraités, ils devaient sûrement les plaindre sans pouvoir ne rien faire pour les aider. Incapable de surfer sur la vague de leur époque, c’étaient naturellement de pauvres inconnus. Non, ils étaient peut-être eux-mêmes esclaves. Seuls les forts laissent leur nom dans l’Histoire et les générations futures n’entendent jamais parler de ces minorités de gens ordinaires. C’est ce qu’il y a d’ennuyeux avec l’Histoire. Moi, j’aimerais pourtant savoir.
 »


Thorfinn, de la vengeance à la renaissance


C'est au fil des événements liés à ces personnages que Thorfinn, quasiment spectateur pendant tout l'arc, se reconstruit peu à peu, par étapes.

Quand Ormar se retrouve embobiné par des mercenaires voulant le pousser à tuer Thorfinn et Einar, cela laisse notre héros indifférent, le jeune homme se montrant prêt à perdre la vie sans émotion particulière. Ainsi, le fait que notre héros n'a désormais plus aucune raison de vivre, qu'il a perdu tout objectif de que sa vengeance a été brisée, se confirme, jusqu'à l'apparition de Serpent, le chef des mercenaires, au contact duquel il dévoile à nouveau une certaine volonté de vivre... mais dans quel but ? A lui, désormais, de découvrir petit à petit comment il pourrait utiliser cette nouvelle petite étincelle d'envie de vivre.

Il découvre le sens du mot "amitié" grâce à Einar et cherche vaguement un nouvel objectif à une vie à laquelle il se raccroche presque contre son gré. Avec Einar à ses côtés, celui qui était autrefois exclusivement nourri par le désir de vengeance s'ouvre au sens du mot "amitié". Un premier pas est franchi dans la reconstruction de notre héros, mais le plus dur reste à faire, et d'autres protagonistes sont là pour lui permettre d'aller dans ce sens. Le vieux maître Sverkel, notamment, affiche lui aussi une certaine bonté envers les deux esclaves tout en leur démontrant la valeur de choses aussi essentielles que le travail de la terre, un travail qui lui aussi aide Thorfinn à se reconstruire.

Si bien que le jeune homme en arrive même à déclarer lui-même que la vengeance ne mène à rien, lui qui y a voué tant d'années de sa vie. Et pourtant, le pas le plus important, Thorfinn doit toujours le franchir lui-même, par ses propres moyens, en combattant les fantômes de son passé qu'il voit en cauchemar, ou en se reposant sur eux.

Finalement, après trois années d'efforts pour transformer une forêt en champs, trois années qui lui ont permis de réfléchir sur sa condition et sur ce que peut être un vrai guerrier, le jeune homme peut enfin  entrevoir le rachat de sa liberté, et commence à afficher des idées intéressantes quant à l'orientation à donner à sa vie.
Depuis qu'il est devenu esclave à la ferme de Ketil aux côtés d'Einar et d'Arneis, Thorfinn a eu tout le temps de remettre en cause ce qu'il a été autrefois, un jeune homme rongé par la violence, aveuglé par la soif de vengeance. Au sein de la ferme, il a découvert une nouvelle vie, éloignée des combats et où le travail de la terre prime, et a désormais fait serment de non-violence, continuant quotidiennement son travail jusqu'au moment où il regagnera sa liberté.

Comme une énième leçon, la quête vengeresse de Gardar, destinée à mal se finir ne rappelle alors que trop la soif de vengeance qui animait Thorfinn autrefois. Toujours rongé par les morts qu'il a sur la conscience, notre héros voit alors son passé le rappeler, la situation lui rappelle ce qu'il a été, et l'heure est venue pour lui de faire un point. Il se remet en cause en se demandant comment il a autrefois pu blesser et tuer tant de gens, ce qui n'avait pour effet que d'encore et toujours attiser les haines. Il se demande comment faire pour faire disparaître les guerres et l'esclavage, en sachant que pour les norrois se battre est naturel tant c'est ancré dans leur culture. Il se questionne quant à la possibilité de fonder un pays réunissant toutes les victimes de la guerre et ceux qui ne souhaitent plus se battre. Un pays qui serait loin, très loin, et qui pourrait être sur une terre dont lui a parlé il y a fort longtemps le fameux Leif...

En somme, l'accumulation de coups durs depuis son enfance l'a définitivement consolidé dans le rêve qui a mûri en lui... et la quête du Vinland est désormais palpable.





Deux voies pour un même objectif


Peut alors, arriver la dernière confrontation de l'arc, au fil de retrouvailles longtemps attendues...

Knut , autrefois jeune homme efféminé et peureux, a laissé place à un monarque froid et autoritaire, qui n'a pas fini d'étonner dans les manigances sans coeur qu'il commet, dans la détermination qu'il montre à vouloir bien régir le royaume, ou dans les faiblesses qu'il montre encore à travers les fantômes de son passé (les apparitions soudaines, glauques et quasi mystiques de la tête de Sven sont joliment orchestrées). Devant consolider son grand royaume et trouver des solutions pour financer ses troupes sans trop mécontenter le peuple, il n'hésite pas même à faire acte de trahison envers certains vieux compagnons de Harald une fois que celui-ci meurt... Clairement, il se fait menaçant, inquiétant dans la voie qu'il a choisie.
Pourtant, il montre des coupures étonnantes avec les pratiques habituelles des guerriers vikings : il interdit à ses combattants le pillage des terres, le viol des femmes... Et s'il n'hésite pas à semer la mort, c'est pour des raisons précises qui se dévoilent peu à peu, et qui rejoignent l'objectif qui naît en Thorfinn au fil de l'arc.  

Et l'heure est donc venue pour Thorfinn de montrer toute la force des nouvelles convictions qu'il a vu mûrir en lui, en allant à la rencontre de celui dont il fut autrefois le garde du corps. Face au dénommé Dorruth "Dompteur d'ours", il lui faudra d'abord passer une épreuve en apparence impossible, et dont le déroulement et l'issue étonneront l'entourage de ceux qui sont habitués à combattre. Car face aux coups, Thorfinn ne répond plus et encaisse. Pourquoi répondrait-il à la violence par la violence, lui qui n'a plus aucun ennemi ?

On cerne alors parfaitement la nouvelle voie prise par notre héros, et tout est alors prêt pour le dialogue avec Knut. Un dialogue riche de sens entre deux hommes ayant finalement le même but, atteindre la paix, mais ayant choisi des voies différentes pour l'atteindre : d'un côté la création d'un paradis en commettant des sacrifices, de l'autre la création d'un paradis en évitant la violence et la mort.


Le véritable guerrier


On entrevoit alors à nouveau l'ombre du véritable guerrier si souvent évoqué dans le prologue. On retrouve enfin en Thorfinn les convictions qui, petit à petit, avaient mûri en son père Thors.

Etre un véritable guerrier, un homme digne, ne signifie certainement pas être celui qui se bat le mieux et va au bout de ses objectifs par la violence. Il est celui qui saura protéger ce en quoi il tient, ce en quoi il croit, en faisant des choix qu'il assumera jusqu'au bout, même si celui-ci réside dans la défaite, dans la fuite... ou dans la non-violence face à la haine. Son voyage vers le Vinland, terre où il pourra créer son paradis et accueillir tous ceux souhaitant éviter la guerre, va alors enfin pouvoir commencer et prendre tout son sens.
  
Si l'on savait déjà Makoto Yukimura anti-violence, il reste admirable dans sa manière d'exprimer presque naïvement, mais avec détails et arguments sa vision d'un pacifisme affirmé.
  
  
  

© Makoto Yukimura / Kodansha Co. Ltd.

Commentaires

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Gaihe

De Gaihe, le 22 Mars 2017 à 22h44

20/20

Magnifique manga ,la progression de l'histoire est pour ma part superbe.Je vous le recommande fortement!

cicipouce

De cicipouce [3179 Pts], le 18 Avril 2015 à 18h49

17/20

Un bon dossier qui donnera surement l'envie de lire a certains ... je l'ai lu avec plaisir !!

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