Un drôle de père - Actualité manga
Dossier manga - Un drôle de père
Lecteurs
20/20

Un air de famille

 
   

Il faut de tout pour faire un monde

    
Aspect universel inaltérable de l'existence, le thème de la famille est évidemment présent dans toutes les œuvres de fiction, qu'elle soit une source de repères, de besoins, de disputes ou d'affection. Et un nombre incalculable de récits ou d'essais se sont prêtés à son étude, à ses codes, à son évolution, avec une multitude d'angles possibles et imaginables. Bien sur, le genre manga n'échappe pas  à cette règle. Akata-Delcourt, l'éditeur d'Un drôle de père en France, s'est même fait une spécialité de la recherche et la publication de titres aux valeurs familiales : la transmission des petites astuces du quotidien d'Une Sacrée Mamie; les rapports houleux avec Mon Vieux; les recherches identitaires sur nos (grand-)pères avec La Colline aux Coquelicots ou Zéro pour l'Eternité; ou encore l'affirmation de soi par l'éducation des enfants dans Love so Life, parmi tant d'autres.
  
Le thème de la « parentalité impromptue » lui-même n'est pas si original dans le monde de la bande-dessinée japonaise. Parmi les œuvres citées en France, nous pouvons notamment citer principalement des shojos, comme Babe My Love, Momo Lover voire Chibi Devil. Sans oublier le seinen My Girl, auquel nous avons également consacré un dossier, et qui part d'une situation initiale très proche de celle d'Un drôle de père, le décès de la figure maternelle étant leur principale divergence. Pourtant l'on pourra s'émouvoir de l'un et rester de marbre face à l'autre : en effet, si le titre de Mizu Sahara joue sans détours sur la corde sensible avec brio, Yumi Unita part de son côté sur un traitement bien différent, davantage en retenue. Aussi notre appréhension de ces deux titres dépendra avant tout de notre sensibilité, et de notre réceptivité face aux marqueurs sentimentaux.
 
Sur ce point, Un drôle de père peut paraître de prime abord relativement froid, inexpressif, monocorde. La mangaka ne nous tient pas par la main, nous laisse observer les histoires de Rin et Daikichi avec une certaine distance. La valse des sentiments, qu'il s'agisse d'affections filiales ou d'affinités amoureuses, sont en sommeil derrière le réalisme d'une bienséance nippone peu propice aux grands élans publics de tendresse ni aux rapprochements tactiles. C'est alors à nous de creuser la question, de chercher les sens profonds derrière les gestes innocents, le tumulte des sentiments derrière les phrases gênées et les petites disputes qui font le sel de l'existence. Et parfois, au moment où nous nous y attendons le moins, voilà qu'une fissure dans les convenances de nos protagonistes laisse échapper un fragment d'innocence, un souffle d'amour dans sa plus belle expression, venant nous émouvoir profondément.
        

   
A contre-courant de la plupart de ses comparses du Feel Young, qui partent généralement d'une héroïne qui leur ressemble pour toucher les lectrices adultes, Yumi Unita a décidé de prendre un homme pour protagoniste. Un choix qui balaie immédiatement tous les questionnements mystiques autour de l'instinct maternel pour s'orienter vers une relation beaucoup plus terre-à-terre. Et dans une société où la monoparentalité est devenue monnaie courante, c'est aussi un choix dans l'air du temps, nous éloignant de l'image figée de la mère bloquée au foyer pendant que le père rapporte les vivres. Plus qu'un simple ressort comique, les tracas de Daikichi dans son rapport avec la gent féminine et les enfants permettent de partir d'un postulat vierge de toute idée reçue. Il n'élève pas Rin non pas pour assouvir une envie de paternité ou pour compléter une frustration sociale, mais seulement car il n'a pas pu rester insensible face au sort qui attendait la jeune fille, après qu'elle ait manifesté un semblant d'attachement envers lui. C'était lui ou personne d'autre, maintenant ou jamais. Au-delà ce geste altruiste qui l'honore, Daikichi est pourtant loin de l'étoffe dont sont faits les héros. C'est tout simplement un homme comme les autres, décrit comme le salaryman moyen, à la vie posée. L'arrivée de Rin dans sa vie va certes soulever quelques vagues dans le cours de son existence, mais sans rebondissements artificiels ni pression supplémentaire. La série ne nous laisse pas comme simple spectateur, mais nous implique : que ferions-nous à sa place, si nous devions un jour prendre une décision similaire ?
  
     
 

Le jeu des sept familles

  
S'improviser père du jour au lendemain n'est pas une mince affaire, et Yumi Unita va nous le démontrer avec un réalisme similaire. En effet, sitôt la décision prise, les premières conséquences seront observées à un niveau purement matérialiste : acheter de nouvelles affaires, trouver une garderie, réorganiser son espace vital et son emploi du temps,... La conséquence la plus lourde pour Daikichi, au début de l'histoire, sera de régresser dans l'échelle professionnelle pour pouvoir libérer du temps pour Rin. Certaines choses réclament des sacrifices, il convient alors de réétudier ce qui nous tient à cœur, ce qui est le plus important, le plus nécessaire. Dans la vie, tout n'est qu'une question de priorités ! Mais Daikichi assume ces nouvelles aspirations sans difficulté, malgré le regard de déception que pourront lui lancer certains de ses collègues de travail. En filigrane, on observe ici une critique légère du modèle carriériste japonais, où les hommes s'investissent à fond dans leur travail en passant à côté des plus belles choses que la vie peut leur offrir. Se réunir autour d'un repas, transmettre les traditions inculquées par nos aînés, se tracasser des petits bobos, s'enthousiasmer face à ces petits êtres qui grandissent en nous étonnant sans cesse,... sont autant de précieux moments qui n'appartiennent qu'à nous.
  
Sur un plan social, Daikichi se fait ainsi sans mal, ou presque, à cette nouvelle situation, qui lui apportera même de nouvelles ouvertures. Là où son travail l'enfermait dans un monde sans contact, l'universalité de la question de la parentalité lui permet de faire de nombreuses rencontres, de tisser des amitiés avec d'autres papas et mamans-poules, et même de rêver à une intrigue amoureuse avec la jolie Mme Nitani. Mais il sera autrement plus désarmé sur le domaine philosophique, face à de simples questionnements d'enfants qui amènent des réponses bien compliquées. Il s'y confrontera pour la première fois lorsque Rin lui confiera son angoisse face à la Mort, ou encore lorsque la demoiselle lui affirmera sans détours comment elle se situe par rapport à lui. Devant prendre le recul sur ces problèmes pour pouvoir les résoudre le plus simplement possible, Daikichi finira par s'interroger sur son propre positionnement : Qu'est-ce qu'être père ? Qu'est-ce que cela implique ? Peut-on continuer à avoir les mêmes besoins, les mêmes attentes de la vie ?
       
 
    
Pour trouver des réponses à ses tourments, Daikichi se tournera vers l'observation de ses semblables. Car si son histoire semble très atypique de prime abord (et en effet, un célibataire qui élève sa tante, ce n'est pas commun !), notre héros se rendra compte que toutes les familles ont une histoire, une fondation, un secret plus ou moins ténu qui l'identifie en tant que telle. Kôki et sa mère, par exemple, ont du passer par bien des tracas face à l'absence d'une figure paternelle. La famille même de Daikichi, dont les membres passent au début pour d'horribles égoïstes en laissant Rin vers un triste sort, a elle aussi connu son lot de sacrifices, qui relativise leur étroitesse d'esprit exprimée au départ. Et qui aurait pu envisager que le cocon familial de Haruko était aussi pesant pour elle ? Enfin, il y a bien sur le positionnement inverse : celui de Masako, qui a préféré sa carrière à sa fille. Même si l'on aborde le sujet via le regard accusateur de Daikichi, la série reste dans sa noble objectivité pour nous laisser le loisir de condamner ou non la jeune femme, jusqu'à ce que la situation prenne un tour nouveau dans les derniers volumes.
 
Fonder un foyer et y rechercher la stabilité sont des aspirations naturelles pour l'Homme, mais au final, nul se sait ce qui l'attendra sur cette route. Il faut alors accepter ce que l'on y trouvera. Si sa situation incongrue provoque chez lui une remise en question somme toute inévitable, Daikichi finira par comprendre qu'il est loin d'être tout seul dans son cas, qu'il est entouré de pères et de mères qui, comme lui, donnent tout pour le bonheur de leurs enfants. Et c'est ainsi que se perpétue la comédie humaine, depuis des siècles et des siècles...
  
  

USAGI DROP © YUMI UNITA 2006 ­ SHODENSHA Publishing Co., Ltd

Commentaires

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raitto

De raitto [2150 Pts], le 11 Novembre 2013 à 11h27

J'avais adoré les 4 premiers tomes et la relation père/fillette et j'ai malheureusement décroché à partir du tome 5 car les tribulations d'ado ne m'intéressait pas du tout (sans parler de la fin...). Bref un peu déçu par la tournure qu'a pris cette série. Très bon dossier en revanche.

Tehanu

De Tehanu [205 Pts], le 10 Novembre 2013 à 19h52

Dossier fort lyrique qui vire presque à l'eau de rose et carrément à la béatification des valeurs familiales. :-) C'est un parti pris comme un autre sur le focus de l'oeuvre, mais ça diminue un rien l'objectivité du chroniqueur et son propos.

 

En ce qui me concerne, la série est agréable jusqu'à son tome 4 et s'arrête là pour moi qui appréciait surtout le thème de l'homme qui doit remettre en question son mode de vie pour le bien-être de son enfant. La suite explore davantage le tourment de l'enfant qui a perdu ses parents et tourne plus vers l'enquête et l'introspection de l'adolescente, et se termine sur une note réellement dérangeante d'un point de vue plus psychologique que moral. 

 

Peu importe qu'il n'y ait aucun lien de sang entre les deux. Daikichi représente la figure paternelle depuis que la petite a six ans, et il l'a élevé pendant dix ans, comme un père, et il se considérait lui-même comme son père. Il s'agit clairement d'un complexe d'Electre non résolu (et mal amené), et qui aurait dû être traité très sérieusement par Daikichi, pour le bien-être de Rin, au lieu d'accepter simplement cette situation de manière très passive et presque résigné, quasiment incompréhensible même quand le même personnage s'inquiétait pour des raisons bien plus "triviales" et communes dans les premiers tomes sur son rôle de parent.

 

Bref, très déçue par la tournure prise par le titre d'un point de vue du choix narratif, alors que j'adore le style de la mangaka et ai beaucoup apprécié son histoire sur les quatre premiers volumes. La dernière image du itre pour moi, c'est donc une photo de Rin qui montre une bouche édentée, et c'est très bien comme ça. 

blablate

De blablate, le 10 Novembre 2013 à 10h44

20/20

merci pour ce dossier. Sa m'a donner envi de me lancer et j'ai deja commander le premier tome^^

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