Suicide Island - Actualité manga
Dossier manga - Suicide Island
Lecteurs
17.50/20

La comédie humaine

  

Allégorie d'un sujet majeur

  
Même s'il s'inscrit dans un cadre purement fictif, Suicide Island part d'une problématique profondément réaliste : le taux de suicide au Japon. Souvent considéré (à tort) comme le pays connaissant le plus haut taux de suicide, le Japon reste parmi les plus touchés par le phénomène. Après avoir atteint un chiffre record  en 2003, la tendance est heureusement à la baisse depuis quelques années, mais reste très importante. L'année dernière, on déplora 27 283 morts par suicide au Japon, ce qui représente 22 personnes pour 100 000 habitants (la moyenne mondiale étant à 15) et 75 par jour. Et un quart de la population nippone a déjà envisagé sérieusement de mettre fin à ses jours.  Mais ce sont les plus jeunes qui sont touchés par le fléau : depuis sept ans, le suicide constitue la principale cause de décès des japonais de 15 à 39 ans, et plus de la moitié des décès parmi les hommes entre 20 et 30 ans. En 2011, on comptait 200 cas parmi les élèves de primaire, collège et lycée, auxquels il faut rajouter 350 cas chez les étudiants. 
    
Héritage du bushido qui prônait le seppuku (ou le jidai, pour les femmes) en cas de déshonneur, le suicide reste ancré dans la culture japonaise. Certains endroits, comme la forêt d'Aokigahara ou la falaise de Tojinbo, sont devenus tristement célèbres pour être devenus des lieux prisés pour mettre fin à ses jours. Et il existe sur le web nippon des sites pour organiser des suicides en groupe (« mode » popularisée par le film Suicide Club en 2002). Le phénomène perdure dans une société dominée par le rapport à l'autre et l'importance de la réussite sociale. Aussi, les causes principales menant à l'acte sont la dépression,  l'impossibilité de s'acquitter d'une dette. le stress lié au travail ou la perte de ce dernier. Les suicides sont d'ailleurs plus fréquents entre mars et, mai, ce qui correspond à fin de l'année fiscale, période de nombreux changements. 
     
   
   
   
Les jeunes subissent le contrecoup du phénomène, dans un âge où l'acceptation de soi est difficile, où les relations avec les autres peuvent être extrêmes (le phénomène de l'ijime) et où la réussite de ses études est une question majeure. Les personnages de Suicide Island sont en plein dans la tranche d'âge la plus impactée, chacun ayant son histoire propre, une raison l'ayant poussé à commettre le pire. Pour la plupart, le problème vient de l'échec de leur intégration sociale : impossibilité de trouver sa voie, d'être accepté par ses pairs, de se distinguer de la masse, d'affirmer ses différences face au regard de l'autre... Pour d'autres, la raison est plus dramatique, plus romanesque, comme Ryô, qui cherche à rejoindre sa petite amie décédée dans un accident de la route, ou Live et son enfance marquée à jamais par les abus de son beau-père. Mais tous sont réunis par un fardeau devenu bien trop lourd à porter. L'auteur fera parler ses personnages l'un après l'autre pour narrer leurs passés respectifs, sans jugement externe ni fausse pudeur. 
   
Aussi, si le manga s'ouvre sur une législation fictive impensable, car au mépris de toute éthique, il permet par son concept de réunir tous ces infortunés en un même lieu et de leur offrir la parole dans un climat de confiance mutuelle. Grâce à ce cadre, l'auteur pointe du doigt un problème majeur des sociétés modernes et du Japon en particulier, et tente de le résoudre de l'intérieur...
  
   

Nouveau départ

  
Dans la droite lignée d'Ikigami, également édite chez Kazé Manga en France, Suicide Island part donc d'un postulat très fort dans une société irréaliste, mais très proche du Japon. Pourtant, si dans le titre de Motoro Mase, le gouvernement en place cherche à faire réfléchir ces concitoyens sur la valeur de la vie, dans Suicide Island, cette réflexion intervient de manière plus fortuite. En effet, les hautes instances ont créé ce programme avant tout pour réduire les frais médicaux et de prise en charge des suicidaires récidivistes. Une fois envoyés sur l'île, ils n'existent plus aux yeux de leur nation, et seront considérés comme hostiles s'ils tentent de sortir de leur espace de liberté. Ainsi, d'un point de vue purement scénaristique, la réglementation ne sert que de prétexte au développement des histoires se passant en interne, sur l'île, et à l'évolution de chacun des naufragés dans cette nouvelle existence.
   
De prime abord, il peut sembler paradoxal de suivre une histoire de survie, portée par des personnages... qui n'aspirent qu'à mourir ! D'ailleurs, ce point est rappelé dès l'arrivée sur l'île avec les premiers suicides de ceux qui n'ont pas voulu profiter de cette seconde chance. Une scène d'apparence anodine, mais qui marque pourtant un premier pas vers la guérison des autres, qui pour la première fois assistent à la mutilation des corps après le grand saut, exposant la mort dans son aspect le plus glauque. Veulent-ils vraiment finir dans un tel état ? Cette image restera enfouie dans leur mémoire, mais pour l'heure, il est temps de passer à la survie immédiate : trouver de l'eau, de la nourriture et un abri pour la nuit. 
   
Kôji Mori réinvente ainsi le mythe de Robinson avec une nouvelle donne : car si le groupe de jeunes gens s'organise pour rester en vie, il ne faut jamais oublier que chacun d'entre eux peut basculer à tout moment, et décider de préférer la mort à la vie. La série se développe avec cette épée de Damocles pendant au-dessus de la tête de chacun des protagonistes, même pour ceux qui semblent avoir fait la paix avec eux-mêmes. Dans ce sentiment d'angoisse perpétuelle, il peut être alors difficile de s'exprimer, de s'entendre avec les autres sans avoir à l'esprit ses actes passés. Si certaines figures émergent rapidement du lot pour faire avancer le groupe, la plupart des survivant suit le mouvement de manière hébétée. Mais il tiendra à chacun d'entre eux de trouver sa place et de s'affirmer, à l'instar de Sei. Présenté comme un jeune homme sans aucune confiance en lui et mal à l'aise avec les autres, il s'impose au fil de l'aventure comme le chasseur du groupe, un élément indispensable et un conseiller altruiste. Idem pour le personnage de « Casquette », se considérant lui-même comme un raté, mais qui finira par être remarqué pour ses talents de bricoleur. 
    
   
   
  
Peu à peu, les survivants comprennent qu'ils ont là une chance de repartir à zéro, un nouveau départ sans le poids de la société ni préjugés. Si chacun porte son lourd passé, il ne faut pas oublier que tout le monde est à la même enseigne. Aussi un climat d'égalité s'installe, chacun comprenant les épreuves que son voisin a pu traverser. Dans ces conditions, il devient alors plus facile de se confier, sans craindre le poids d'un jugement. Et de toute façon, peu importe : les erreurs d'hier ont été abandonnées en même temps que cette précédente vie, et la nouvelle ne laisse pas le temps de se lamenter. Et nos survivants sont amenés à avancer, à améliorer leur confort de vie, à se trouver des talents cachés, pour pouvoir subsister sur l'île sans crainte du lendemain, dans une confiance mutuelle.
  
Mourir seul, ou vivre ensemble, le choix est offert à chacun d'entre eux. Mais si la mort est un aveu d'impuissance ou un abandon salutaire, seule la vie permet d'obtenir une seconde chance. 
  
   

JISATSUOU © 2009 by Kouji MORI / Hakusensha, Inc.

Commentaires

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Dharma

De Dharma [1870 Pts], le 06 Décembre 2014 à 03h54

17/20

Un très bon dossier pour une super série !

Une de mes séries préférées actuellement. L'envie de disparaitre est un bon prétexte pour mettre en valeur la vie, ses bons côtés et son importance. Tout n'est pas noir dans cette histoire, au contraire. C'est ce qui en fait une petite pépité d'humanité à mon sens.

Je la recommande à tous les suicidaires potentiels ! =p

winipouh

De winipouh [2147 Pts], le 22 Juin 2014 à 17h35

merci pour ce dossier l'histoire est interessante mais je n'aime pas beaucoup les graphismes en particulier le visage des personnages je pensse m'acheter le tome 1 pour me faire un avie sur se manga

JohnDoe

De JohnDoe [598 Pts], le 22 Juin 2014 à 16h35

18/20

Un chouette dossier, merci !

DjinnGenie

De DjinnGenie [220 Pts], le 21 Juin 2014 à 14h01

Merci pour cet excellent dossier ! Cela donne vraiment envie de découvrir la série.

Jinfuushen

De Jinfuushen, le 20 Juin 2014 à 23h33

18/20

Très bon dossier :-)

Je dirais même que cette série outrepasse sur quelques séquences la question du suicide en proposant une éloge à la vie, une éloge à la nature.

Suicide Island est vraiment très bien ficelé niveau scénario, et le psyché des personnages vraiment est très intéressant.

Avec Vinland Saga et The Arms Peddler, ceux sont 3 belles séries qui nous sont arrivés ces dernières années.

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