Hideshi Hino

L'enfant insecte

Synopsis

Sanpei Hinomoto est un jeune garçon exclu de tous. Sa passion pour les animaux, et plus spécifiquement pour les insectes lui attire les brimades de ses camarades, et l’échec scolaire qui en découle lui vaut d’incessantes critiques de la part de sa famille. Ses mauvais résultats sont d’autant moins pardonnables que son grand frère et sa jeune sœur sont d’excellents élèves. S’ajoute à cela un physique loin d’être avantageux, et Sanpei apparaît alors comme une victime en tout point de vue. Malgré tout, notre jeune protagoniste sait rester optimiste, et trouve l’énergie dont il a besoin dans sa cabane secrète au fond de la déchèterie du village, où il élève une multitude de chiens, chats, chenilles et autres reptiles.
Cet équilibre précaire bascule lorsque Sanpei est piqué par un gros insecte rouge, cause de sa métamorphose en énorme chenille…
  
  
  
  
  

La Métamorphose et L’Enfant Insecte

On remarque en effet que l’auteur s’inspire grandement (pour ne pas dire qu’il adapte) de La Métamorphose, sans doute l’œuvre la plus renommée de Franz Kafka.

Bien évidemment, il y a la transformation en insecte, et, sur ce point, Hino va plus loin que l’homme dont il s’inspire. Dans La Métamorphose, Kafka ne donne aucune explication quant à la cause de la transformation de son héros, Gregor Samsa, un jeune homme qui fait vivre sa famille par sa seule profession, en tout cas avant sa mutation. Le récit s’achève par la mort de ce dernier, sans qu’il n’ait jamais pu profiter d’une nouvelle vie en tant qu’insecte.
Dans L’Enfant Insecte, Hino brosse le portrait d’un jeune garçon maladif, repoussant et  « inutile » (du moins aux yeux de la société dans laquelle il évolue) avant même sa transformation. L’auteur décide de montrer l’avant-transformation, la métamorphose en elle-même, et l’après-transformation, dernière étape plus développée que chez Kafka, puisque Sanpei a l’occasion de fuir sa demeure pour vivre en tant qu’insecte « épanoui », du moins pour un temps.

Autre thématique centrale des deux œuvres, celle de la famille (en particulier la figure paternelle), et plus largement du regard de la société sur les individus marginaux.
Chez Kafka comme chez Hino, la figure masculine (le père seul dans La Métamorphose, le père et le frère dans L’enfant Insecte), dans sa position machiste d’individu travailleur, est la plus imprégnée par cette logique de productivité et de conformisme. Ainsi, l’homme est celui qui prend le premier la décision de se débarrasser du « parasite » dès qu’il n’est plus capable de se fondre dans le moule et de rapporter de l’argent, là où la mère et en particulier la sœur, sera dans un premier temps réticente. Dans un premier temps seulement.

Une différence notable toutefois, là où l’on trouve de l’ingratitude dans la réaction de la famille Samsa, qui traite Gregor comme un moins que rien dès l’or qu’il ne l’entretient plus, la famille Hinomoto fait simplement preuve de cruauté envers un individu faible.
  
  
  
  
  

Un manga horrifique ?

Pas si sûr, ou du moins pas au premier degré.
Il est toujours utile de définir ce dont on parle, prenons donc une des nombreuses définitions disponibles sur le net :
"Horreur : Très vive impression, physique ou psychique, éprouvée par quelqu'un à la vue ou à l'idée d'une chose affreuse, repoussante."

D’une façon générale, le manga est éminemment moins atroce que les deux autres œuvres d’Hino parues en France. Si Serpent Rouge et Panorama de L’enfer n’offrent aucun répit au lecteur et à ses personnages, s’enfonçant dans une horreur qui va grandissante, L’Enfant Insecte accorde quelques moments de paix à ses héros.
Bien sûr, le détail de la transformation en insecte de Sanpei est loin d’être ragoûtant, et il finit certes par devenir une chenille géante tueuse. Mais. Le lecteur est finalement très peu dégoûté ou repoussé à la lecture du manga, simplement parce que rien ou presque n’est repoussant à proprement parler dans L’Enfant Insecte. Sanpei lui-même, pourtant devenu insecte géant, est représenté de telle façon qu’il en serait plutôt « mignon », son design attirant immédiatement l’empathie du lecteur.
De plus, Hino prend clairement parti pour son jeune protagoniste, aidé par une narration très proche du conte contribuant à l’ériger en martyre. Le fait que sa famille et la société le repoussent injustement (j’ai en tête une scène particulièrement représentative où le père de Sanpei, apercevant ce dernier pourrissant et gémissant sur son palier, lui hurle de retourner dans sa chambre et de ne pas salir le parquet) apparaît au final comme la seule véritable horreur, et  même les meurtres commis par Sanpei semblent n’être que justice.
Le lecteur s’apitoie sur la triste fin de Sanpei, abandonné de tous, personne n’aura finalement cherché à le comprendre. Le manga prend ainsi la forme d’une tragédie, le héros étant inexorablement voué à la mort dès les premières pages du récit.

Difficile d’ailleurs de ne pas voir en Sanpei, un ersatz du jeune Hino. On évoquait plus haut la marginalisation des individus différents dans la société Japonaise, et si Sanpei en fait les frais, il est plus que probable qu’il en ait été de même pour l’auteur, né en Chine en 1946 alors que ses parents fuyaient le Japon, où il retourna quelques années plus tard. Il est plus qu’envisageable qu’Hino ait souffert de cette situation le mettant en position d’étranger où qu’il soit. À son instar, Sanpei est rejeté par les hommes en tant qu’homme, et par tous les animaux en tant qu’animal, il est l’éternel élément allogène.