Green Blood - Actualité manga
Dossier manga - Green Blood
Lecteurs
19.50/20

Il était une fois en Amérique


Evidemment, ce long périple vers l'Ouest voit Brad et Luke visiter divers lieux et enchaîner nombre de rencontres, le tout étant autant d'occasions pour Masasumi Kakizaki de revisiter à sa sauce de bons vieux rouages du genre western. Les voici passés en revue, étape par étape.


Gangs of New York


Quiconque a vu le film de Martin Scorsese donnant son nom à cette partie aura immédiatement fait le rapprochement. Après une œuvre médicale comme Kansen Rettô ou l'horrifique Hideout, et via son goût avoué pour les récits de western type Django, il ne fait aucun doute que Kakizaki aime les histoires typiques du cinéma, ce que sa mise en scène très cinématographique laisse également comprendre.
Aussi, il ne fait aucun doute que Gangs of New York a été une source d'inspiration pour lui. Même lieu avec Five Points, mêmes thématiques autour notamment des guerres de gangs, plusieurs évolutions similaires... Voyons toutefois ce que l'auteur fait ressortir de ce quartier. Après la présentation de Five Points précédemment effectuée, entrons un peu plus dans les détails.

« A Five Points, il n'y a ni loi, ni justice. »

On le ressent très vite, le Five Points made in Kakizaki est une véritable poudrière, prête à exploser à n'importe quel moment pour la moindre raison. Et des raisons, il y en a beaucoup. Car dans ces rues malodorantes où abondent tripots, maisons closes, bars et cabarets clandestins, on n'est jamais à l'abri d'assassinats gratuits, de corruption, de prostitution en guise de seul choix, ou de conflit religieux.

Dans l'Amérique protestante très pieuse de l'époque, la religion catholique, dont font partie les Irlandais, était forcément très mal perçue, et les Irlandais étaient alors souvent traités comme de la vermine, et beaucoup d'endroits refusaient purement et simplement de leur donner du travail, hormis pour des tâches honnêtes, mais très pénibles, ou au sein des gangs. Luke et Brad représentent ces deux solutions.

D'un côté, le travail honnête de Luke est épuisant, il s'agit clairement d'exploitation aucunement gratifiante, le tout pour une paie minime. Mais même en travaillant honnêtement, à Five Points on n'est jamais en sûreté, un jeune ami de Luke en fera les frais.

Dans la face plus sombre du quartier, c'est Brad qui montre ses talents. Pour 10 dollars ou sur ordre de Gene McDowell, il élimine n'importe qui dès que la nuit tombe. Aucune règle, en somme.

Emma, elle, est le plus important exemple de prostitution dans le quartier, et nous permet d'entrevoir les conditions précaires de ces femmes vendant leur corps, bien souvent sans avoir d'autre choix. A peine débarquées, les immigrantes sans argent étaient la cible des « Sweaters », entremetteurs malhonnêtes exploitant le corps des filles contre des sommes d'argent ridicules et un logement insalubre. Cela leur permettait de survivre, mais sans forcément se sentir en sécurité. L'exemple de la prostituée tailladée par Kip en est la meilleure preuve.

La corruption des forces de l'ordre et des politiciens est également omniprésente.
En échange de quelques billets, les policiers ferment les yeux sur les agissements des gangs, voire les soutiennent un peu. A tel point qu'un flic allié à un gang sur le déclin n'hésiterait pas à aller « voler » le gang » d'un de ses collègues en tuant ce dernier.
Quant aux politiciens véreux, ils achètent leur vote ou reçoivent des pots-de-vin auprès des caïds du quartier.

C'est dans ce contexte reposant sur un fragile équilibre qu'évoluent les gangs et leurs représentants plus ou moins fiables ou ambitieux. Les jalousies internes ne sont jamais très loin, et les deux meilleurs exemples sont sans doute Kip McDowell et Raymond Fitzgerald.
La fourberie est omniprésente chez un Kip prêt à tout pour se tailler une belle place dans le gang de son père. Cela, il le prouvera plus d'une fois, n'hésitant pas à mentir à son père au sujet de la fille tailladée, à tuer un clochard innocent pour s'en sortir, ou à chercher l'élimination de Grim Reaper/Brad en montant contre lui Raymond, qui n'a jamais supporté de ne plus être le tueur numéro 1 du quartier.

Autant de situations que Masasumi Kakizaki exploite de façon simple, mais efficace, créant un engrenage où le fragile équilibre rompra forcément...


  
  
  

Hell on Wheels


Occupant quasiment la moitié de la série, le passage à Five Points reste clairement le plus développé, mais la suite ne manque pas d'intérêt, ême si les différents angles abordés le sont de façon assez sommaire.

Dans la deuxième moitié du volume 3, l'heure est venue pour Brad et Luke de se lancer dans leur principale quête : la vengeance auprès d'un père horrible, qu'ils devront poursuivre, dans un premier temps jusque Saint-Louis et sa banlieue. C'est l'occasion pour Kakizaki d'aborder le contexte ferroviaire de l'époque, avec l'émergence des chemins de fer et ce que cela entraîne de bon ou de mauvais.

Après le rachat aux Français des terres à l'ouest du Mississippi par Thomas Jefferson, Saint Louis est devenue une ville de plus en plus importante, en tant que port fluvial ouvert sur l'Ouest. D'ailleurs surnommée « La Porte de l'Ouest », la cité fut, pendant un bon moment, le point de départ de nombreux voyageurs tentant leur chance sur les nouveaux territoires encore peu explorés. Dans cette optique, la ville devint naturellement un enjeu important pour le développement du moyen de transport naissant qu'était le train. En échange de quoi, le développement du train permettait également le développement de la ville, les bâtiments plus modernes prenant de plus en plus le dessus sur les anciennes fermes. De ce fait, pour développer toujours plus la ville, les compagnies de chemins de fer devaient à tout prix racheter leurs terres aux fermiers, et ces derniers avaient tout intérêt à obéir s'ils ne voulaient pas avoir d'ennuis...

C'est dans ce type de contexte qu'interviennent Anne Macy, fermière attachée à ses terres, et Charles Howard, notable travaillant pour la West Central Railroad, la compagnie de chemins de fer qui a aidé la ville à se développer. Face à la vieille femme, Howard serait prêt à tout pour pouvoir continuer de développer la ville et d'agrandir sa réputation et sa fortune. D'autant qu'en plein essor des chemins de fer, le gouvernement prêtait des fonds et accordait des terrains aux compagnies, et ces dernières se concurrençaient donc avec acharnement pour savoir qui serait la plus performante.


Noir et blanc de peau


Puis la route vers l'ouest se poursuit jusqu'à Wellington, où les frères Burns ont un peu l'occasion de jouer les cow-boys. Le mangaka reprend alors la plus célèbre figure des westerns... mais au sens premier du terme. A cette époque, le travail des cow-boys était de transporter le bétail depuis le Texas jusqu'aux chemins de fer des villes du Kansas, dont le bourg d'Abilene. Sur la route, les vaches s'engraissaient en broutant dans les pâturages, et une bête achetée 5 dollars au Texas pouvait se revendre 5 à 10 fois plus cher une fois arrivée à bon port. De ce fait, inutile de dire qu'en plus des animaux sauvages pouvant les attaquer, les cow-boys et le bétail étaient également une cible privilégiée pour les bandits (comme le montrera Swallow). Le travail de cow-boy était bel et bien dangereux et éprouvant.

C'est toutefois une autre thématique qui occupe l'essentiel du passage dans cette région du Sud, avec l'abord de l'esclavage et des inégalités entre Noirs et Blancs, principalement à travers le personnage de Ned White.
A cette époque, depuis quelques années avaient été promulgués sous le nom de Proclamation d'émancipation » deux décrets cherchant à mettre fin à l'esclavage, tout en tentant de justifier la Guerre de Sécession en la présentant comme une bataille pour les droits de l'homme.
Mais la fin de la guerre n'ayant aucunement diminué les inégalités entres Etats du Nord et Etats Sudistes, ces derniers votèrent rapidement les « Black Codes » , textes de loi discriminatoires qui, bien qu'abrogés peu de temps après, persistèrent dans la conscience collective du Sud. Dans les faits, l'idée de supériorité des Blancs était toujours là, et ne fit que s'accentuer avec l'arrivée en 1876 des Lois Jim Crow. Lois de ségrégation raciale qui, pour certaines, perdurèrent... jusqu'en 1964, soit un siècle après notre histoire !

C'est donc dans un milieu encore extrêmement raciste qu'évoluaient Ned et ses camarades Noirs. Né esclave dans un ranch plus ou moins tolérant, le jeune garçon fut malgré tout contraint au vol de bétail et à la fuite avec ses pairs pour tenter d'acquérir sa liberté. Rappelons que son histoire est inspirée de celle d'un hors-la-loi noir ayant réellement existé, et on finit de se convaincre l'implication de l'auteur de Green Blood sur le plan historique, même s'il n'aborde tout cela qu'en superficie, pour servir son divertissement.


  
  
  

Kakizaki chez les Indiens


Puis avec l'arrivée près de Virginia City dans le Montana, c'est au tour d'un autre grand classique des westerns de débarquer : le problème des Indiens, dont les terres sont bafouées par les Blancs.

En se mêlant à la lutte d'une tribu de Sioux contre l'armée américaine, Brad et Luke se rapprochent plus près que jamais de leur objectif, le gang Crimson ayant offert ses services aux Américains en anéantissant les Indiens à coups de Gatling. Le passage est bref, classique et plus sommaire qu'aucun autre, mais on y appréciera une nouvelle fois le souci de justesse historique de Kakizaki. Car la Piste Bozeman et le Fort C.F. Smith (où se terrent les Américains), entre autres, ont réellement existé.

A l'origine, la Piste Bozeman était une route créée pour transporter l'or découvert dans la région de Virginia City, mais elle passe par des terres Sioux précédemment accordées à ces derniers par l'Etat Fédéral. Elles étaient donc normalement interdites aux Blancs, mais ceux-ci s'en fichaient. Pire : poussée par l'appât du gain, l'armée américaine est allée jusqu'à construire des postes militaires sur ces terres, enclenchant la colère des Peaux-Rouges et un conflit mortel.

Parmi ces postes, il y a le Fort C.F. Smith., cible de l'alliance indienne entre Sioux et Cheyennes (et Arapaho, mais cette tribu n'est pas évoquée par Kakizaki) pendant ce qui fut la bataille de Hayfield. Cette bataille mineure, coincée entre de nombreux autres conflits, s'est déroulée le 1er août 1867 et opposa quelques américains (le 2nd lieutenant Sigismund Sternberg, à peine 20 soldats et 9 civils, soit environ 30 hommes) à une nuée indienne estimée entre 500 et 800 hommes. Ce qui n'empêche pas les Américains de l'emporter. Cette défaite indienne, Kakizaki nous propose de la vivre à travers    le Sioux Black Horse et sa tribu. S'il inventé évidemment ses personnages le mangaka reste étonnamment fidèle aux grandes lignes de cette petite bataille.

L'Histoire retient que malgré cette victoire et celle qui suivit encore à Wagon Box, l'armée américaine ne put jamais assurer la sécurité de la Piste Bozeman face à la résistance acharnée des Sioux, et abandonné finalement ses trois forts construits dans cette région après avoir conclu un traité avec les chefs de tribus indiennes. Suite à ce traité, les Indiens eurent pleine possession de leurs terres dans le Montana, mais aussi dans le Wyoming et le Dakota du Sud.


Les Massacreurs du Kansas


C'est finalement à Kansas City que se joue le dernier acte de la série, où nos héros se retrouvent enfin face à leur pire ennemi, venu effectuer son plus gros coup en prenant toute une ville en otage.

Située dans l'Etat du Missouri, cette ville bâtie au confluent des rivières Kansas et Missouri s'est très vite développée pendant la Guerre de Sécession, car elle était située à un emplacement jugé stratégique et ouvert sur la conquête de l'Ouest.

Mais hormis ces quelques détails rapidement expliqués par Kakizaki, il n'y a pas grand-chose d'autre à retenir de ce final en ce qui concerne l'immersion dans l'Amérique de l'époque.
  
  
  
  
  

Ce qu'il reste


Pour le reste, Green Blood ne manque pas de tout ce qui fait la saveur de westerns classiques. Les duels déjà évoqués, bien sûr, mais aussi les nombreux bandits, les braquages, les têtes mises à prix, les exécutions publiques et autres shérifs. La majorité de ces éléments restent toutefois succincts.

Et n'oublions pas les autres petits détails historiques disséminés ça et là et qui renforcent l'immersion, principalement en ce qui concerne les armes, à commencer par le focus sur la fameuse Gatling, cette redoutable mitrailleuse inventée par le Dr R. J. Gatling en 1862 et qui pouvait tirer plus de 200 balles par minute (ce qui était énorme à l'époque). De nombreuses autres armes sont évidemment présentes, dont celles utilisées par les principaux sbires d'Edward King : le lasso (indispensable à tout bon western, bien sûr), le sniper, la dynamite...
D'ailleurs, en ce qui concerne les armes, Masasumi Kakizaki se fait un plaisir de nous dresser un petit historique à la fin du tome 4.
  
  
  

GREEN BLOOD © Masasumi Kakizaki / Kodansha Ltd.

Commentaires

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JohnDoe

De JohnDoe [598 Pts], le 02 Novembre 2014 à 15h46

19/20

Très bon dossier qui présente bien les forces et les faiblesses de la série.

Leoo

De Leoo [969 Pts], le 01 Novembre 2014 à 19h59

20/20

Bonne petite série qui aurait mérité quelques tomes de plus histoire de bien étendre le scénario.
 

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