Fumiyo Kouno - Actualité manga
Dossier manga - Fumiyo Kouno
Lecteurs
17.50/20

La Vie bafouée


La vie au quotidien, c'est beau, mais la Vie ne serait rien sans ses successions d'épreuves qui peuvent nous mettre à mal, nous anéantir ou nous aider à nous forger. Et si Fumiyo Kouno dépeint avec plaisir et minutie le quotidien, elle n'oublie jamais d'y distiller de façon plus ou moins marquante ces nombreuses embûches, dans certains cas très légères, dans d'autres profondément dramatiques.

Nous en avons tous déjà connues et nous en connaîtront encore, il y en a aussi que l'on espère ne jamais avoir à vivre. Mais dans tous les cas, la Vie est faite d'épreuves plus ou moins pénibles, et qui touchent tous les âges, y compris l'enfance.
Dans Koko, Yayoi, du haut de ses dix ans, connaît des épreuves à son échelle : qu'il peut parfois être difficile de bien élever un animal caractériel ! Quant à la petite-fille renfermée de Sanpei, c'est à son incapacité à se faire des amis qu'elle doit faire face.. Des petites preuves de jeunesse, dont les fillettes pourornt ressortir grandies.
L'épreuve est autrement plus grave dans Dans un recoin de ce monde : la présence enfantine a-t-elle seulement la moindre chance de s'épanouir face aux horreurs de la guerre, qui peut à tout moment tout emporter avec elle ?

Cette guerre, d'ailleurs, que l'on voit arriver petit à petit dans le quotidien simple de Suzu et des autres. Elle est de plus en plus présente au fur et à mesure des mois qui passent. Au fil des pages, Suzu a de nombreuses occasions d'observer ce petit monde qui change doucement autour d'elle : des éléments assez paisibles mais annonciateurs comme le célèbre navire Yamato qui passe au loin dans la mer ou les bateaux militaires qui rentrent au port et qu'elle regarde en compagnie de son mari... Des choses plus ennuyeuses, comme les accusations d'espionnage qu'elle subit juste parce qu'elle a dessiné un paysage, la hausse conséquente du prix de denrées comme le sucre, les évacuations de maisons, les menaces des attaques aériennes qui commencent à arriver, l'entraînement à la lance de bambou... Et des aspects qui touchent directement sa famille, comme le corps des volontaires féminines où est sa soeur, ou le fait que son frère soit parti sur le front.
En se basant sur une importante documentation, la mangaka offre un portrait ultra-détaillé, qui se partage entre le quotidien de l'époque, l'influence de la guerre sur celui-ci, et les grands événements historiques qui ont touché Kure, Hiroshima et le Japon entier. Il faut d'ailleurs souligner les nombreuses précisions intéressantes apportées dans les marges de l'oeuvre. Le récit est évidemment dur, car il va souvent loin dans les horreurs qui touchent de plus en plus Suzu et nombre d'autres citoyens aussi simples qu'elle. Au fil des mois qui passent, les malheurs s'enchaînent, vont souvent jusqu'à déchirer des familles et des âmes innocentes, et au milieu de tous ces malheurs, Suzu se retrouve elle aussi meurtrie au plus profond de sa chair, et est contrainte de remettre en cause sa place dans ce monde. Que doit-elle faire ? Que peut-elle faire ? Où doit-elle être ?

Dans le Pays des Cerisiers, les drames viennent surtout de l'après-guerre, des conséquences autant physiques que psychologiques qu'a eu la bombe. Peut-on oublier si facilement le sinistre jour d'août 1945 ? A chaque fois que Minami voit le bonheur arriver devant elle, elle ne peut s'empêcher de repenser au passé. De culpabiliser en repensant à la manière dont elle a pu échapper au pire pendant que d'autres gisaient ou étaient déjà morts. De revivre les traumatismes, les pertes d'êtres chers provoquées par ce drame. De s'interroger sur la place qu'elle doit désormais occuper dans ce monde alors que d'autres n'ont pas survécu. Pourquoi cela est-il arrivé ? A-t-elle le droit d'être heureuse ? Et plusieurs années plus tard, ceux qui ont lancé la bombe sont-ils heureux de savoir que des humains souffrent encore de ce qu'ils ont fait ce jour-là ?
Par la suite, tout en s'appliquant à dépeindre quelques évolutions de Hiroshima dans le temps, Fumiyo Kouno soulève toujours plus de questions. Les préjugés liés aux hibakusha, terme péjoratif désignant les personnes victimes de la bombe ou de ses effets. Le fait que des êtres toujours en vie soient victimes de ces craintes sur la bombe, alors que d'autres sont mortes sans qu'on ait accusé celle-ci, comme une loi du silence.

La mort est alors omniprésente. Avec des drames comme la guerre, elle touche autant les enfants que les jeunes adultes. Et dans tous les cas, au bout du chemin, elle nous attend tous. Du haut de son grand âge, c'est l'ultime épreuve qui attend Sanpei, vieil homme qui vient de voir disparaître la femme avec laquelle il a toujours vécu. Désormais, les souvenirs le guettent, des souvenirs de sa femme décédée, dont la présence se ressent quasiment à chaque page, à travers le carnet qu'elle lui a laissé, si bien qu'elle devient un personnage du manga à part entière.
  
  
  
  
  

Renaissance ?


Les épreuves animent notre vie, la changent sans cesse, la rendent parfois très difficile à supporter... mais tout s'arrête-t-il pour autant ? Fumiyo Kouno nous dit clairement non. Au-delà du pire, il peut encore y avoir de la vie, de l'espoir et du bonheur.

Dans pour Sanpei, pour le vieillard, le souvenir, la mélancolie, la nostalgie, la tristesse apparaissent sans cesse par petites touches durant la lecture, mais cette dernière n'est jamais pesante, bien au contraire. Car loin de se contenter d'attendre patiemment de rejoindre son épouse dans la mort, Sanpei renaît réellement, petit à petit, en vivant avec sa famille, en redécouvrant le caractère et les qualités de chaucn de ses proches, en faisant de nouvelles rencontres fraîches et optimistes comme celle de la jeune, belle et douce Senkawa, et en apprenant à faire les choses par lui-même. Existe-t-il plus belle renaissance et plus humaine leçon de courage ?

Le mariage arrangé de Michi et Sosuke dans Une longue route, ou celui de Suzu et Shûsaku dans Dans un recoin de ce monde, sont également une forme de contrainte. On ne leur a pas vraiment laissé le choix... mais y a-t-il de quoi désespérer ? Non, certainement pas, ces deux couples apprenant avec optimisme et avec une certaine bienveillance à se connaître, à s'aimer, et à s'accepter au-delà des nombreux défauts de chacun et des quelques disputes qui ont lieu.

Et pour rester sur Suzu de Dans un recoin de ce monde, malgré les petites menaces de plus en plus visibles, la jeune femme est typiquement le genre d'héroïne que Fumiyo Kouno aime croquer : souvent dans la lune, extrêmement douce et souriante, elle apporte une sorte de pureté simple et tente de conserver naturellement une démarche optimiste pour continuer d'avancer, malgré les changements de plus en plus visibles autour d'elle et dans sa vie. Jour après jour, elle ne peut qu'observer les ravages de plus en plus graves que provoque la guerre. Autour d'elle, les gens continuent de partir livrer bataille, s'éloignent pour ne plus jamais revenir, et en plus des bombardements de plus en plus meurtriers sur la ville de Kure, dans la banlieue de Hiroshima, voici que d'autres paramètres sont à prendre en compte, dont la menace d'une famine. Surtout, Suzu, malgré toutes les épreuves, conserve la douceur qui la caractérise, et aussi cette volonté de rester courageuse et de protéger ce qu'elle peut protéger, bien qu'elle soit souvent impuissante et que sa joie de vivre s'efface toujours plus. Et une fois le pire passé, rien ne s'arrange subitement, bien au contraire, et face aux horreurs provoquées par la bombe de Hiroshima, au paysage chaotique laissé par les bombardements, et aux conditions de vie précaires qui se sont installées, Suzu et ses proches devront entamer un long parcours et rester forts et soudés pour se reconstruire. On appréciera d'ailleurs beaucoup la note d'espoir qu'apporte la fin, au coeur d'un recoin de monde meurtri.

Enfin, dans le Pays des Cerisiers, Fumiyo Kouno croque en une trentaine de pages un portrait psychologique fort, touchant, tragique mais sans pathos, d'une jeune femme qui ne demande rien d'autre que de retrouver une vie normale et heureuse. Mais la bombe atomique est ce qu'elle est, peut rattraper les humains à tout moment, et dans un élan dramatique allant crescendo et où les tourments de Minami sont de plus en plus forts, la mangaka nous fait suivre avec force et justesse une issue qui ne peut être heureuse. L'espoir semble impossible, encore plus au vu de la conclusion. Et pourtant, on retient surtout de Minami le souvenir d'une personne qui a tenté courageusement de reconstruire son existence, en faisant face tant bien que mal au passé. Même chose dans la suite du récit, où, malgré la présence toujours ausis forte du drame au fil des décennies, il y a en permanence une volonté de se reconstruire, de vivre sa vie. La mangaka offre de belles lueurs d'espoir presque naïves, à l'image de la déclaration des pages 92-93.
  
  
  
  
  
L'héroïsme au quotidien, c'est tout simplement faire face à la vie elle-même, dans ce qu'elle peut avoir de plus simple ou de plus dramatique.
  
  
  

© Fumiyo Kouno / FUTABASHA PUBLISHERS LTD

Commentaires

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dkre

De dkre [78 Pts], le 10 Juillet 2017 à 10h51

18/20

tres bon dossier

MaryaZoldyck

De MaryaZoldyck [38 Pts], le 28 Juillet 2016 à 00h23

mmmm pas mon style 

GregBond007

De GregBond007, le 03 Juin 2014 à 08h16

18/20

J'avais déjà dans ma wishlist Dans un Recoin de ce Monde sans jamais avoir sauté le pas. Grâce à ce dossier, j'ai acheté toute la biblio de l'auteure sortie en France. Merci Koiwai :D

Tehanu

De Tehanu [205 Pts], le 02 Juin 2014 à 12h34

12/20

Fumiyo Kôno est une auteure que j'admire particulièrement de par les thèmes qu'elle aborde, sa narration et son trait, mais je n'ai rien lu de particulièrement intéressant ou de nouveau dans ce dossier, rédigé sérieusement mais un peu conscensuel et fort descriptif (manque d'analyse). 

 

Attention aussi dans la dernière partie, avec relents autobiographiques, relent signifiant odeur nauséabonde, et qui peut être utilisé de façon figurée mais c'est extrêmement péjoratif...

winipouh

De winipouh [2147 Pts], le 30 Mai 2014 à 22h50

20/20

Super article je ne connaissais pas du tout Fumiyo Kono mais Dans le recoin de ce monde me tante bien alors merci MN de m'avoir fait decouvrir cette artiste je sens que je vais beaucoup l'appressier  ^^

geoff

De geoff [1327 Pts], le 30 Mai 2014 à 16h38

20/20

Fumiyo Kono est une des artistes que je préfère, et cela fait plaisir de voir un si beau dossier lui être consacré !

En espérant que cela permettra de la faire connaitre aux plus curieux. Merci bien pour ce dossier!

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