Soil Vol.1 - Actualité manga

Soil Vol.1 : Critiques

Soil

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 03 Février 2011

Accompagné du seinen Hitman, Soil inaugure l'arrivée de mangas au sein de la collection Kuri d'Ankama. Un pari audacieux de la part de l'éditeur roubaisien que de débuter les festivités avec cette série atypique s'étant terminée au Japon il y a peu avec son onzième volume, et signée par le renommé Atsushi Kaneko, auteur de l'excellent Bambi, en cours de parution en France aux éditions IMHO.

Le récit s'ouvre sur plusieurs passages dans le temps d'une étrange étoile filante au-dessus d'un paysage qui va évoluer au fil des siècles: rites d'une civilisation primaire, massacre sanglant... puis début de travaux aboutissant sur la création d'une ville de banlieue. Cette ville nouvelle n'est autre que Soil, futur théâtre d'évènements dramatiques et inexplicables qui viendront, petit à petit, révéler tous les dessous de ses habitants...

Le cadre est donc très vite planté, puis c'est par un habile effet de zoom dépourvu du moindre dialogue et prouvant d'emblée sa maîtrise narrative et visuelle qu'Atsushi Kaneko nous immisce rapidement dans le vif du sujet: la nuit, alors que l'étrange étoile filante apparaît de nouveau, la ville semble calme. Puis le matin, tout aussi paisible, arrive. La vue se focalise sur un quartier, puis sur une imposante bâtisse. A l'intérieur de la maison, la table est dressée, le repas est prêt. Le salon est propre, tout autant que le buffet orné de porcelaines et de photos. Parmi celles-ci, une photo représente la famille occupant les lieux: les Suzushiro, famille apparemment sans histoire, s'affiche dans le cadre. Le père, la mère et la fille, souriant tous trois comme n'importe quelle famille soudée. Une ville calme, une famille bien sous tout rapports... Le hic étant que, dans la nuit, la famille Suzushiro s'est mystérieusmeent volatilisée sans laisser de traces, si ce n'est un gros tas de sel.

Face à cette situation, l'enquête est confiée à deux détectives, le capitaine Yokoi et le lieutenant Onoda. Un duo de choc, mais pas forcément de charme, car pendant que le premier, véritable je m'en foutiste, passe son temps à se gratter les parties intimes et à émettre des allusions confinant au harcèlement sexuel en poursuivant l'enquête nonchalamment, la deuxième, pourvue de la fougue de la jeunesse, voit sa motivation, son implication et son côté "fonceuse" souvent mis à mal par les réflexions cassantes de son supérieur, sa maladresse et son physique de laideron. Très vite surnommés Moumoute et Gros Thon par certains enfants de la ville, les deux individus offrent d'emblée un charme quasiment unique au titre, tant leur façon d'être et leurs répliques en font plus des anti-héros décalés que des héros. C'est un fait, on tient là, dès le début, deux personnages forts et bourrés de personnalité. Premier bon point.

Le deuxième bon point vient d'un scénario prometteur, très prometteur, dont, il faut bien l'avouer, nous ne comprenons encore pas grand chose. De la disparition énigmatique de la famille Suzushiro à l'apparition de gros tas de sel en passant par le silence d'un jeune homme qui ne donne plus signe de vie, par la chute d'un pylone électrique ayant plongé toute la ville dans le noir, ou encore par cette énigmatique étoile filante, tout est très obscur, mais ce que l'on le devine très rapidement, c'est que la ville de Soil n'est pas ce qu'elle semble être, et que tous les habitants cachent de sombres secrets, à commencer par les parents Suzushiro, cible de tous les commérages depuis leur disparition, ou même la fille qui passait son temps à tomber de sommeil n'importe où, ou encore le délégué des habitants, tyran mesquin prêt à tout pour garder la beauté de façade de sa ville. Atsushi Kaneko offre déjà une palette de personnages intrigants et plus malsains qu'il n'y paraît. Personnages malsains et étranges, intrigue voilée et tortueuse... De nombreux éléments évoquent ce que peut nous offrir un cinéaste comme David Lynch, et le cadre de cette petite ville qui n'est pas ce qu'elle semble être rappelle particulièrement Twin Peaks, oeuvre majeure du réalisateur américain.

L'influence de la culture américaine underground, on la ressent pleinement, comme dans Bambi, à travers le style visuel inimitable du mangaka. Le découpage astucieux sert des plans originaux mettant bien en valeur le trait épais de l'auteur. Kaneko offre à ses personnages des bouilles expressives dont on sent que la candeur de façade qu'elles affichent parfois peut laisser place à tous moments à une ignominie sans nom. Les contrastes très appuyés de noir et de blanc, ajoutés aux fonds parfois hypnotiques, offrent à l'ensemble un on ne sait quoi de fou et de malsain, et les détails tels que les grosses gouttes de sueur souvent présentes sur les visages apportent une ambiance tendue et suffocante. Ce trait épais et expressif et cette ambiance se faisant petit à petit de plus en plus étouffante ne sont pas sans rappeler l'incontournable bande dessinée "Black Hole" de Charles Burns, tandis que la façon d'être de Yokoi et Onoda apporte un délicieux décalage à tout ceci.

Se présentant avant tout comme une introduction à un récit qui devrait se faire de plus en plus intéressant, ce premier volume de Soil possède tous les signes d'un grand manga original et prometteur. Pour peu que l'on ne soit pas hermétique aux manga s'écartant un tant soit peu de la masse de titres se ressemblant tous, on se laissera facilement happer par cette oeuvre.

Du côté de l'édition, Ankama nous offre un travail de fort bonne facture sur ce qui est le premier manga de sa collection Kuri: quatre pages en couleurs, impression satisfaisante profitant bien d'un papier épais, traduction plaisante, le tout étant en plus enrichi d'une postface intéressante de l'auteur sur ce qu'est une "ville nouvelle" au Japon.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs