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Re/Member - Roman : Critiques

Karada Sagashi

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 30 Septembre 2016

Tandis que le manga Re/Member suit son cours depuis début 2016 chez Ki-oon, du côté des éditions Lumen la rentrée littéraire nous donne l'occasion de découvrir le roman original. Originellement publiée sur le net, cette oeuvre a connu au Japon un succès retentissant ayant permis à son jeune auteur Welzard de devenir un phénomène en 2013.

Chaque établissement scolaire à ses légendes horrifiques. La plus connue du lycée Oma est celle de la Rouge-Sang, énigmatique et meurtrière créature qui, prenant l'apparence d'une fillette de 11 ans, hanterait l'établissement couverte du sang de ses victimes. Mais il ne s'agit là que d'une légende, de celles à faire frémir les adolescents... Vraiment ?
Quand Asuka et 5 autres camarades de classe sont abordés par leur amie Haruka, ils entrent dans une infernale et sanglante boucle sans fin dont ils auront toutes les peines du monde à ressortir. Car Haruka est morte, tuée par la Rouge-Sang, et les six adolescents sont chargés de retrouver les 8 parties du corps de la victime, éparpillées dans tout le lycée... Pour cela, ils revivront en boucle la journée du 9 novembre, avant d'être systématiquement transportés dans leur lycée la nuit, afin d'y chercher les restes de Haruka. Mais si les choses s'arrêtaient là, le petit jeu de la Rouge-Sang ne serait pas assez drôle et morbide : nuit après nuit, la "fillette", entonnant ses comptines macabres, s'amusera à les pourchasser et à les massacrer, histoire de couvrir sa robe blanche d'encore un peu plus de sang. Et même si aucune mort durant le "jeu" n'est définitive et que les 6 adolescents se réveilleront avec seulement quelques marques chaque matin du nouveau 9 novembre, ils savent déjà que tout recommencera la nuit suivante, jusqu'à ce que les parties du corps soient rassemblées...

On peut dire que Re/Member, de par son jeu "mortel sans l'être définitivement", s'inscrit dans le genre du survival, tellement en vogue depuis quelques années, notamment auprès du public adolescent. Mais de par le fait que les morts ne sont pas définitives, le récit intrigue d'emblée tant il pourrait profiter de cette spécificité pour développer des choses intéressantes... à condition d'éviter un problème : la répétitivité que pourrait provoquer le fait que les 6 ados revivent constamment la même journée. En plus d'éviter cet écueil, Welzard en tire pleinement parti pour développer des choses dépassant la simple horreur gore.

L'horreur est pourtant bien là, tout au long du roman. Nuit après nuit, les personnages ne manquent jamais de mourir, et cela se fait toujours dans un bain de sang que Welzard a le mérite de bien faire ressentir sans avoir besoin d'entrer dans moult détails. Par exemple, il arrivera simplement que l'un des personnages voie l'un de ses camarades mourir horriblement, ou qu'entende des bruits de craquement ou d'agonie sans voir ce qui se passe, ou encore qu'il marche dans le sang d'un cadavre qu'il découvrira dans la foulée au détour d'un couloir, pour que s'installe sans mal une atmosphère morbide justement rendue.
A cela s'ajoute évidemment la peur constante des adolescents de tomber sur la Rouge-Sang, d'entendre de plus en plus près sa comptine morbide signifiant qu'elle s'approche d'eux... Dans ces cas-là, seront-ils suffisamment bien cachés pour lui échapper ? Vaut-il mieux tenter la fuite ? On cerne sans mal leurs craintes, on comprend leurs réactions tantôt paniquées tantôt plus réfléchies, leur angoisse constante, mais aussi leur besoin de se contrôler et de raisonner pour tenter d'en finir au plus vite en retrouvant les parties du corps de Haruka.
Hormis pendant une quinzaine de pages au début du 11ème jour, la narration prend un parti intéressant : celui de se focaliser exclusivement du point de vue de l'une des six victimes, Asuka. C'est elle qui raconte l'histoire, c'est toujours au plus près d'elle que nous vivons les choses, ce sont uniquement ses pensées que nous découvrons... et dès lors, pendant les parties de chasse au corps, il est impossible pour elle de savoir ce qui est en train de se passer du côté des ados qui ne sont pas près d'elle. Ce qui, mine de rien, ajoute une sacrée dose d'angoisse en laissant toujours des éléments de flous. Sans oublier le fait que ce choix narratif nous invite aussi à suivre ses mises à mort par la Rouge-Sang, qu'elle a l'occasion de détailler plus d'une fois au point de nous donner quelques frissons dans le dos. Raconter en live sa propre mort douloureuse, ça n'a pas de prix...
Mais l'écriture de Welzard n'est pas maligne uniquement sur ce point : elle propose bien d'autres qualités, à commencer par le fait que le romancier évite totalement les longues phases descriptives. Pas question pour lui de portraire avec moult détails les lieux, ni même les personnages dont les caractéristiques physiques restent très sommaires (on sait que Shôta a des lunettes, que Takahiro est costaud... et concrètement c'est à peu près tout, même si la lecture laisse aussi comprendre qu'Asuka se considère comme banale et n'est pas très athlétique). Ne se perdant pas dans les longueurs descriptives, Welzard a alors tout le loisir d'entretenir l'ambiance et le rythme, que ce soit en exploitant les spécificités et l'agencement du lycée (par exemple, passer devant telles fenêtres donnant sur l'extérieur pourrait permettre à la Rouge-Sang de repérer les ados depuis l'autre bâtiment...), en alternant les phases plutôt calmes (le jour, certains moments de réflexion la nuit...) et plus mouvementées/tendues (courses-poursuites pour échapper à la petite démone ensanglantée, tentatives de se cacher alors qu'elle passe à proximité... sans oublier les nombreuses mises à mort !). Il faut aussi souligner les apparitions souvent géniales de Haruka pour demander jour après jour aux ados de chercher son corps (elle déboule souvent dans des moments de calme, histoire de faire remonter la tension d'un coup), ou bien sûr l'excellente utilisation de la comptine de la Rouge-Sang. Sur ce dernier point, on adore évidemment comment ce chant macabre sert de repère aux ados pour savoir qu'elle approche et donc pour accentuer la peur, mais on aime tout autant les passages où la démoniaque fillette la chantonne doucement tout en serrant la taille des proies qu'elle a attrapées, et qu'elle ne tuera qu'une fois sa mélodie finie. Dans ces cas-là, l'alternance entre les paroles de la comptine et les pensées des personnages offre un très bon rendu horrifique !

De par le fait que les six ados ne meurent pas définitivement dans les parties de chasse au corps, chaque nouvelle journée et chaque nouvelle nuit sanglante qu'ils passent ensemble leur permettent d'évoluer petit à petit. De base, le groupe s'avère nourri de personnalités certes plutôt clichées, mais hétéroclites. Asuka est une fille qui se décrit comme banale et qui cherche surtout à servir d'intermédiaire quand les esprits s'échauffent, ses amis d'enfance Rie et Takahiro sont respectivement la gentille et douce un peu fragile et le gars costaud qui fonce, mais réfléchit moins. Rumiko est la fille caractérielle de la bande, qui peut s'emporter facilement et qui possède aussi un côté très franc, tandis que le binoclard Shôta est l'intello du groupe, toujours en train de réfléchir et d'émettre des hypothèses, mais un poil trop orgueilleux. Quant à Kenji, il s'agit d'un garçon plutôt taciturne, peu bavard. Des personnalités très variées, qui forcément auront plus d'une fois du mal à totalement s'entendre (par exemple, ça chauffera souvent entre Takahiro, Shôta ou Rumiko), ce qui créera certains problèmes loin d'être rassurant, le plus important étant sans doute l'acte de "traîtrise" d'un des personnages à un moment. Pourtant, pas question pour Welzard de s'enfoncer exagérément dans des portraits négatifs de ses personnages : ils ont tous des défauts, mais aussi des qualités, ce qui les rend tous simplement très humains. Et malgré les heurts qu'il peut y avoir, malgré les traumatismes naissant de ces épreuves (la peur de finir en charpie dans une douleur très aiguë, de tomber sur ses amis morts, ou des phobies plus simples comme le vertige), tous ont parfaitement conscience qu'il leur faut coopérer pour avancer dans la chasse au corps. Et qui sait, peut-être même que cette morbide aventure leur permettra de mieux sympathiser, de mieux se comprendre, et de nouer des relations fortes ? Qu'on se le dise, entraide, amitié, et même amour pourront se développer au fil de ce terrible jeu de massacre...

Et il leur faudra bien ça pour résoudre les nombreux mystères faisant leur apparition au fil des pages. Cela commence par des questions évidentes : qui est la Rouge-Sang ? D'où vient cette malédiction ? Pourquoi sont-ce eux qui ont été choisis pour participer ? Mais très vite dans leur macabre aventure, ils sont amenés à s'interroger sur bon nombre d'autres choses. Par exemple, qui est le régisseur ordonnant les apparitions de la Rouge-Sang par le haut-parleur, et qui est enfermé dans un studio où l'on ne peut apparemment pas entrer ? Qu'arrive-t-il à l'un d'eux qui semble perdre de plus en plus pied comme s'il était possédé ? Pourquoi, au fil de la recherche des corps la nuit, certains éléments de la journée du 9 novembre qu'ils revivent inlassablement se mettent à changer ? Pourquoi la Rouge-Sang veut se teindre en rouge ? C'est essentiellement de jour que nos héros effectuent leurs recherches pour tenter de comprendre, mettant assez vite le doigt sur une sombre affaire de meurtre vieille d'un demi-siècle qu'il leur faudra tenter d'éclairer... Concrètement, la teneur de cette affaire est on ne peut plus classique, mais elle s'avère très efficace, car entre cet aspect enquête/mystère et un aspect surnaturel, la série ne se résume définitivement pas à l'horreur, et s'offre un cocktail savamment dosé qui se relance constamment pour ne jamais lasser. Et arrivé au bout de tout ceci, on constate que Welzard a bien pensé son récit en parvenant à offrir une explication cohérente à tout. Pour sûr, on aurait préféré que certains éléments soient plus poussés (ATTENTION LEGER SPOIL - en tête, le fait que Kenji a visiblement été choisi au pif comme tous les autres, alors qu'il est un descendant de l'assassin - FIN DU SPOIL), mais il s'agit plutôt de détails. Et bien que la dernière ligne droite soit plutôt prévisible, elle a le grand mérite d'achever le récit de façon émouvante, tout en laissant ouverte la possibilité d'une suite sans pour autant frustrer.

A tout cela, il faut ajouter une traduction très soignée de Jean-Baptiste Flamin, qui occupe donc ici le rôle que Jean-Benoît Silvestre a sur le manga. Le traducteur livre une copie excellente, qui sait notamment bien faire ressortir les dialogues et tout ce qui peut traverser l'esprit d'Asuka.

Au final, Re/Member est un roman qui ne déçoit pas. Rythmé, efficace dans son ambiance, exploitant bien ses personnages, sachant s'extirper du simple survival sanglant, ce roman pour ados s'avère être un très bon divertissement, plaisant à suivre tout au long de ses 530 pages.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction