Cavale vers les étoiles - Actualité manga
Cavale vers les étoiles - Manga

Cavale vers les étoiles : Critiques

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 25 Août 2017

Chez Sakka/Casterman, on n'est jamais les derniers pour faire découvrir des auteurs à la patte assez affirmée, et on nous le prouve à nouveau avec l'arrivée en France de Ryoma Nomura, un auteur qui a débuté sa carrière au milieu des années 2000 et qui n'a que deux séries longues à son actif. Cavale vers les étoiles (en japonais Kinu Roku, du nom des deux héroïnes), est la deuxième. Conçue en 2013-2014 pour le magazine Afternoon de Kôdansha, cette série en 12 chapitres, qui flirte avec le cyberpunk, a été compilée au Japon en deux volumes reliés. Pour l'édition française, Sakka a choisi de tout regrouper en un joli pavé d'environ 330 pages.


Ici, dans cette réalité alternative, tout commence par une échappée. Celle d'une étrange gamine nommée Kinu, qui parvient à s'enfuir d'un lieu où un certain Manuma et ses sbires la tenaient enfermée. Mais ces derniers, travaillant pour l'Empire britannique qui a étendu son pouvoir sur une bonne partie du monde, sont bien décidés à la récupérer, car Kinu est le fruit le plus abouti de leurs recherches visant à exploiter la génétique et les technologies martiennes pour créer de puissants combattants. S'engage alors une course-poursuite où Kinu croise très vite la route de Roku, une vendeuse de nouilles aux jambes mécanisées qui n'a rien demandé du tout à personne, mais qui va se retrouver embarquée dans la cavale. L'objectif de cette fuite ? Il est simple : Kinu a beau être née artificiellement dans le laboratoire scientifique où elle était retenue, elle se sent martienne, et est bien décidée à rejoindre sa planète d'origine ! Mais la tâche s'annonce un peu délicate, car cela fait bien longtemps que Mars a coupé toute relation avec la Terre... Kinu et ROku devront essayer de retrouver une ancienne fusée sous l'eau, mais la tâche ne sera pas facile, car l'Empire britannique ne sera pas forcément le seul obstacle...


Ryoma Nomura ne s'embarrasse pas vraiment d'une entrée en matière très détaillée et nous immisce très vite dans le vif du sujet : la cavale de nos deux héroïnes, qui, d'un bout à l'autre, est diablement bien rythmée. Et ce n'est qu'au fil de cette course-poursuite haletante que l'on apprend, en filigranes, l'état du monde, et le passé qui l'a rendu ainsi. Autrefois en contact avec la Terre, Mars a ensuite déclaré son indépendance et a mis fin à ses relations avec la Terre. Et si la planète rouge avait pu être rapprochée de la nôtre, c'est sans doute en grande partie grâce à la Grande-Bretagne qui, près de 70 ans auparavant, a apporté nombre d'innovations technologiques, physiques et biologiques visant à l'aider à étendre son pouvoir sur la planète. Désormais, il n'y a plus aucun vol habité vers Mars, et la Terre connaît une sorte de "guerre passive" découlant d'une ancienne grande guerre et voyant s'opposer diverses factions : l'Empire britannique donc, mais aussi ce qui reste de l'Union soviétonne, un certain "Bataillon du 5è hiver" qui veut provoquer une nouvelle période glaciaire, ou encore le groupe Canary qui a pour rôle de soutenir la race martienne. Bref, un joyeux bordel qui est savamment distillé au fil des chapitres, sans pour autant être très détaillé, car forcément, en seulement 12 chapitres l'auteur va à l'essentiel. Simplement, il présente et enrichit son univers juste suffisamment pour porter efficacement son récit.


Un récit qui repose donc surtout sur l'action, le rythme et les personnages. Sur ce dernier point, Ryoma Nomura fait de l'excellent travail avec son duo d'héroïnes pas forcément bien assorties au départ, mais qui vont peu à peu se lier. 


Autant bien le dire, Kinu est une jeune fille formidablement badass : elle résiste à tout (y compris aux grenades et aux haches), renvoie des tirs de balle au couteau, arrache des bras à mains nues, le tout avec une mine souvent renfrognée et une façon de parler assez cash (s'il y a un truc qu'elle n'aime pas et ne veut pas faire, elle le dit, point), ce qui donne lieu à de l'action souvent assez décomplexée. La miss est insoumise, n'a aucune envie qu'on modèle son esprit et son corps, et ne s'écartera jamais de son désir de rejoindre Mars.


A ses côtés, Roku, embarquée dans la fuite malgré elle, se veut plus posée, un peu plus craintive aussi... mais elle est aussi, surtout grâce à ses répliques souvent décalées (sur ce point, bravo à la traduction de Wladimir Labaere !), la première à amener un humour qui est finalement très présent au fil de l'oeuvre.


Autour d'eux, une galerie de personnages très chouettes pour la plupart. Certains auraient mérité d'être un peu plus en avant, tandis que d'autres accomplissent très bien leur rôle. On pense notamment à certains alliés, notamment un qui se retrouve vite réduit à l'état de simple tête.


Au fil de cette cavale assez dingue, on a deux héroïnes amenées à évoluer ensemble, de façon classique, mais efficace. En plus de nouer une certaine amitié, Kinu et Roku changent quelque peu en leur for intérieur au bout de l'aventure. On sent bien que Kinu s'est un peu humanisée aux côtés de Roku, cette dernière étant même la seule à qui elle sourit à un moment. Quant à Roku, dont on a l'occasion de découvrir un peu le passé (pourquoi elle a des jambes mécanisées) et le contexte familial, on la retrouve un peu différente à la fin.


Nomura emballe les choses dans un style graphique bien marqué et riche. Ses moments d'action ne sont pas forcément toujours un modèle de fluidité, mais ils dégagent toujours l'ambiance adéquate, notamment grâce aux coups que se prennent souvent les personnages (parfois, heureusement qu'ils peuvent remplacer leurs membres, même s'il y en a un qui devient plus long que l'autre), à une excellente utilisation des onomatopées qui ont dû être entièrement et fidèlement traduites (chapeau, d'ailleurs, au travail d'adaptation graphique de Martin Berberian de B.L.A.C.K Studio, que l'on sent très investi et qui n'a pas dû être facile), et surtout grâce à un gros travail sur des plans assez rapprochés et serrés qui deviennent presque suffocants parfois. C'est globalement assez sombre, on voit rarement de la lumière, et d'ailleurs il y a énormément de noir, de trames réussies et d'encrages assez profonds. 


A cela, l'artiste ajoute pas mal de petites trouvailles immersives : une vue de Big Ben dans un cadre bien différent de notre réalité, des insectes et oiseaux espions, des cyborgs au design efficace, des arbres mutants, un labo sous Glasgow...


Et au final, Cavale dans les étoiles, c'est de la bonne petite came assez allumée, un brin hallucinogène, et très efficace dans son genre pour passer un bon moment, même si forcément on aurait adoré en voir plus. L'oeuvre parvient à allier, en seulement 330 pages, un univers SF/cyberpunk globalement réussi, un bon sens du rythme, de l'action plutôt bien menée, de l'humour décalé bienvenu, un duo d'héroïne super chouette... A tester !


Le pavé que nous offre Sakka/Casterman est de bonne qualité, avec un papier bien épais et suffisamment souple, et une impression en Italie chez Lego excellente et faisant bien honneur au travail de l'auteur (surtout pour les variantes dans les noirs et les trames). Pour l'édition française, l'éditeur a également imaginé une jaquette réussie, car elle donne déjà une bonne idée du contenu.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs