Bonne nuit Punpun! Vol.13 - Actualité manga
Bonne nuit Punpun! Vol.13 - Manga

Bonne nuit Punpun! Vol.13 : Critiques

Oyasumi Punpun

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 20 Septembre 2016

Ainsi se termine cette fresque sociale ; un des gekigas les plus éloquents jamais édifié : et celui d’un auteur qui ne sera plus à présenter pour les amateurs du genre. Néanmoins, il conviendra de prononcer certaines nuances, en dépit de la haute qualité de tout cela.

Un  voyage intime pour un rendez-vous avec le néant


D’abord, il sera conté en l’espèce un noir spectacle, dont agonisera le pâle lecteur. Car, après avoir, lors du précédent tome, laissé apercevoir un frêle rayon de soleil venant transpercer les amas de brumes, le récit va, de manière assez unilatérale, faire naufrage vers de sombres contrées. Au réveil, dans un endroit de fortune – perdu et paumé – Punpun est confronté à la perte de l’être aimé ; porté par un dessin, une mise en scène et une narration assez implacable : le lectorat pourrait bel et bien être pris de l’envie de vomir à raison d’un nauséabond plus vrai que nature. Punpun relève sa bien-aimée, il la porte sur son dos, il lui parle… il a réfléchi… le simple fait de vivre avec elle suffirait à le combler au-delà de tout ; il est trop tard désormais. Et c’est lors de cette séquence où ledit Punpun s’adresse à Aïko, en la promenant dans le déni et en poursuivant son périple vers un lointain inconnu, qu’il n’aura que rarement autant été ressenti le sentiment selon lequel les protagonistes et les lecteurs s’engouffrent sans cesse et toujours davantage dans l’abîme pesante, encore et encore. Un passage d’une puissance presque incommensurable, insupportable : une marche en enfer.

Mise en exergue de défaillances sociétales nippones

Il serait assez tentant de dire qu’ici, et une fois de plus, Inio Asano dépeint les aléas d’une jeunesse désabusée, paumée ; mais cela ne serait qu’imprécis. La thématique principale de cette série, si elle pouvait être partiellement perçue depuis le tout premier tome, consiste à cristalliser une problématique de société nipponesque – et encore présente dans l’ensemble des pays du globe – laquelle réside dans un paradoxe indécent : d’une part, et d’un côté, voilà des disparités sociales béantes, à raison desquelles certains enfants naissent dans un environnement familial et social, plus que discutable, qui pourra les vouer à l’échec par le seul fait d’être né au mauvais endroit ; et, d’autre part, si cette société n’offre donc point les mêmes droits à ses ressortissants, elle ne manquera jamais néanmoins de leur imposer les mêmes obligations, notamment la sélection lycéenne et universitaire exacerbée – principale cause de décès par suicide au sein de la jeunesse japonaise, un sujet tabou –. Ainsi, la pauvre Aïko, fille lambda animée des rêves les plus simples de la terre, avait pu voir le jour dans un environnement familial indigne et préjudiciable lequel, dans l’indifférence générale, allait lui broyer l’existence.

« Good Vibrations »

Depuis bien des tomes, le lectorat aura remarqué la prise d’importance croissante dans le récit d’une intrigue relative à un gourou de secte pour le moins étrange, et c’est peu dire. Si ce fil conducteur constitue le point de chute de nombreux personnages secondaires, il semble avoir une importance qui transcende lesdits protagonistes pris individuellement. En effet, le maître de secte, appelé Pegasus, paraît être construit sur un parallélisme et tel le strict opposé de Punpun lui-même : un personnage qui ne cesse de faire du bruit avec sa bouche et dont les propos, régulièrement décousus, peuvent souhaiter l’amour pour l’humanité toute entière ; humanité qu’il souhaite sauver, dit-il dans ses psalmodiassions. Dans les faits, ce personnage tente en réalité d’organiser un suicide collectif de masse lequel, en l’espèce, va échouer. De facto, et concrètement, puisque celui-ci va perdre la vie en manquant à convertir les autres à la mort, il aura manifestement sauvé l’humanité tout entière. Si cette figure de style est assez capillotractée, il conviendra également de se demander si ce fil conducteur – qui a toutefois pour mérite d’être clair à l’égard des sectes et des pratiques de suicides collectifs sur l’archipel – était réellement nécessaire, pour ne pas dire un peu léger, voire ordinaire : à chacun d’apprécier.

Un final ultra-classique dans son dénouement et quasi magistral dans son orchestration ; … jusque dans ses aspects relativement discutables

Si l’auteur a choisi un dénouement aussi ordinaire que la banalité du tout premier tome, celui-ci est d’une justesse et d’une précision chirurgicale : le changement de référentiel en fin d’ouvrage afin d’accentuer l’abstraction du protagoniste principal est d’une grande maîtrise ; l’ellipse-rêveuse, lors de laquelle Punpun s’adresse à son amour perdu, en proie au temps qui passe et à l’érosion des souvenirs, est un des moments les plus beaux et les plus bouleversants qui pourra être lu, absolument poignant à en mourir ; et le fondu scolaire final afin d’évoquer le caractère cyclique, voire quasi perpétuel, de tout cela, comme si rien n’avait changé – puisque rien n’a changé – constitue une critique véhémente à l’égard de l’état de la société actuelle : comme une limite de l’humain à méditer quant à l’évolution de sa propre condition ; sans rentrer dans la politique, cela serait hors sujet ici. En dépit du haut degré de sophistication de tout cela, il conviendra néanmoins de s’interroger quant au choix effectué par l’auteur dans le cadre du dénouement, afin de mettre au mieux en exergue ce qu’il souhaitât dépeindre : est-ce que le sort réservé au protagoniste principal féminin était le plus approprié afin d’accorder au récit toute la portée souhaitée ? En l’espèce, le triomphe de la pulsion de mort pourrait aussi être ressenti comme une victoire des injustices sociales affaiblissant le message accusateur. Sans doute est-il davantage aisé, et tentant pour un auteur, de réserver un sort aussi néfaste à un protagoniste ; mais il est une autre affaire que celle de créer les conditions de la résurgence de celui-ci, dans la réflexion et la quête de soi-même vers, éventuellement, une victoire face au modèle en place afin de mieux en dénoncer les failles. Par ailleurs, Aïko n’avait-elle pas suffisamment souffert toute sa vie durant pour avoir acquis le droit de cultiver son petit jardin – comme elle le désirait tant – à l’écart de la civilisation et en compagnie de son amour d’enfance ? Cela n’aurait-il pas eu davantage de poids afin de pointer le manque d’âme, à certains endroits, du monde d’aujourd’hui ?

Parmi les colonnes du Panthéon Gekiga…

D’abord, et si, sur analyse comparative des mangas du marché actuel, une telle fin est assez incroyable, le lecteur sera sans doute en droit de se demander, eu égard aux capacités d’Inio Asano, s’il n’aurait pas été en mesure de livrer un dénouement plus encore sophistiqué. Puis, en dépit de tout ce qui pourra en être dit, Inio Asano en sus d’avoir parsemé sa fresque de thématiques chères à ses ainés – la banalité de la vie et des sentiments amoureux (Osamu Tezuka) ou encore les troubles de l’enfance (Kazuo Kamimura) – aura mêlé  celles-ci aux carences sociétales susdites. Il y aurait tant de choses à dire sur cette épopée, mais il en sera resté là. Enfin, c’est avec le cœur qui saigne qu’il pourra être refermé le dernier pavé de « Bonne Nuit Punpun ! ». Lequel aura figé sur papier, comme les hiéroglyphes des pyramides d’autrefois, bien des aspects de notre époque qui, sur treize ouvrages, fait prendre conscience du retard immense quant à la prise en considération de tout un chacun : trop de vies entières continuellement gaspillées et aliénées dans la plus grande indifférence générale : homicide de masse silencieux... Désormais, avec cette œuvre, Inio Asano pourra sans doute pouvoir prétendre à prendre place de choix au panthéon des auteurs du genre gekiga.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Alphonse
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs