Taifu comics - Actualité manga

Taifu comics

Interview

Interview n°3

Interview n°2

Interview n°1

Les éditions Taifu, Ototo et Ofelbe ont une histoire particulière dans le paysage de la culture populaire japonaise en France. Toutes solidement liées, elles répondent à une évolution de ce que fut initialement Taifu Comics qui, au fil des années, s’est ouvert à de nouvelles perspectives et a développé sa politique éditoriale. A l’occasion de la naissance d’Ofelbe et des projets grandissants des trois éditeurs et de Japan Expo, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Guillaume Kapp, attaché presse des maisons d’édition qui est revenu en détails sur leurs évolutions.


Ototo fut créé en 2012, c’est une maison d’édition agissant en parallèle à Taifu et qui avait pour optique de proposer du shônen, du shôjo et du seinen. Quelle fut la réflexion autour de ce nouveau label ?

On va d’abord faire un rapide historique car beaucoup pensent, surtout les plus jeunes, que Taifu a toujours édité des yaoi, des yuri et du hentai, et que la maison d’édition a été fondée pour ça. Ce n’est pas vraiment le cas car Taifu éditait, auparavant, du seinen, du shôjo et du shônen, des titres comme Akumetsu, Tout sauf un ange et bien d’autres. Une grosse concurrence est arrivée quand le marché du manga s’est vraiment développé, les collections shônen, shôjo et seinen de Taifu ont eu du mal à y faire face. Pour combler le déficit de vente et parce que nous comptions des personnes curieuses qui réfléchissaient à des possibilités, on a remarqué des marchés de niche comme le hentai et le yaoi. On a bien vu qu’il y avait des choses à tenter mais il fallait faire attention. Certains éditeurs, comme Tonkam pour le yaoi, en publiaient mais peu de titres du genre sortaient.

On s’est lancés dans le yaoi et le hentai, surtout le yaoi car c’est ce qui faisait un gros buzz à l’époque, et nous avons sorti tellement de titres que Taifu a eu l’étiquette de l’éditeur yaoi et hentai. Cette étiquette nous a aidé du côté de la communauté yaoïste qui est très active, mais elle était difficile à entretenir pour éditer du shônen et du seinen. Il est en effet difficile de proposer, sur un même stand lors d’un salon, des titres pour un public averti, et des séries pour un jeune lectorat. Même du côté des libraires, on prend l’étiquette de l’éditeur yaoi/hentai quand on leur propose une trentaine de nouveautés du genre et seulement quatre ou cinq nouveautés ou nouveau volume shônen et seinen sur l’année. On a bien vu qu’éditer du shônen, shôjo et seinen chez Taifu Comics était difficile, on a même arrêté pendant un moment, pendant quelques années même puisqu’il n’y avait plus rien depuis Merry Nightmare.

Puis un peu avant 2012, l’équipe éditoriale a voulu revenir à ses premiers amours en publiant de nouveau du shônen et du seinen ainsi qu’un peu de shôjo. On a pensé que la solution était de créer un nouveau label qu’on ne rattacherait pas à Taifu Comics dans un premier temps afin qu’Ototo ait sa propre communauté, sa propre ligne éditoriale... soit en fait reconnu comme un éditeur à part entière. Nous avons donc lancé le nouveau label et en une première année, nous avons eu cinq nouveautés que sont Adekan, Samidare, Spice & Wolf, Dangereuse Attraction et Welcome to Hotel Williams Child Bird. On a donc publié différents registres même s’il faut avouer que ça n’a pas été tout de suite simple pour Ototo puisqu’on s’est lancés au moment où le marché du manga connaissait sa première baisse. Aussi, la concurrence était déjà grande mais a augmenté en deux ou trois ans en termes d’éditeurs et de titres sur le marché. Pour les premières oeuvres, on avait sélectionné des titres et des auteurs peu connus si bien que même si les séries étaient de qualité, nous avions du mal à les lancer. Samidare et Adekan ont, par exemple, été des lancements difficiles, même cas pour Dangereuse Attraction même si l’autrice était déjà très connue. Après, chaque auteur fait son temps, il est possible que Takako Shigematsu n’était plus à la mode en ce moment, ça arrive souvent sur des auteurs de yaoi. Heureusement, nous avons eu Spice & Wolf qui fut la première locomotive d’Ototo, la série ayant séduit les médias et les lecteurs. Ça nous a aussi permis de faire nos premiers pas avec l’éditeur Kadokawa pour ensuite publier Fate/Zero et, bien entendu, Sword Art Online.



Concernant le yaoi, Taifu s’impose comme un précurseur, le Boy’s Love étant arrivé après. Vous êtes maintenant bien calé sur le secteur et avez une communauté, mais est-ce que cette stabilité impacte le choix des titres que vous publiez ?

Je vais d’abord revenir sur le terme de précurseur parce qu’il y a d’abord eu Tonkam, on ne peut pas leur enlever le fait qu’ils sont un pionnier dans le Boy’s Love et ont permis au genre de se développer en France. Il y a ensuite eu Asuka.

Il est vrai que quand on est entré sur le marché du yaoi avec Taifu, on a fait une entrée en force en publiant beaucoup de titres. On a aussi voulu répondre à la demande des lecteurs qui était très forte bien qu’il y avait quand même quelques parutions. On s’est basés sur des autrices très attendues comme Toko Kawai et Hinako Takanaga. On a aussi publié d’autres mangaka connues mais qui n’ont pas eu le succès escompté comme Masara Minase ou Kano Miyamoto. Ce sont des choses qui arrivent car ce qui fonctionne au Japon ne fonctionne pas nécessairement en France.

Voilà pour le bilan des premières années. Vu que les titres marchaient, il y a eu un très fort développement, le marché arrivait à maturité et il y a eu une baisse des ventes qui s’est maintenant stabilisée. Il faut faire très attention avec un marché spécifique comme celui du yaoi. Les lecteurs se sont éduqués seuls : ils achetaient dans un premier temps tout ce qui sortait en yaoi sans forcément regarder. Ce n’est pas pour les dénigrer, c’est un peu comme l’histoire du manga en France dans les années 80, il y en avait tellement peu à l’époque que les lecteurs achetaient tout pour avoir leur dose. C’est la même chose dans le yaoi. On sortait ainsi des titres qui correspondaient aux clichés du yaoi, mais on s’est rendu compte que tous ces stéréotypes portaient atteinte aux qualités d’un genre, le yaoi ne se limite pas à des histoires de romances où deux garçons se disent « je t’aime » en dix pages et vont coucher ensemble la page d’après. Le genre ne se limite pas qu’à ça même si beaucoup de titres de cet acabit sont sortis dans un premier temps.



On a vu depuis trois ans que le lectorat demandait autre chose, il avait d’autres attentes. On a ainsi changé notre politique éditoriale en baissant la quantité de sorties par mois et par an, on tourne désormais autour de deux titres par mois sans compter les retards et les grosses périodes comme noël et Japan Expo où on sort davantage d’ouvrages. On fait très attention à la qualité scénaristique et à la qualité graphique désormais. On ne se concentre plus forcément sur des autrices et auteurs célèbres parce que les lecteurs ont envie de découvrir de nouveaux mangaka, ils veulent qu’on les fasse voyager. Quand on leur apporte un nouvel auteur, ça leur fait plaisir, surtout si le titre est de qualité. C’est pour ça qu’on a publié Aki Aoi avec Under the Blue Sky, Yuki Ringo avec Konshoku Melancholic, on a eu l’année dernière Mariko Nekono avec Nar Kiss… Des autrices pas forcément attendues mais qui aidaient le genre à se diversifier. La politique éditoriale est donc désormais la suivante : de la nouveauté, de la diversité, de l’originalité, et des titres qui peuvent casser les stéréotypes qui entourent le yaoi.

On aime aussi les œuvres qui parlent de sujets de société, on a par exemple publié trois œuvres qui traient de l’homoparentalité en un an. On a aussi sorti un récit qui parle de violences conjugales, Love Whispers Even in the Rusted Night d’Ogeretsu Tanaka. On compte aussi publier des titres sur le harcèlement scolaire… On aimerait traiter de la thématique de la découverte de l’homosexualité car on sait qu’il y a un public pour ce sujet. Notre lectorat est à 95% féminin mais on sait qu’on a des lecteurs masculins dont certains découvrent leurs sentiments. Des titres comme Seven Days parlent bien de la thématique de la découverte des sentiments. Ce n’est pas toujours simple de reconnaître qu’on aime une personne du même sexe, on doit d’abord faire face à soi-même, on doit pouvoir se regarder dans une glace en étant fier de ce que l’on est tout en pouvant se confronter au regard des autres. C’est des titres comme ça qu’on cherche à publier et qui permettront au genre d’être plus grand public. Ça permettra aussi au yaoi de cibler des médias généralistes et ne pas se limiter aux médias de genre.



Parlons maintenant du catalogue d’Ototo qui se distingue en deux segments. Il y a d’abord des titres qu’on connait seulement de nom en France, et d’autres qui se sont fait connaître par leurs anime comme Sword Art Online ou Accel World. Quelle stratégie pour le choix des licences Ototo ?

Comme je l’ai dit, on se concentrait au début sur des œuvres pas forcément connues, ce qui était compliqué pour un jeune éditeur qui n’a pas une force de frappe en termes de communication. Avec Spice & Wolf, on s’est recentré sur la Fantasy, un des genres les plus grand public qui fonctionne autant en manga qu’en roman. C’est aussi pour ça qu’on a édité Fate/Zero puis Magdala - Alchemist Path qui fut une grosse surprise. On a profité du succès de l’auteur de Spice & Wolf pour ce titre qui était un gros coup de cœur pour nous, et il a fonctionné. A partir de la période 2013-2014, on s’est intéressés davantage au marché du light-novel et on regardait de près Sword Art Online que publiait Kadokawa Corporation avec qui on s’entendait très bien. SAO connaissait un succès phénoménal, on pensait que ça pourrait être une superbe opportunité de publier ce titre, sans compter qu’il pourrait être une nouvelle locomotive de notre catalogue. Avec SAO, on a la chance d’avoir une licence très populaire qui fait toujours l’actualité. La conséquence est que les fans sont toujours à la recherche de nouveaux produits sur SAO. Nos attentes se sont confirmées avec l’arc Aincrad qu’on a publié en novembre 2014, on a observé des chiffres largement au-dessus de ce qu’on espérait. Il y avait vraiment quelque chose à faire sur ces séries qui ont une notoriété en France et une fanbase importante. Pour nous, petit éditeur, ce marché de manga déjà connus en France par un anime ou un jeu-vidéo représentait une véritable poule aux œufs d’or. C’est vrai que c’est devenu notre marque de fabrique, on ne s’en cache pas. Le fait que ces séries aient déjà un public facilite leur mise en place.

Il y a quand même un travail éditorial à faire car il faut suivre l’actualité japonaise et le retour du public car toute adaptation manga n’est pas forcément banco, il faut qu’elle apporte quelque chose pour le lecteur. Il se peut aussi que le manga soit le support d’origine et qu’il ait eu un anime qui soit connu en France mais si le support papier n’apporte rien de plus car le dessin-animé lui est fidèle, pourquoi le public le lirait ? Il faut une plus-value aussi bien graphique que scénaristique tout en répondant à des critères éditoriaux : de la Fantasy, que l’œuvre soit grand public et développe des thématiques à la mode.

Ototo se focalise, pour le moment, sur des licences cross-media. Notre modèle est Kadokawa Corporation qui a vraiment développé le cross-media au Japon, il en a même fait sa marque de fabrique puisque des light-novel, il a développé des adaptations manga, anime et cinéma. Alpha Polis est aussi un éditeur qui fonctionne sur ce schéma dont le meilleur exemple est Gate – Au-delà de la porte. On voit que ce schéma prend aussi en France et les lecteurs sont plus réceptifs quand on leur parle d’un titre déjà connu, mais il faut que le récit réponde à leurs attentes. Le but d’Ototo n’est pas de lancer une mode, nous n’en n’avons pas la force... encore.

Il faut que l’on sache où est notre place pour qu’on se développe petit à petit sans griller des étapes. Bien évidemment qu’on aimerait devenir un des principaux éditeurs français, mais on avance à notre rythme. On reste humble. Ensuite, on verra bien ce que l’avenir nous réserve. De notre côté, on y croit, c’est le principal.



Avec des séries comme Spice & Wolf, Sword Art Online ou encore Gate, vous êtes partis sur des œuvres cross-media qui avaient déjà une certaine fanbase en France du fait de leurs adaptations animées. Puis est arrivé Re:Monster, certes l’adaptation d’un light-novel mais qui n’est pas du tout connu chez nous à l’heure actuelle. Comment s’est porté votre choix sur cette œuvre ? Est-ce que la manière de promouvoir ce titre est différente par rapport à un blockbuster comme SAO ?

Oui et non. Dans tous les cas, il faut soutenir le lancement d’un titre, mais c’était encore plus vrai pour Re :Monster. On n'avait pas le droit de se manquer, car on ne pouvait pas compter sur la communication d’un anime, d’un jeu vidéo ou autre pour compenser. Pour cette raison, on a décidé de le lancer pendant la période Japan Expo. Cette effervescence permet de mettre davantage en avant un titre, de lui donner plus de visibilité. D’ailleurs, tous les éditeurs l’ont compris. C’est pour cette raison qu’on voit beaucoup de lancements de séries avant ou pendant Japan Expo. Ensuite, une question s’est posée : la série avant ou pendant Japan Expo. On a finalement décidé de la lancer avant, le 9 juin, car on voulait faire de la communication avant le salon, que les gens voient Re :Monster en librairie avant Japan Expo, même s’ils ne l’achetaient pas forcément. On souhaitait qu’ils puissent le feuilleter, le tenir dans leurs mains… On a ensuite appuyé la communication lors de Japan Expo en offrant de la visibilité à la série, sur le stand d’abord, mais aussi avec les bandes-annonces qui ont précédé les conférences ou les extraits distribués dans les files d’attente. Ça a aussi été le fruit de longues discussions et réflexions avec Japan Expo en amont. On a fait cet énorme travail de communication parce que Japan Expo, c’est 250 000 personnes et on avait besoin de la force d’un salon comme ça et d’une si grande présence du public pour continuer à lancer la série, développer les ventes et faire en sorte que l’écoulement du tome 1 perdure jusqu’au second opus qui sortira le 10 novembre 2016. On espère aussi une actualité autour de Re:Monster pour l’année prochaine, même si nous n’avons pas d’informations à ce sujet.


  
Comme vous l’avez dit, Re:Monster est un titre qui sort de notre stratégie car ce n’est pas une œuvre connue en France. Pourquoi l’a-t-on choisi ? Parce qu’on évolue nous aussi, c’est bien de s’appuyer sur des titres qui ont déjà un certain succès mais c’est aussi bien de faire découvrir des nouveautés aux gens, comme on a pu le faire avec Taifu dans un troisième temps. Ototo va peut-être suivre le développement de Taifu Comics et entrer dans une nouvelle phase. On va continuer à s’appuyer sur des titres connus, mais peut-être lancera-t-on aussi des séries moins populaires. On se lancera des défis à travers des œuvres qui n’ont pas la même notoriété mais répondent aux attentes du marché du manga en France, mais aussi à celles des lecteurs puisque Ototo est parvenu à créer une communauté autour de lui.

On cherche aussi à faire grandir notre communauté : Sword Art Online et Accel World nous ont permis de conquérir les amateurs de shônen, mais on voulait aussi revenir au seinen. On ne va pas le cacher, on est des fans de seinen chez Ototo, on aime ce qui est plus psychologique, sombre et torturé. C’est toujours agréable quand une œuvre a une seconde lecture, c’est notamment le cas avec Gate et ses intrigues géopolitiques ou Re:Monster avec la dimension MMORPG et le côté journal de bord… Les prochains titres fonctionneront ainsi, on se focalisera encore sur la Fantasy avec des licences plus ou moins connues, mais il y aura de la nouveauté. Le catalogue va évoluer en 2017 à travers certaines licences. Un gros défi nous attend l’année prochaine à travers un nouveau titre qui sort totalement de notre ligne éditoriale et qui n’a qu’un seul point commun avec des récits comme SAO ou Spice & Wolf. Là encore, on montre qu’on cherche à se développer, se lancer des défis et proposer aux gens des titres plus travaillés qui ont une portée sociale.

Pour le moment, on mise beaucoup sur la Fantasy mais est-ce que ce sera le cas demain ? Oui, mais on y mêlera une dimension sociale pour rendre Ototo plus grand public et peut-être conquérir des lecteurs plus matures. Parce que c’est aussi le but du catalogue : grandir avec ses lecteurs. Sword Art Online et Accel World s’adresse aux 10-12 ans mais ces jeunes vont grandir et si on veut ne pas perdre ces lecteurs, il faut leur apporter des licences un peu plus matures même si SAO et Accel World ont un côté social et traitent de la place des nouvelles technologies et de leur rôle dans la socialisation d’une génération en manque de repères.



Les light-novel étaient attendus en France avec une certaine impatience. Lors de son lancement en 2014, Ofelbe a d’abord accueilli Sword Art Online et Spice & Wolf dans son catalogue. Quelle fut la réflexion par rapport à ces premières licences ?

Il convient d’abord de préciser certaines choses concernant Ofelbe et ses liens avec Taifu et Ototo. Ofelbe et Euphor (qui regroupe les éditions Taifu et Ototo), sont des sociétés indépendantes mais ont un responsable commun, Yves Huchez. Certaines personnes font toutefois le lien entre l’univers manga et l’univers light-novel car il y a des liens entre ces deux mondes. Ofelbe compte des personnes spécialisées dans le roman car la traduction / adaptation dans le roman n’est pas  du tout la même que celle dans le manga.

La réflexion a commencé chez Ototo en 2012, à partir du moment où on a publié Spice & Wolf. Des lecteurs trouvaient ça génial d’avoir le manga, mais ils voulaient le light-novel d’origine. On est restés attentifs à cet engouement, pourquoi pas après tout ? On a ensuite publié Fate/Zero, puis on s’est intéressés à Sword Art Online en prenant contact avec l’éditeur japonais…

L’engouement autour de ces licences nous a incités à nous intéresser au marché des light novels. Yves Huchez a alors pris contact avec Kadokawa pour leur parler de son projet : Ofelbe, éditeur spécialisé dans la publication de light novels. Pour le lancer au mieux, il fallait deux licences fortes : Sword Art Online et Spice & Wolf. Ce dernier est l’une des premières séries de ce type à avoir eu cet engouement, puis est arrivé SAO qui a aussi fait le buzz et permis au marché du light-novel japonais de rentrer dans une phase de développement incroyable.

Kadokawa était intéressé par notre envie de faire connaître ce format en France. Cela permettait de faire connaître des œuvres originales. La stratégie cross média fut un autre argument.

Le choix de s’appuyer sur ces deux sagas incontournables quand on parle de light novels a été payant.

Pour SAO, sur quatre tomes sortis, on est autour de 50.000 exemplaires vendus sachant que le premier tome correspond à 25 000 exemplaires à lui seul. Après, il faut être conscients que SAO est un phénomène à part et qu’il ne correspond pas forcément au potentiel du marché en France. Chaque titre a son potentiel qui dépend de sa fanbase et de sa capacité à plaire au grand public, les lecteurs de romans.

Il y a très peu de phénomènes comme Sword Art Online, il convient alors d’avoir une vision plus réaliste du marché. Ce sont des œuvres comme Spice & Wolf, Log Horizon et peut-être DanMachi, récemment sortis, qui nous apporteront cette vision réaliste.

 

Le but des éditions Ofelbe est évidemment de s’appuyer sur la fanbase de light-novel et de culture pop japonaise, mais aussi de se développer en s’appuyant sur le lectorat roman. On ne communique d’ailleurs pas dans le roman comme on communique dans le manga. Des sites comme Manga News englobent toutes les actualités des éditeurs de manga, mais il n’y a rien comme ça pour le roman, sauf des sites comme Babelio qui répertorient les critiques. On procède à une autre méthode de travail pour capter l’attention du lectorat : on passe notamment par les blogueurs, les booktubeurs… c’est presque un autre monde car ce ne sont pas des professionnels mais des lecteurs qui font ça par passion. Cette relation est presque un pari car elle repose sur la confiance, il faut les contacter personnellement, être proche d’eux pour les éduquer et qu’il n’y ait pas d’amalgame entre light-novel et manga…

On doit aussi faire un gros travail pour faire comprendre aux médias généralistes que les light novels ne sont pas des mangas. Il s’agit bel et bien de romans... de romans japonais... avec des spécificités propres à la culture japonaise.
Pour les convaincre, on communique sur notre volonté de faire découvrir à une jeune génération un autre pan de la culture littéraire japonaise. On s’appuie sur le fait que nos ouvrages sont des œuvres originales et qu’ils peuvent apporter une nouvelle expérience de lecture et faire découvrir de nouveaux horizons, une autre facette de la culture pop japonaise.

Pour que nos ouvrages répondent à nos attentes et celles des lecteurs, il a fallu faire un énorme travail au niveau de la traduction, de l’adaptation tout en restant très proche des textes originaux.

On ne va pas le cacher, les light-novel ont un style très direct car ils sont faits pour être lus rapidement, dans les transports en commun par exemple. En général, il n’y a pas beaucoup de descriptions, c’est beaucoup de dialogues… on va directement à l’essentiel. C’est assez différent d’un roman ordinaire qu’on pourrait trouver chez n’importe quel éditeur littéraire. On doit donc faire un gros travail non pas de réécriture mais d’adaptation afin de leur offrir une expérience de lecture qui les fasse rêver. C’est pour ça qu’on ne peut pas sortir un light-novel comme on sort un manga, ça nous prend 6 ou 7 mois pour sortir un opus de 650 à 700 pages.

Le light-novel est une envie de faire découvrir un autre pan de la culture populaire japonaise, en faisant attention à notre travail d’édition et d’adaptation. On veut vraiment plaire au grand public, c’est ça qui permettra à Ofelbe de se développer.


Sword Art Online et Spice & Wolf, pour ne citer qu’eux, ont été publiés sous un certain format. Dernièrement, DanMachi et Durarara !! ont inauguré la collection LN – Light Novel dont les volumes sont plus fins que les précédents. Quelle fut la réflexion derrière cette nouvelle collection ?

C’est en début d’année que nous avons annoncé la création de cette nouvelle collection. Les gens nous ont beaucoup questionnés sur le nom LN – Light Novel sachant qu’on publiait déjà du light-novel, une question qu’on peut comprendre.

Dans le light-novel, il y a beaucoup de titres et beaucoup de genres. C’est aussi diversifié que le manga qui comprend des titres très ancrés dans la culture populaire japonaise et d’autres un peu moins, plus historiques parfois, par exemple Cesare ou Les Gouttes de Dieu. Ils ne suivent pas vraiment les codes de la culture pop nippone et traitent davantage de la culture occidentale. C’est un peu la même chose dans le light-novel qui comprend des titres très grand public comme Sword Art Online qui peuvent plaire aux lecteurs de roman car les codes de la culture japonaise sont moins présents.

Avec la première collection, qu’on appelle désormais collection classique, on avait une gamme d’abord tirée sur la Fantasy, un des genres qui fonctionne le plus en roman jeunesse, et qui se destinait au grand public. Mais pour la diversité du catalogue, on ne pouvait pas seulement se concentrer sur des récits de Fantasy. Dans le light-novel, les fans sont frustrés de tant d’années d’attentes, ils veulent tout découvrir ! Je ne vous raconte pas le nombre de titres qu’on a retenu des lecteurs, on a tellement de références qu’on pourrait écrire un mini-dictionnaire. (rires) On a donc pensé qu’il fallait relever de nouveaux défis, raison de la création de la collection LN – Light Novel.

Pourquoi ce nom ? Tout simplement parce que c’est l’essence même de la culture light-novel : cette collection est vouée à être très diversifiée. Il y aura des limites bien-sûr, mais il y aura autant de la Fantasy que de la tranche de vie, de la romance, de la Science-Fiction, de l’historique…

On fera attention à nos choix sachant que nos light-novels sont classifiés en tant que romans jeunesse et doivent répondre à plusieurs lois françaises, c’est d’ailleurs une distinction entre le marché américain et le marché français, les américains étant soumis à moins de lois que nous. On continuera donc de répondre à certains critères car si on ne le fait pas, l’image des light-novel va en pâtir, Ofelbe aussi, et c’est le développement du format en France qui sera remis en cause.

DanMachi est censé être la série qui fait exactement le pont entre la collection classique et la collection LN – Light Novel, c’est de la Fantasy mais elle répond aux codes de la culture pop japonaise. C’est d’ailleurs une réflexion qu’on nous fait, DanMachi aurait-il pu paraître dans la collection classique ? En fait, non. Il n’y a qu’à voir les illustrations des déesses, les lecteurs de roman n’en ont pas forcément l’habitude, ça peut même être un frein pour eux, là où les fans de culture japonaise sont en terrain connu en voyant des demoiselles qui se palpent la poitrine. C’est toute cette réflexion qu’il y a eu derrière la collection LN – Light Novel. C’est aussi pour ça que le logo Ofelbe est mis simplement sur la quatrième de couverture dans cette collection, on ne veut pas que les gens se trompent et confondent les deux labels, d’où aussi le changement de format.

Quant à Durarara !!, c’est simplement le Quentin Tarantino du light-novel. L’auteur sort des titres vraiment « what the fuck » avec des univers qui le sont tout autant, il a la faculté qu’a Tarantino de tisser une toile d’araignée, partir de chacun de ses points pour que tout se rejoigne. C’est ce que font Durarara !! mais aussi Baccano !. C’est tellement original et atypique que le sortir à côté de Sword Art Online et Log Horizon aurait pu déboussoler les lecteurs.

Il faut faire très attention à la ligne éditoriale. Chaque collection a ses libertés et ses limites, on réfléchit ainsi aux prochains titres qui entreront dans la collection LN – Light Novel ainsi que dans la collection classique, même si celle-ci va s’enrichir de The Irregular at Magic High School dès le 27 octobre 2016.



On a réfléchi au changement de format de la nouvelle collection pour distinguer les deux labels, mais aussi parce que le format des LN – Light Novel se rapproche davantage du format japonais qui comprend uniquement des tomes simples. C’est d’ailleurs le même format que Yen Press en Amérique. Il est plus fin, plus facilement transportable et ça fait moins peur en terme de nombre de pages, car c’est vrai qu’un lecteur seulement habitué aux mangas qui découvre un light-novel et tombe sur un pavé de 450 pages pourrait être découragé. Même au niveau du prix, c’est plus proche de ce qui se fait au niveau du manga.

D’ailleurs, on a pu voir que les premiers retours autour de cette collection ont été très positifs. Les lecteurs apprécient ce nouveau format pour tous les points que j’ai évoqués juste avant.

Les tomes se lisent plus facilement et le rythme de publication (3/4 mois entre chaque tome) leur convient.


Citrus vient relancer le catalogue yuri de Taifu qui était en berne depuis plusieurs mois. Quel bilan pour les deux premiers tomes ? Est-ce un bon présage pour le futur de la collection qui a eu du mal à vivre par le passé ?

On ne peut pas le cacher, Citrus est un peu la dernière chance pour le catalogue Yuri car si la série ne marche pas en France, sachant que c’est l’une des plus attendues, alors on serait en droit de se poser des questions sur le potentiel du yuri dans le pays.

Que les lecteurs se rassurent, Citrus fonctionne bien, il fonctionne même très bien. Bien-sûr, ce n’est pas les mêmes chiffres de vente qu’un shônen ou un seinen. Le tome 1 continue à se vendre alors qu’il est sorti il y a neuf mois, c’est un très bon signe. On a fait un espace Citrus à Japan Expo avec une grande bâche et une bande-annonce spécialement réalisée par les japonais pour promouvoir la série en France, un réel effort est fait de la part des ayants-droits japonais et ça fait plaisir.

Mais voilà, est-ce que Citrus représente à lui seul le marché du yuri en France ? C’est la question qu’on se pose désormais. En faisant une grosse comparaison, si Citrus est au yuri ce que Sword Art Online est au shônen, alors il y a un très grand fossé entre Citrus et le reste du catalogue yuri. Personnellement, je ne pense pas que Citrus représente à lui seul le marché du yuri en France, il faut donc faire attention au réel potentiel de ce marché. De notre côté, on pense que, tout comme Girl Friends à l’époque, Citrus a eu la capacité de plaire à des lecteurs qui ne sont pas forcément fans de Yuri et c’est un point qui nous fait forcément réfléchir. Il va donc falloir faire attention aux titres qu’on sélectionne par rapport à ce nouveau critère et se tourner sur des titres qui ne vont pas intéresser uniquement les fans de Yuri. On espère également que Citrus permettra au genre de mieux se faire connaître en France. La chance du Yuri est que ce marché est sans doute plus ouvert au grand public que celui du Yaoi (je ne vais pas me lancer dans une explication qui serait HS...). Pour finir, on ne peut pas promettre autant de sorties yuri que de sorties yaoi mais peut-être qu’en 2017, quand on aura rattrapé la publication japonaise, on publiera de nouvelles séries mais ce sera toujours avec une extrême vigilance.



On parle beaucoup avec les lecteurs de yuri et de Citrus, on écoute leurs suggestions et on fait nos recherches de notre côté. Vu que nous avons la chance d’aller un peu plus au Japon, on s’y rendra sûrement, plus spécialement dans les librairies pour tenter de dénicher des petites perles. C’est vrai que pour un éditeur, la possibilité d’aller ou non au Japon change sa façon de travailler, on peut avoir une meilleure visibilité du marché japonais. Ce n’est pas parce qu’on lit les magazines de prépublication qu’on a une image suffisante du secteur du yuri. Un éditeur de manga fonctionne comme un brocanteur qui arpente les différents lieux pour trouver les perles rares. Pour nous, cela concerne par exemple des petits éditeurs qui ne font pas parler d’eux en France.

On espère que ces évolutions et celles citées précédemment porteront leurs fruits en 2017 et 2018. On a en tout cas de beaux projets, le catalogue yaoi est bouclé jusqu’à Japan Expo 2017. Pour Ototo, trois nouveaux titres sont assurés pour 2017 avec notamment Overlord et Bungô Stray Dogs que nous venons d’annoncer et qui arriveront en librairie dès début 2017. Franchement, nous sommes très impatients d’être en 2017 afin de vous faire découvrir nos prochaines licences, même si certaines seront annoncées avant la fin de l’année !

L’avantage d’une maison d’édition à taille humaine, c’est que chaque personne peut mettre sa patte à l’ouvrage. C’est toujours mieux quand on a plusieurs regards et que ceux-ci sont pointés dans des directions différentes. Notre horizon s’agrandit.


Interview réalisée par Takato et Koiwai. Merci à Guillaume Kapp pour sa participation.

Mise en ligne le 25/10/2016.