Kaze Manga - Actualité manga

Kaze Manga

Interview

Interview n°3

Kazé fait partie des pionniers de l’animation japonaise. Fondé en 1994 par Cédric Littardi, le groupe s’est diversifié en éditant du manga à partir de 2009, reprenant les titres qui ont fait la joie du catalogue Asuka, et faisant de ce dernier sa collection Boy's Love. Pour célébrer cet anniversaire, Japan Expo 15ème Impact fut l’occasion de nous entretenir avec Mehdi Benrabah, directeur éditorial de Kazé Manga depuis environ un an, pour dresser un bilan de ces cinq premières années d’édition papier.



Bonjour Mehdi. Ça ne fait pas très longtemps que tu travailles chez Kazé, mais peux-tu nous parler de l’évolution du label manga ?

Mehdi Benrabah : En effet, je ne suis pas là depuis 1994 mais j’ai l’ancienneté de Kazé Manga, c’est-à-dire 5 ans. L’évolution du label est impressionnante, car il n’a cessé d’accueillir de nouvelles licences toujours plus prestigieuses, ce qui donne une belle couleur au catalogue. Mais à côté des grosses têtes d’affiche, on a aussi essayé de proposer des auteurs, principalement issus du Jump Square, qui n’avaient jamais été publiés en France. Ça a été une réussite, par exemple avec des mangaka comme Kazue Kato avec Blue Exorcist, un titre qui fonctionne très bien malgré son faible rythme de parution. Plus récemment, il y aussi le duo d’auteurs Ken-Ichi Tachibana et Yû Sasuga avec Terra Formars qui fonctionne plutôt bien chez nous, et on espère que l’invasion de cafards humanoïdes ne fera que s’étendre prochainement avec l’anime ! C’est aussi le cas de Ryûhei Tamura qu’on a publié dans notre collection Shônen et qui a été notre invité phare lors de Japan Expo, pour les 20 ans de Kazé.

Le bilan que je peux faire, c’est que nous sommes toujours dans la course, avec de beaux titres. On a toujours plus de difficultés à les imposer, mais cela reste des titres de qualité.


Est-ce un avantage ou un inconvénient d’être géré par une société d’édition japonaise ?

Nous ne sommes pas gérés par eux au sens propre du terme, mais nous leur rendons des comptes, ce qui fait qu’ils sont plus exigeants avec nous qu’avec nos confrères. C’est un avantage car nous avons un certain droit de regard, mais ça ne nous autorise pas à publier tout et n’importe quoi. Il faut particulièrement bien convaincre en interne avant de convaincre les lecteurs.





Vous restez quand même en compétition avec les autres éditeurs, pour l’achat d’une licence ?

Oui, car je suis dans l’état d’esprit suivant : je n’agis pas comme l’enfant gâté qui réclame sa licence, je veux surtout convaincre que ma démarche est la bonne. Au même titre que quand une licence a tout d’un hit, j’essaie d’être assez lucide pour m’assurer si oui ou non elle est en adéquation avec le catalogue Kazé Manga. Il ne s’agit d’éditer tout et n’importe quoi sans se poser de question, sous prétexte que c’est estampillé Shueisha. Le travail d’éditeur serait alors bien ennuyeux !


Justement, comment définis-tu le catalogue Kazé Manga ?

Comme je l’ai dit plus tôt, il y a une certaine couleur dans les auteurs que nous proposons, ainsi qu’un style marqué d’une certaine action. C’est un découpage et un style graphique. la maîtrise de Tatsuya Endo, dans Tista ou The Moon Sword, n’a rien à envier à celle de Kazue Kato dans Blue Exorcist. Je crois pouvoir affirmer qu’on ne donne pas dans le shônen « bas de gamme », on est en constante recherche d’œuvres réellement qualitatives, avec un scénario et des personnages attachants, assortis à cette maîtrise graphique et narrative. Pour la collection Kazé Shônen, où c’et peut-être un cran en dessous graphiquement, on veille à proposer des œuvres qui feront “rêver” notre lectorat, en les invitant à suivre les héros du mythique Shônen Jump dans leurs aventures. On veut imposer les héritiers de Songoku, qu’il s’agisse de guerrier goinfre, de basketteur, de loubard ou de bébé à poil !

Notre ligne shôjo met un point d’honneur à proposer des titres qui essayent de sortir du cadre basique dit “shôjo de lycée” avec des titres orientés notamment vers la fantasy, comme L’Arcane de l’Aube. Pour ce qui est du seinen, il s’agit d’œuvres au style graphique finalement assez réaliste et aux codes un peu éloignés du manga de base, comme Ikigami ou Dr DMAT, où l’objectif est d’essayé d’aller chercher le lecteur de BD en général. Le scénario doit aussi accompagner cette intention en renvoyant à des genres appréciés du grand public, comme la science-fiction ou le thriller. 


 



Vous avez beaucoup mis en avant des œuvres jeunesse comme Beyblade. C’est un peu la grande nouveauté manga de ces trois dernières années, et c’est en partie grâce à vous. Qu’est ce qui a motivé ce choix de licence ?

Je n’étais pas à l’initiative de Beyblade qui est la licence la plus représentative de Kazé Kids. Je pense que c’était une question d’opportunité à saisir vite : tout a reposé sur un schéma propice à imposer une licence présente à la télévision, dans les rayons de jouets ou dans les librairies au même moment. Ces séries se doivent d’être publiées dans un bon timing car ils surfent sur un effet de mode pour la plupart éphémère. Ce fut le cas pour Beyblade et la folie des toupies qui a fini par laisser la place à une autre mode. Il fallait publier la série au bon moment, lorsqu’elle entrait en résonance avec une gamme de produits et de jouets. Notre collection Kazé Kids tâchera surtout d’enrichir un univers déjà fort, comme nous l’avons fait avec Chopperman et Rock Lee.


Justement, comment en es-tu venu à faire l’acquisition de ces deux licences ?

Nous savions que le public qu’on essayait de viser n’était pas aussi massif que le public qui souhaitait les « grands frères », à savoir One Piece et Naruto. Je pense que c’est le même constat au Japon, le succès de ces spin-off est sans commune mesure avec celui des séries sources. Le public visé n’est pas le même. Néanmoins, l’univers empli de couleurs du Saikyô Jump, magazine dont ces spin-off sont issus, est en adéquation avec la ligne éditoriale de Kazé Kids. Il faut simplement être particulièrement sélectifs sur le choix des titres à étudier au cas par cas, et sentir au mieux si un engouement se dessine. Le marché existe, il y a une demande et des succès comme Chi, une vie de chat ne le démente pas.


Tu ne fais donc pas tes choix simplement pour alimenter la collection Kazé Manga, mais plutôt en définissant si le marché est porteur, et s’il y a la possibilité de faire du cross média ?

C’est le deuxième critère, et il doit conforter le premier qui est : ça me plaît, il y a une cohérence vis-à-vis du catalogue, et c’est efficace. On ne fait pas juste la licence pour faire la licence. Derrière, il y a aussi une démarche de validation collégiale dans mon équipe. On ne va pas publier une licence par dépit sans y croire ! Par contre, je trouve que nous, éditeurs français, avons tendance à manifester notre intérêt sur des hits potentiels trop tôt, souvent avant même que la série ne compte plusieurs tomes et que son potentiel soit avéré. A mon sens, cela s’explique par un cruel manque à la source, au Japon, de nouveaux titres importants, de sang neuf héritier des hits passés. Un manque de renouveau trop important pour le nombre important d’éditeurs que nous sommes en France, ce qui complexifie le marché.

 



Peux-tu nous parler du label Asuka qui existe encore ? Quelle est sa position par rapport à Kazé Manga ?

Asuka a maintenant 10 ans. A savoir, les shônen et seinen jadis estampillés Asuka ont basculé dans le catalogue de Kazé, dans les collections correspondantes. Asuka est devenu le label référence pour le Boy's Love. On essaie d’être encore plus sélectifs dans nos titres pour privilégier l’édition de séries de qualité. On a une politique d’auteur, par exemple avec Shungiku Nakamura qui est l’auteur de Junjo Romantica, sachant qu’on a récemment acquis Sekai Ichi Hatsukoi ainsi qu’une autre surprise à l’été 2015... Fans de yaoi, réjouissez-vous !


Etait-ce une volonté de Kazé de faire d’Asuka un catalogue bien spécifique, ou plutôt une demande des japonais ?

Ça s’est fait naturellement. Certains titres Shônen Asuka avaient leur place dans le catalogue Kazé Shônen. Je pense qu’Asuka notament avec l'initiative du magazine Be x Boy a véritablement donné une aura Boy's Love au catalogue d'Asuka avant même d’accueillir des shônen ou des seinen. Pour ces derniers, il était plus logique de les basculer chez Kazé pour qu’ils deviennent le fer de lance de Kazé Seinen. N’oublions pas non plus le Be x Boy qui appuyait le catalogue d’Asuka.


Concernant le Be x Boy, nous étions contents de retrouver en France, grâce à lui, un magazine de pré-publication sachant que d’autres ont été un échec. Pourquoi l’avoir arrêté si ses ventes étaient correctes ?

Le quinzième tome de Be x Boy était en effet le dernier, mais on repoussait sans arrêt l’ultime numéro. Il est vrai que les ventes n’étaient pas mauvaises mais proportionnellement aux efforts fournis en interne – car le magazine comprenait beaucoup de bonus dont des pages éditoriales à concevoir de A à Z - le magazine occupait beaucoup de temps dans notre planning déjà chargé avec le nombre conséquent de sorties. On s’est souvent posé la question quant à l’arrêt des magazines, raison pour laquelle la fin de Be x Boy était à chaque fois repoussée, mais on s’est finalement décidé tout en sachant qu’on avait mené le Boy's Love en France là où on le voulait.

C’était aussi un outil expérimental puisqu’il a marqué les premiers chapitres de Sweet Desire, le premier Boy's Love made in Asuka qui est donc une création française. Be x Boy était donc un bon tremplin pour évoluer.

                                                                       


Pour Sweet Desire, quel fut l’accueil du public ?

Le succès d’estime et l’intérêt pour cette création était bel et bien là (les dédicaces du Japan Expo précédent en sont une preuve), mais le succès commercial mitigé. Sweet Desire était présent dans le top des ventes mais n’y est pas resté longtemps. Ça reste un projet de création, difficile à mettre en place, et c’est le seul chez Asuka puisque Les Mystérieuses Cités d’Or est publié sous le label Kazé Manga. Dans tous les cas, nous sommes vraiment satisfait du résultat et nous sommes très heureux d'avoir travaillé avec une artiste comme Eternal-S.


Beaucoup de manga sortent chaque mois, vous faites d’ailleurs partie des éditeurs à en publier le plus. Vous n’êtes encore jamais entrés dans un rythme pareil, est-ce une volonté ?

Il y a eu une petite accalmie du temps de mon prédécesseur. Lors de mon arrivée, j’ai établi un constat par rapport à certains titres qui sont dans le catalogue Kazé mais qui n’ont pas eu les résultats escomptés, des titres soit en cours de publication, soit terminés au Japon. Pour ces séries, il a fallu interrompre la publication pour redéfinir les clauses des contrats avec les japonais. Comme la plupart de ces manga sont déjà terminés au Pays du Soleil Levant, on a choisi de les remettre au planning afin de contenter les fans. Même s’ils sont peu, ce sont ceux qui se font le plus entendre sur internet et qui sont les plus exigeants en terme de qualité. L’idée était de trouver un compromis, mais il fallait forcément renégocier les droits, ce qui a pris un peu de temps. La démarche a donc gonflé le planning, mais ce n’est que temporaire, jusqu’à ce qu’on aille au bout de certaines de ces séries. Je ne cacherai pas non plus que c’est pour compléter ma propre collection et mes propres étagères. (rires)


Vous sortez Hokuto no Ken dans sa version deluxe, mais la parution des premiers tomes fut un peu chaotique. Le rythme s’est-il stabilisé ?

Même réponse que pour les séries difficiles à gérer. La deluxe de Hokuto no Ken est une série d’ouvrages complexes au niveau de la fabrication. Il a fallu passer par différents prestataires pour assurer le meilleur rapport qualité/prix.

On a sorti cette version deluxe pour la venue de Tetsuo Hara l’an dernier à Japan Expo, à l’occasion des 30 ans de la série. Il fallait ainsi marquer l’évènement, et cette édition s’imposait. Mais là aussi, la complexité de la fabrication pour les imprimeurs conjuguée à la volonté de sortir le livre dans les temps ne nous a pas rendu la tâche facile.

C’est le même combat pour Blackjack, aller au bout est un vrai casse-tête. Il faut être très vigilent par rapport au choix des prestataires.


Peux-tu maintenant nous parler des nouveautés ?

De belles choses arrivent, on a mis le paquet. Il y a d’abord All You Need is Kill qui est sous les projecteurs pour ce Japan Expo. Il est tout simplement Efficace avec un grand « E », particulièrement grâce au génie de Takeshi Obata. A la base, le roman était publié précédemment aux Etats-Unis par notre société sœur, Viz US. Nous avons donc décidé de saisir l’opportunité de publier ce roman à notre tour et de faire coïncider sa sortie avec celle du film avec Tom Cruise. Après quoi, le projet du manga est né, s’inscrivant parfaitement dans notre stratégie initiale du roman. Bien sûr, tout le monde a sauté de joie lorsque le nom du mangaka aux commandes est tombée, et l’opération SF+action+Obata n’a pas déçu du tout, du tout. C’est une boucherie en 2 tomes. Le fait que le titre soit un diptyque  ne nous déçoit pas car c’est un concentré de qualité, et c’est le plus important. Sans compter que le roman étant assez court lui aussi, le développement se devait de rester limité. Ca rassure aussi les lecteurs de ne pas s’engager dans une série fleuve, et de savourer encore et encore une histoire rapide et efficace.


Pour All You Need is Kill, Kazé a mis les bouchées doubles, notamment par la réalisation d’une bande-annonce pour seulement deux tomes. On en déduit que vous croyiez vraiment en ce titre.

Au-delà du fait qu’il s’agisse de Takeshi Obata, c’est la recette qui nous a menés à y croire. C’est de l’action menée tambour battant : en deux tomes, deux cartouches. C’était un titre très attendu et, même s’il ne dure que deux tomes, il a les atouts pour devenir un classique.


 



Justement, à propos des séries courtes, penses-tu que les lecteurs attendent que la série soit terminée ou qu’ils sachent qu’un titre arrive à sa conclusion ?

Je pense qu’il y a les deux cas de figure. J’ai parlé avec différents lecteurs et c’est un facteur difficile à cerner. Quand une série commence, il ne faut pas que trop de tomes soient sortis au Japon, car ça va les refroidir. Et inversement, quand une série est courte, ils pensent qu’elle se termine en queue de poisson.

Cela influence mes choix car des shônen de très grande qualité, sortis dans les magazines de pré-publication comme le Shônen Jump, auraient leur place aux côtés des titres qu’on a déjà édités. Mais ils ont été arrêtés prématurément. Ainsi, il y a moins d’attente pour ces titres du côté du public, car une fin précipitée inquiète toujours.

A l’opposé, des séries fleuves marchent au Japon mais n’ont jamais percé en France. Par exemple, Yowamushi Pedal compte presque quarante tomes au Japon, mais on ne prend pas le risque de l’éditer, même si il y aurait un coup à jouer avec l’anime qui existe et son thème en France. Celui qui s’engage à le sortir va « pédaler » comme pas possible (rires). Après, pour ce genre de mangas fleuves, le découpage en saisons reste une forme de solution.

J’ai en tête bon nombre de séries qui auraient un intérêt à être publié en France, mais leur nombre de tomes trop avancé me freine… à juste titre.

                                                                    

Fin 2014 et début 2015, quelle sera la tendance ?

On est très fiers des auteurs qu’on a réussi à imposer grâce à Kazé Manga, que ce soit dans le shônen ou le Shôjo. On privilégie ainsi une politique d’auteurs, mais on ne s’interdit pas d’imposer la nouvelle génération, ces auteurs « young blood » qui méritent de connaître le succès en France et de prendre le relais de nos best-sellers traditionnels.


Un titre que tu as choisi et qui n’a pas eu son succès en France, que tu aimerais défendre ?

Il y en a un en particulier, c’est DR. Dmat. C’est une série haletante en toute objectivité, et si j’en crois les retours de ceux qui la lisent autour de moi. Elle a beaucoup d’ingrédients proches des séries TV pour toucher un large public. Mais comme souvent, les seinen de qualité ont du mal à s’imposer.


On peut voir, notamment avec All You Need is Kill, qu’il est de plus en plus courant que la sortie d’une série dans le monde talonne sa parution japonaise. Est-ce une tendance qui est vouée à se développer à l’avenir ?

Pour All You Need is Kill, je pense que c’était la volonté du Japon d’avoir une sortie simultanée dans tous les pays motivés. Je suis d’ailleurs très fier car nous sommes les seuls en Europe à avoir proposé le second tome aussi rapidement. A la base, on prévoyait une sortie des deux opus en même temps, mais nous n’avons pas pu pour des raisons matérielles.

Je ne sais pas si ce genre de parution est une question de tendances ou d’opportunités. Les Clamp ont tendance à organiser des sorties mondiales, mais l’attente pour ces auteures est tellement forte qu’on est obligés de se tenir au plus proche de la parution nippone. Je pense que c’est surtout des coups opportunistes tentés par les auteurs japonais, je ne sais pas si c’est voué à devenir une tendance.


Ne penses-tu pas qu’il s’agisse d’une réponse au scantrad de la part des Japonais ?

Oui, c’est aussi le moyen de couper l’herbe sous le pied des pirates. L’offre est de plus en plus proche d’une demande toujours plus exigeante. Ce qu’on fait avec ADN pour l’animation japonaise, on essaie de le faire au format papier. On se donne du mal pour répondre à cette exigence. Il y a un coup à jouer pour nous, éditeurs français. On est sur du gagnant-gagnant pour les fans et les éditeurs.


On attend toujours un Shônen Jump à la française, comme les Etats-Unis ont pu l’avoir. Est-ce un projet qui est dans les tiroirs ?

On ne peut pas faire table rase de ce genre d’expériences mitigées passées chez certains éditeurs, on garde toujours ces souvenirs en tête. Mais il y a quelque chose à jouer sur le format numérique, même si on n’a pas basculé dedans autant que les Etats-Unis. Ça pourrait néanmoins être une solution.





Vous avez été dans les premiers à rendre disponible votre catalogue au format numérique. Comment vois-tu cette innovation ?

On tâche de proposer l’offre la plus complète en attendant que la demande en face se développe. On se tient prêts. Pour les nouveautés, c’est systématique car dès que le fichier du livre est envoyé à l’imprimeur, on l’obtient en format digital. Même dans notre communication, que ce soit dans un magazine ou non, il y a toujours un écho marketing à cette offre dématérialisée qu’on veut la plus complète possible. C’est bien la preuve qu’on cherche à informer les utilisateurs de tablettes et autres supports. En tout cas, support physique et numérique pourront toujours coexister. A mon sens, ils doivent même se compléter.


Merci Mehdi pour toutes ces réponses !

Merci à vous, Manga-News !

Mise en ligne en octobre 2014.

Interview n°2

C'est juste avant Japan Expo que nous avons eu la chance de rencontrer Raphaël Pennes, directeur éditorial des éditions Kazé Manga, qui a accepté avec le sourire de répondre à nos questions, revenant ainsi sur les orientations de Kazé Manga depuis 2010, sur les objectifs de l'éditeur, et sur sa vision du marché. Compte-rendu.



Manga-News: Shueisha a déclaré il y a peu que Kazé Manga aura désormais la priorité sur son catalogue. Concrètement, qu'est-ce que ça va changer pour Kazé Manga ?
Raphaël Pennes : Ca va changer pas mal de choses, bien sûr. Depuis notre rachat, nous avons travaillé de manière quotidienne avec Shueisha en cherchant à créer avec eux un lien très fort, allant au-delà de notre partenariat. Nous avons également voulu leur prouver que nous étions capables de créer des éditions aussi bonnes que celles de leurs partenaires historiques.
Au départ, nous avons commencé avec des catalogues et magazines moins célèbres de Shueisha, comme celui du magazine Jump Square où l'on trouve par exemple Embalming, ou encore Blue Exorcist qui, à l'époque, n'était pas encore très connu. Par la suite, nous avons eu accès au Shônen Jump via des titres d'auteurs encore inconnus en France, tels Beelzebub ou Toriko. Et après deux ans de « probation », nous voici à ce niveau, Shueisha ayant décidé de nous donner dorénavant la première option sur tous les titres de leur catalogue.
A présent, nous pourrons donc demander en priorité n'importe quel titre de n'importe quel auteur chez Shueisha. Dans l'immédiat, il n'y a pas un « territoire vierge » dans lequel nous pouvons aller piocher tout un tas de titres, mais on peut imaginer qu'un auteur très connu commence une nouvelle série qui pourra alors finir dans notre catalogue. Ca va nous permettre plus de liberté dans nos choix, ce qui sera forcément positif pour Kazé Manga.



On imagine que cela va aider Kazé Manga à atteindre son objectif, à savoir devenir le troisième éditeur du marché dans les cinq prochaines années...
Oui, et les éditions Shueisha font tout pour aller dans ce sens. Comme vous vous en doutez, ils n'ont pas investi le marché français dans le but de rester un éditeur mineur. Je pense que ça va nous aider à devenir un éditeur majeur, mais pour rester objectif, ça dépendra également des nouvelles créations au Japon : actuellement, nous sommes toujours en attente d'un succès aussi fort que Naruto ou One Piece, et durant cette attente il faut continuer de vivoter en recherchant les éventuels succès. Cette attente d'un nouveau blockbuster, c'est un peu l'attente de tous les éditeurs japonais actuellement. Actuellement nous éditons déjà des titres qui rencontrent le succès au Japon, mais ce ne sont pas des succès aussi forts que One Piece ou Naruto.


En contrepartie, cette relation désormais totalement privilégiée avec Shueisha va-t-elle handicaper Kazé Manga pour l'achat de licences d'autres éditeurs japonais ?
Oui, c'est une évidence, et ça a déjà commencé depuis quelques mois. Désormais, nous avons accès beaucoup plus difficilement aux gros titres des éditeurs japonais concurrents de nos maisons-mères. Et puis il existe déjà d'autres partenariats franco-japonais très forts, comme Pika avec Kôdansha ou Ki-oon et Kurokawa avec Square Enix.
Cela se comprend : les éditeurs japonais concurrents de nos maisons-mères n'ont pas forcément envie de confier leurs titres à la filiale française de leur concurrent, car il y a toujours le risque que nous nous occupions moins bien de leurs titres que de ceux de nos maisons-mères.
Parfois, nous arrivons encore à avoir des titres, car il est plus logique de les voir dans notre catalogue. C'est le cas de Tiger & Bunny : nous avons pu obtenir le manga, car Kazé a déjà l'anime.
A côté, il y a des titres que nous avons essayé d'obtenir sans succès, comme Resident Evil – Marhawa Desire, pourtant publié au Japon par Akita Shoten, dont nous étions peut-être jusque là le plus gros représentant en France en nombre de titres, mais dont nous n'avions pas des grands succès comme Saint Seiya - The Lost Canvas.
Si l'on souhaite obtenir des gros titres d'autres éditeurs, le fait d'appartenir à Shueisha peut donc être  handicapant, et je pense qu'en toute logique, ça ne s'arrangera pas.



On peut voir que le marché du manga se réorganise petit à petit, qu'il arrive à maturité ou à saturation selon les points de vue. Au jour d'aujourd'hui, quel est votre état des lieux ? Comment voyez-vous l'avenir proche du marché ?
Déjà, je ne pense pas que l'on puisse envisager le marché comme quelque chose de figé. C'est quelque chose de très fluctuant, qui bouge sans cesse selon beaucoup de facteurs. Parmi ces facteurs, je reviens sur le fait qu'il n'y ait pas eu de véritable nouveau gros hit au Japon depuis quelques années, et cet état de fait se répercute directement sur le marché français qui, comme le japonais, connaît un net recul. Il suffit de voir qu'au Japon il y a eu un recul du marché ces dernières années pour en voir les conséquences aujourd'hui en France. Nous avons les mêmes problématiques de renouvellement qu'au Japon : si une série-phare se termine, il faut lui trouver un remplaçant.
Le marché pourrait continuer de se recentrer sur les quelques gros hits comme Bleach, One Piece ou Naruto, au détriment des autres séries qui auront une moyenne de vente décroissante. Ce qui sera déterminant, ce sera l'inventivité des éditeurs, et leur capacité à trouver des solutions pour dynamiser le marché. Aujourd'hui, on peut voir que des éditeurs historiques comme Glénat ou Kana sont plutôt dans cette problématique : comment se renouveler ? Comment trouver les moyens d'installer des séries à fort potentiel sur un marché difficile ? C'est moins le cas pour les éditions Pika, grâce à leur lien avec Kôdansha et, récemment, à leur lien avec Disney qui est pour moi un coup de maître. Et à côté de ces éditeurs historiquement importants, on voit finalement la dynamique arriver via les petits éditeurs, qui savent intelligemment marketer leurs produits et installer des auteurs peu connus sur le marché.
Bref, je pense que ces prochaines années nous allons continuer d'avoir les mêmes problématiques qu'au Japon. Sans oublier qu'il faut prendre en compte la mutation du public : une nouvelle ère semble s'ouvrir petit à petit, et sortir aujourd'hui une série d'un auteur qui avait du succès il y a 15 ans n'est pas une garantie de succès. Les envies des nouveaux lecteurs ne sont pas forcément celles d'il y a 15 ans, et des éditeurs comme Ki-oon ont su en profiter intelligemment pour émerger.


Conséquence de la saturation du marché, certains éditeurs, comme Akata, ont choisi de ralentir le rythme de parution de leurs séries, de sortir moins de volumes par mois. Quelle est la position de Kazé Manga sur ce point ?
Déjà, il faut prendre en compte une grosse différence entre un éditeur comme Akata et Kazé Manga. Akata est soutenu par Delcourt, éditeur de BD, tandis que derrière Kazé Manga il n'y a rien d'autre: nous ne faisons que du manga, nous ne vivons que de ça, donc nous ne pouvons pas envisager de baisser notre nombre de sorties, bien au contraire.
Je ne suis pas certain que les éditeurs ne vivant que du manga soient ceux qui ont baissé leur nombre de publications, et je pense que ce choix est lié à un facteur très simple : beaucoup d'éditeur de BD sont venus sur le marché du manga, par opportunité ou pour répondre à une demande du public. Aujourd'hui le marché est bien plus difficile, donc les premiers à réduire un peu leur rythme sont ces éditeurs.
Après, il y a d'autres cas comme Pika, qui a aussi légèrement baissé sa production et a même arrêté des séries non rentables dernièrement, alors qu'il s'agit d'un éditeur de manga exclusivement. Mais derrière, il y a un grand groupe, Hachette, la recherche de rentabilité qui va avec, et donc une volonté de se concentrer surtout sur des séries porteuses comme Fairy Tail, les mangas estampillés Disney... Et maintenant qu'ils se consolident à leur bonne place au niveau des ventes, ils vont sûrement chercher à progresser encore. Leur cas est donc différent, et après une baisse leur ayant permis de se recentrer sur des séries vendeuses, je ne serais pas étonné de voir leur production augmenter un peu en 2013.
Quant aux autres, ils sont tout de même en lente mais perpétuelle augmentation. C'est par exemple le cas de Ki-oon, qui lance désormais quasiment un nouveau titre par mois.
Et dans le futur, je ne pense pas que ça va baisser considérablement, tout comme je ne pense pas que ça augmentera de manière drastique. Ca dépendra des éditeurs, mais pour l'heure, nous ne sommes pas dans une baisse significative du marché.
Après, savoir si le marché est saturé ou non est une question qui sera vue de manière différente selon les éditeurs, et je pense surtout que chacun essaie avant tout de maintenir sa part de marché. Et quoi qu'il en soit, le marché se trie avant tout selon les envies du lecteur, et le challenge est de donner envie à celui-ci de consommer nos produits plus que ceux d'un autre.



Vous parlez de Pika qui a choisi comme solution de stopper la parution de certaines séries. Est-ce une solution qui a déjà été envisagée par Kazé Manga ?
Je me suis toujours battu pour que ça n'arrive pas, mais au bout d'un moment il faut être raisonnable. Si on vend un livre à même pas 500 exemplaires, ce n'est pas cohérent de l'éditer. Je ne dis pas ça de manière déshumanisée, car c'est sûr que ça décevrait les 500 personnes qui lisent la série, mais le problème est que 500 personnes, ce n'est pas suffisant pour justifier le maintien d'une série.
C'est un véritable problème, que nous ne vivons pas sur beaucoup de titres, mais que l'on vit quand même difficilement sur certains, et il n'est donc pas impossible qu'à l'avenir certains de ces titres difficiles soient ralentis de manière drastique, voire stoppés. Personnellement, les deux solutions me semblent mauvaise, mais à choisir, je préfère l'arrêt net de la série, parce que je trouverais plus hypocrite qu'autre chose de sortir un tome de la série par an ou tous les deux ans. Et puis de toute façon, pour une série longue qui ne marche pas du tout, on sait très bien qu'il faudra la stopper un jour ou l'autre, parce que si l'on est parti dans ces conditions pour dix ans de publication...


La politique de volumes double ou triple tentée par Kana ou plus récemment par Panini ne pourrait-elle pas apporter une solution ?
A première vue, ça n'a pas marché chez les éditeurs qui ont testé les volumes double. Ce n'est pas plus rentable : la traduction reste celle de deux livres, l'impression coûte elle aussi quasiment le prix de deux livres (il y a juste une partie en moins pour la couverture)... le coût reste donc à peu près le même, et ce n'est pas parce qu'on fait des tomes double qu'on en vendra deux fois plus.
Bref, au bout d'un moment, malgré toute la bonne volonté d'un éditeur, au bout d'un moment il peut ne plus y avoir de solution; il y a quelques années, l'arrêt de Karakuri Circus chez Akata m'a semblé très logique, et il n'est pas exclu que certaines séries de notre catalogue subissent malheureusement le même sort dans un avenir proche.
Une série longue qui a 500 lecteurs est simplement impossible à maintenir, et malheureusement, pour un titre comme Moonlight Act, on parle de moins de 500 lecteurs... Quant on est à quelques tomes de la fin de la série, on n'arrêtera jamais, car ce serait vraiment se moquer des lecteurs, et c'est bien dans ce cadre que nous irons au bout de séries comme Freesia ou Shi Ki, qui n'ont pas forcément trouvé un public suffisamment important. Dans le cas de Moonlight Act, encore en cours au Japon avec une vingtaine de tomes, la situation est beaucoup plus délicate.



Il y a quelques mois, le gouvernement annonçait une hausse de la TVA qui a enclenché une augmentation du prix du livre. Le nouveau gouvernement envisageant de rebaisser cette TVA,  pourrait-il y avoir une conséquence sur les prix ?
C'est une grosse équation qu'il faudra réfléchir, mais pour être franc, lors de la précédente hausse de la TVA, la première réaction des lecteurs a été de trouver que les éditeurs abusaient. Ce n'est pas si simple : on n'avait pas le choix, déjà parce qu'il y a eu beaucoup de pressions de la part des distributeurs par rapport à cette mesure, mais aussi parce que les libraires souffrent, que beaucoup de librairies ferment, que c'est un secteur de l'économie qui est relativement abîmé. Dès lors, réduire leur part ne serait-ce que d'1% n'est pas souhaité, que ce soit par les libraires eux-mêmes, par le syndicat du livre ou par la distribution. Et dans la foulée, ça a permis à certains éditeurs dont les prix étaient encore assez bas de s'aligner pour pouvoir souffler un peu plus économiquement parlant. Dans notre cas, nous étions encore assez bas, puisque nous étions à 6,50€, comme Kurokawa par exemple, alors que la majorité du marché était presque à 7€.
Et maintenant, serait-il judicieux de revenir en arrière ? Personne ne le sait. Il y a eu les annonces un peu « coup de poing » du gouvernement, mais pour l'instant il n'y a eu aucune communication, que ce soit du syndicat du livre, de la distribution ou des associations de libraires. On ne sait pas quand ni comment ça va se faire, et pour l'heure on est encore en train de digérer l'augmentation de la TVA, car on facture les nouveautés à 7%, mais les retours sont encore crédités à 5,5% donc ça fait des transactions financières extrêmement compliquées au niveau de la distribution, et les libraires n'ont pas encore forcément amorti les prix dans tous les domaines.
Quoi qu'il en soit, personnellement je pense que les prix resteront comme ça. Les différents acteurs, de l'éditeur au libraire, auront un peu plus de marge (et ils en ont besoin), et puis au niveau des ressources changer de nouveau tous les prix aurait un coût, notamment au niveau de l'étiquetage. Peut-être que les nouveaux livres auront un prix plus bas, mais les ouvrages qui ont connu l'augmentation resteront sans doute comme ça.


Il y a quelque temps, Kazé Manga s'est placé comme un opposant actif au scantrad, puis les choses semblent s'être un peu tassées. Quelle est l'actualité de ce côté-là ?
Actif, je ne sais pas, mais en tout cas, on a d'abord tenté de créer un dialogue avec les sites contrevenants, en envoyant des mails relativement formels. On n'a pas eu besoin de mener beaucoup d'actions juridiques, car de mémoire un seul site a reçu un recommandé. Donc on ne peut pas dire que l'on ait été très actifs, mais plutôt prévenants. On a surtout souhaiter informer.
La réalité, c'est que je trouve ça bien d'avoir dans nos livres un message remerciant le lecteur d'avoir acheté le livre, et ce message continuera d'être présent dans nos prochains ouvrages.
Après, le problème vient plus du fait que les gens faisant la démarche de s'informer sont peu nombreux et ne connaissent pas l'illégalité du scantrad. Tout le monde s'en fiche un peu, mais quoi qu'il en soit, nous continuerons d'avoir cette démarche d'information, même si la progression des gens est relativement lente.
Ce qu'il faut, c'est trouver des méthodologies permettant de faire comprendre le respect de nos droits, et s'il y a des gens qui exagèrent trop on verra comment réagir. Mais le problème, c'est que les sites les plus embêtants sont également les mieux organisés pour éviter les problèmes juridiques.
Quoi qu'il en soit, dans plus de 50% des cas, l'envoi d'un simple mail suffit pour faire retirer les contenus illégaux. Également, notre démarche sera peut-être amenée à évoluer si nous en arrivions à nous lancer plus profondément dans l'édition digitale, où, là, ça poserait plus de problèmes.



Puisque l'on parle de l'édition digitale, Pika a proposé cette année une partie de son catalogue en édition numérique. Du côté de Kazé Manga, quelle est la politique sur le numérique pour l'instant ?
Nous n'avons pas été les moins actifs puisque nous avons été dans les premiers à nous y mettre, en sortant par exemple Gate 7 dans ce format, mais nous préférons y aller de manière plus douce car nous nous rendons compte que le marché n'est pas encore tout à fait prêt, que le parc de tablettes n'est pas encore bien installé auprès de nos lecteurs. Puis il y a des problématiques contractuelles avec les ayant-droit japonais, et des problématiques de prix (ceux-ci étant trop hauts par rapport aux attentes du public). Mais ils 'agit évidemment de quelque chose qui va se développer de manière plus significative chez nous. Par exemple, notre filiale américaine a lancé le Shônen Jump Alpha sur le net, et ce n'est qu'une question de temps avant qu'on ne fasse la même chose.


Ces derniers mois, vous avez proposé de nombreuses éditions collector, sur Dengeki Daisy, Happy Marriage, Hatsukoi Limited, Mademoiselle se marie, et récemment sur Ikigami avec une figurine vendue avec le dernier tome. Ce choix a-t-il été payant ? Est-ce le genre d'initiative destinée à être renouvelée ?
Le succès a été fulgurant pour Dengeki Daisy et Happy Marriage, qui sont des séries déjà bien installées. Nous avions fait 2000 exemplaires, nous avons eu très peu de retours. Ca a été un peu plus difficile pour des séries lancées avec ces éditions collector, comme Hatsukoi Limited ou Mademoiselle se marie. Les ventes ont été correctes pour Mademoiselle se marie, mais ça a moins fonctionné pour Hatsukoi Limited. Le produit n'intéressait peut-être pas spécialement le public visé, à savoir les garçons.
Quant au collector d'Ikigami, il est issus d'une autre démarche : les autres collectors avec les cartes postales sont des créations 100% françaises et n'ont pas d'équivalent au Japon. Pour Ikigami, une telle édition collector est également sortie au Japon. Nous avons demandé aux Japonais de produire 2000 figurines de plus pour nous, nous avons fait la boîte en même temps qu'eux avec notre design, et les éditions japonaise et française ont donc été produites dans les mêmes conditions. Ici, il s'agissait surtout de finir en beauté la publication de la série en faisant plaisir aux lecteurs.

Si des opportunités du type de celle d'Ikigami se reproduisent au Japon, nous essaieront de les saisir. Et nous allons continuer de développer des petits produits pour la France, de préférence sur la fin d'année, et pour des séries qui marchent : dans l'immédiat, nous envisageons des petites éditions collector pour Blue Exorcist, de nouveau pour Happy Marriage qui va se terminer... Ca fait toujours plaisir aux fans.



Comme plusieurs éditeurs, vous vous placez sur le créneau du manga jeunesse, tout récemment encore avec Chopperman et Rock Lee. Pouvez-vous présenter ces deux titres ?
Ayant travaillé en tant que libraire à l'époque où le manga commençait à percer en France, nous sommes un peu dans la même dynamique qu'à l'époque : amener des lecteurs ne connaissant pas encore l'univers du manga à s'y intéresser.
Aujourd'hui, une partie du public a vieilli, et on s'en rend bien compte lors de Japan Expo : d'un côté il y a les anciens ou ceux sur le point de l'être, et de l'autre côté il y a un nouveau public de jeunes. Ces derniers n'ont pas vécu le départ ou l'entre-deux du manga, ils ne connaissent pas nécessairement les auteurs et les éditeurs et s'en fichent, il s'intéressent avant tout au contenu. Ils peuvent avoir adoré une série et ne pas s'intéresser le moins du monde à la série suivante du même auteur.
Je me suis dit que certaines séries orientées pour les 10/12 ans (ou moins) et passant à la télévision pourraient trouver un écho en manga auprès de ce même public. Si on arrive à faire rentrer ces jeunes dans le circuit du manga avec une série qu'ils connaissent à la télé, on peut les habituer à lire du manga, puis les suivre au fil des ans en sortant des œuvres destinées à chaque fois à leur âge. C'est un peu le même système qu'au Japon.
Dès que j'ai vu les nouveaux Beyblade arriver en France, je me suis rué sur le manga. Et aujourd'hui, c'est un carton, notre meilleure vente de l'année dernière. Nous avons donc évidemment envie de continuer dans cette voie en développant la collection Kids. Nous avons regardé ce que font nos maisons-mères, nous avons vu que Shueisha a lancé une version enfantine du Shônen Jump où paraissent Chopperman et Rock Lee, et nous les avons pris. Chopperman est une adaptation pour enfants de One piece, dessinée par le frère de l'auteur de Shaman King. Quant à Rock Lee, il s'agit d'une série plutôt humoristique qui a été adaptée en anime au Japon. Et d'autres séries arriveront plus tard.


Comment se profile la fin 2012 - début 2013 chez Kazé Manga ?
2012 a été une année assez particulière pour Kazé Manga. Nous n'avons pas été ultra productifs en grosses séries depuis le début de l'année, avons sorti des séries à moyen potentiel ou des titres d'auteurs déjà présents dans le catalogue, comme Cyber Blue ou le Chemin des Fleurs. Nous n'avons pas connu d'énorme lancement, hormis Kuroko's Basket parce que c'est une série qu'on adore.
Sur le deuxième semestre, on est dans une autre dynamique, on va s'appuyer sur des licences ou des auteurs connus. C'est dans ce cadre qu'a débarqué en ce mois de septembre Level E, série de Yoshihiro Togashi. Nous avons ensuite les titres issus de licences connues mais orientées pour les plus petits, comme Chopperman et Rock Lee, ou issues de licences dont nous avons l'anime, comme Tiger & Bunny.
2012 est une année importante car ça fait deux ans que Kazé Manga a été lancé. On a été très productifs en 2010 sur des séries intermédiaires, un peu plus productifs en 2011 sur des séries-phares de nos maisons-mères comme Beelzebub ou Toriko, et on a encore du travail à faire sur ces séries pour les installer à un niveau plus important. Dans cette optique, début 2012 on n'a pas voulu s'éparpiller sur de trop nombreux lancements. Et à présent, nous allons commencer à réinstaller d'autres séries fortes pour fin 2012 et 2013.
Ca ne nous empêchera pas de proposer d'autres titres un peu plus originaux, comme le Coeur de Thomas de Moto Hagio, très grande dame du shôjo injustement inédite chez nous. Cette oeuvre sera publiée dans le même format que Très Cher Frère à son époque, en un joli one-shot de 350/400 pages. C'est l'un des livres qui a été déterminant dans la naissance du boy's love au Japon, et comme nous sommes très productifs en boy's love via Asuka nous trouvions intéressant de le publier. Toujours dans cette politique d'auteur, nous sortons en ce mois de septembre Kyo-ichi, one-shot horrifique de près de 400 pages de l'auteur d'Ikigami. Le lecteur y trouvera aussi le pilote d'Ikigami, beaucoup plus violent que la série.
Nous aurons également quelques adaptations de jeux vidéo, avec Sengoku Basara et Devil May Cry 3.
       

   

 
 
Du côté de Kazé Allemagne, comment s'est passé le démarrage ?
Le démarrage est plutôt bon. Ils ont bénéficié de grosses licences de nos maisons-mères, notamment de Blue Exorcist qui a fait un démarrage fulgurant, Nura qui se porte plutôt bien, ou Akuma to Love Song qui trouve aussi son public. Seul Toriko semble moins marcher : la série connaît le même problème qu'en France, elle est assez particulière et est donc un peu difficile à installer.


Remerciements à Raphaël Pennes pour cet entretien.

Interview n°1

Raphaël Pennes, directeur éditorial de Kaze Manga & fondateur des éditions Asuka, a bien voulu répondre à quelques unes de nos questions concernant la création du nouveau label manga des éditions Kaze. On en apprendra notamment plus sur certains objectifs de ce jeune éditeur et sur les éventuelles conséquences de son implantation sur le marché...
        

   
 
Manga-news: Suite au rachat du groupe Kaze par Shueisha, Shogakuka et ShoPro, plusieurs changements ont été opérés, pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Un tel événement entraîne des changements, en effet, mais ils sont surtout d’ordre organisationnel, avec des évolutions de postes, des embauches… Et bien sûr, son lot de nouveaux projets. Le lancement de Kaze Manga dès janvier 2010 est le premier évènement majeur de cette nouvelle ère de Kaze. Mais ce rachat, plus qu’une révolution, accompagne les évolutions déjà prévues, comme le lancement de KZTV et plus récemment de KZPlay, notre plate-forme d’offres à la demande et de simulcast. Diffuser des animés le même jour qu’au Japon est un challenge important pour notre société à l’heure du tout numérique, et notre rachat le rend encore plus stratégique à l’heure où l’accès au contenu est primordial. 
  
 
Kaze vient d’annoncer la création d’un nouveau label Manga : Kaze manga. Mais que devient Asuka ?
Asuka fait partie, à son niveau, du paysage éditorial manga Français. Il continuera tout naturellement d’exister parallèlement à Kaze manga, avec toutes les séries déjà publiées dans leur intégralité (qui seront toujours disponibles) et surtout avec les derniers tomes des séries proches de leur fin. Asuka continuera aussi via la collection Boy’s Love, car les lectrices ont identifié Asuka comme l’un des deux acteurs majeurs de ce genre très prisé et il serait dommage d’arrêter après tant d’effort. De plus, devant le succès grandissant de BExBOY, le magazine continuera de paraître au même rythme et stabilisera son offre dès janvier à 5,95€ pour 390 pages, soit 50 pages de plus que les 3 premiers numéros pour 1€ de plus. Asuka se spécialise, termine proprement ses séries, et sera donc encore là quelque temps.
   
 

SILENT LOVE © HINAKO TAKAGAWA / LIBRE Publishing Co., Ltd.

   
     
Raphaël, vous passez donc directeur éditorial de Kaze manga. Quels sont les changements pour vous?
À mon niveau, il s’agit de changements organisationnels. Nous avons recruté parmi les meilleurs du milieu dans tous les domaines, avec l’ambition affichée de faire de Kaze Manga l’un des éditeurs les plus respectueux des œuvres et de leurs lecteurs. L’expérience que j’ai acquise, avec les moyens de développement qui sont à notre disposition, nous permettrons je l’espère de proposer des ouvrages d’une qualité quasi équivalente aux éditions japonaises et à des tarifs plus appréciables que ceux qu’Asuka pratiquait. Mon rôle est donc de proposer une politique éditoriale cohérente, assez différente de celle que j’ai bâtie avec Asuka, plus en phase avec le marché et avec les attentes des lecteurs.
 
 
Comment Kaze Manga compte-il se placer sur le marché  français déjà bien fourni?
Kaze est, à mon sens, la dernière marque incontournable qui pouvait encore prétendre décemment  à une place sur le marché si disputé du manga. En quelque sorte le dernier éditeur légitime sur ce segment de l’édition BD. Kaze a passé les deux dernières années à tester le marché du livre avec Asuka et en lui apportant une croissance qui l’a fait passer de la 16e à la 9e place du marché, devant pourtant des grands spécialistes de l’édition BD.
Ikigami ou Nabari sont parmi les 20 meilleurs lancements de 2009, et Ikigami est le seinen n°1 de 2009 en vente. Il vient d’ailleurs d’être nominé à Angoulême après avoir gagné un prix aux Utopiales ! Kaze manga n’a aucune prétention, l’objectif est le même qu’avant, proposer un line up cohérent, en phase avec les licences développées en animé par le groupe (que ce soit en Dvd, au cinéma ou en simulcast), et ce pour confirmer Kaze dans son ensemble comme la marque incontournable de la culture japonaise en France et en Europe.
  
 

IKIGAMI © Motoro Mase / Shogakukan Inc.

    
  
L’expérience de Shueisha ou Shogakukan, éditeurs majeurs du marché japonais, vous apporte-t-elle ou vous apportera-t-elle un atout supplémentaire par rapport à vos concurrents?
Je pense que nous avons tous à apprendre les uns des autres, aussi cette expérience ne peut être qu’enrichissante pour moi en tant que directeur de collection. Avoir pour maison mère Shueisha, Shogakukan et ShoPro est avant tout un honneur et une grande responsabilité. Maintenant, il serait très prétentieux de dire que nous avons un avantage sur les autres éditeurs, qui ont construit depuis plus de 15 ans le marché en France et en sont les leaders incontestés.
 
 
Kaze Manga lancera plusieurs collections à partir de 2010, pouvez-vous nous les présenter?
La première, SHONEN UP!, est une collection à part entière qui viendra dans la catégorie Shônen répondre aux attentes d’un public en demande d’œuvres plus matures, plus adultes, aux confins du genre. L’idée est donc de créer officiellement une ligne directrice, entre le Shônen et le Seinen tel qu’on le connaît en France. Cette collection s’appuiera grandement sur les lignes éditoriales issues de magazines tels que Jump Square ou Young Jump de Shueisha ou Shonen Sunday ou GX Sunday de Shogakukan. Ces magazines ont vu le jour pour répondre à la même demande sur le marché japonais, face un public vieillissant et fuyant, en l’absence de contenus adaptés à leurs goûts du moment. Pour meilleure preuve de ce vide éditorial en France, il suffit de voir qu’un Shônen qui fonctionne, se vend en moyenne 3 à 5 fois plus que les meilleurs Seinen.
Le manque d’offre adapté à cette clientèle tire le marché vers le bas, et empêche l’arrivée de titres absolument incontournables. SHONEN UP! est donc un rendez-vous avec ce public ayant grandi avec Fullmetal Alchemist, One Piece et Naruto en quête de nouvelles lectures plus matures. Nous lancerons une nouvelle série tous les mois, sur un rythme trimestriel unique, à un prix unique entre les Shônen et les Seinen. Lancement dès janvier avec deux hits: Black Lagoon de Rei Hiroe en janvier et Embalming - The Another Tale of Frankenstein de Nobuhiro Watsuki en février. Nous avons d’autres lignes éditoriales prévues pour un peu plus tard dans l’année, mais nous en reparlerons le moment venu.
    
 
   
BLACK LAGOON © 2003 Rei HIROE  / Shogakukan Inc.

EMBALMING - THE ANOTHER TALE OF FRANKENSTEIN- © 2007 by Nobuhiro Watsuki / SHUEISHA Inc.

   
     
Beaucoup s’interrogent sur la commercialisation des grosses licences du groupe, comment cela va-t-il être géré ?
Comme cela a toujours été le cas jusqu’à aujourd’hui, les éditeurs ont la liberté de faire des offres sur les séries qu’ils ont envie de publier en France, et les responsables au Japon des maisons Shueisha et Shogakukan choisiront l’éditeur qu’ils jugent le plus à même d’en faire un succès. Tous les éditeurs ont leurs spécificités et leurs domaines de compétences, ce qui rend le marché français si unique et si riche. Le marché du manga s’est construit dans la durée avec les efforts de tous les éditeurs qui ont choisi de s’investir dans cette belle aventure et d’en faire le second marché mondial.
  
 
Le fait d’appartenir à un géant du manga japonais va-t-il vous posez un problème pour l’achat de licences chez les autres éditeurs concurrents ?
N’être ni exclusifs, ni privilégiés par nos maisons mères, nous avons une liberté éditoriale totale. Les sept années d’Asuka, et les 15 de Kaze, ont fait de notre société l’une des plus respectées au Japon, et nous travaillons avec plus de 25 éditeurs nippons. Il aurait été dommage de ne plus pouvoir vous proposer leurs meilleurs titres et 2010 sera d’ailleurs assez riche de ce côté-là!
  
  
Kaze a l’intention de se placer sur le marché du media-mix (multi support), pouvez-vous nous expliquer ce que c’est et comment cela s’annonce concrètement?
Kaze a déjà démontré avec des licences comme Le Chevalier d’Eon, La traversée du temps ou Hokuto no Ken que le media-mix était un axe stratégique pour implanter efficacement une licence sur plusieurs supports. Le media-mix, créé en Asie, est un moyen marketing d’imposer un univers sur plusieurs marchés en même temps avec une forte promotion globale. Kaze a donc fermement l’intention d’exploiter ce fonctionnement ayant fait au Japon les succès de nos maisons mères. Kaze a la possibilité de publier un manga, de diffuser son adaptation animée sur KZ TV et/ou KZ Play, de l’éditer en DVD ou Blu-ray, de proposer la bande originale via Wasabi Records et pourquoi pas de proposer des produits dérivés via Kaze Collection, le tout dans une promotion globale efficace. C’est ça, le media-mix!
       
     
Comment voyez-vous le marché dans un avenir proche?
Le marché est arrivé à une certaine maturité, les éditeurs ont chacun leur propre stratégie éditoriale, et un certain recul des ventes pourrait bien arriver dans un futur proche en raison d’un appauvrissement en matière de promotion lié à une certaine crise du marché du livre. À cause de cela, je pense que le marché va se resserrer sur les hits et que cela va affecter la richesse éditoriale que nous avons eu la chance de connaître.
À l’avenir, seuls les titres bénéficiant d’une promotion efficace réussiront à séduire le plus grand nombre et les lecteurs, déjà sollicités par une très grande production mensuelle depuis tant d’années, grandissent vite et sont en quête de titre plus matures et plus originaux. Toutefois, je pense que si les éditeurs font preuve de réflexion et usent d’inventivité dans leur manière de faire leur promotion, le marché peut encore grandir ces prochaines années. Et je suis un fervent positiviste, donc je pense que tous ensemble, les éditeurs vont encore apprendre de leurs erreurs actuelles, en tirer les bonnes leçons et construire un avenir radieux pour ce marché. En tout cas, moi, je travaille dur pour ça tous les jours!
     


 
Shueisha, Shogakukan et Shopro espèrent-il récupérer dans un avenir proche certaines licences pour l'instant détenues en France par d'autres éditeurs?
Nos maisons mères n’ont jamais imaginé un tel scénario, et elles ont été très claires sur ce point avec leurs partenaires historiques. Comme je le disais précédemment, le marché du manga s’est construit dans la durée, parce des éditeurs hors du Japon ont développé le marché à l’international. En France, plus encore qu’ailleurs, les éditeurs japonais sont reconnaissants envers leurs partenaires et n’ont absolument aucune intention de changer de stratégie. Rassurez-vous, Naruto, One Piece et Nana resteront chez leurs éditeurs, comme toutes les séries déjà licenciées. Pour autant, nous vous promettons en 2010 plein de nouvelles séries à ne pas rater!!
  
 
Nous vous remercions beaucoup pour cette interview!