TONE Satoe - Actualité manga

TONE Satoe 刀根里衣

Interview de l'auteur

Il y a quelques mois, nous découvrions aux éditions nobi nobi ! Le Voyage de Pippo de Satoe Tone. Si cette jeune auteure de seulement 31 ans a déjà été publiée à de nombreuses reprises en France, nous la retrouvions pour la première fois aux éditions nobi nobi ! avec un ouvrage issu de son prix remporté à la Foire internationale du livre jeunesse de Bologne et qui nous a beaucoup marqués en obtenant même un 20/20 sur notre site !

C'est donc avec beaucoup d'intérêt que nous avons profité de sa venue au dernier Salon du Livre de Paris pour lui poser nos questions. Voici aujourd'hui le compte-rendu de notre entretien avec une jeune artiste aussi charmante et souriante que bavarde et humble.



Qu'est-ce qui vous a décidé à devenir auteure d'albums illustrés ? Des auteurs et souvenirs d'enfance qui vous auraient marqué ?

Satoe Tone : J'ai toujours aimé les livres d'illustrations depuis que je suis toute petite. Il n'y a pas d'auteur en particulier qui m'ont décidé à franchir le pas. C'est plutôt l'ensemble de ce que j'ai pu découvrir en matière d'illustrations qui m'a fasciné dès mon plus jeune âge. Depuis, l'amour du visuel ne m'a jamais quitté.


Comment vous est venue l'idée du Voyage de Pippo ?

J'ai eu l'idée de cette histoire suite au concours de la Foire du livre jeunesse de Bologne. J'ai toujours adoré dessiner la nature, et il s'avère que la thématique du concours cette année-là était justement la nature. J'ai donc dessiné dans ce cadre cinq illustrations, et l'une d'elles a remporté le Premier Prix International de l’Illustration ! Sur le coup, je n'y croyais pas, l'annonce de ma victoire au micro m'a beaucoup étonnée ! A la suite de quoi j'ai voulu dessiner un récit se déroulant autour de la nature et du défilement des mois et des saisons, ce qui a abouti sur l'album que vous connaissez.


Comment est né le personnage de Pippo ? Pourquoi avoir choisi une grenouille ?

Ma mère avait un petit chien qui s'appelait Pippi et qui avait les mêmes yeux qu'une grenouille, ces yeux qui ont toujours une petite lueur de tristesse ou de mélancolie teintée d'innocence. C'est lui qui m'a inspiré pour créer Pippo.


L'autre personnage central de l'album est évidemment la brebis qui guide Pippo et se lie à lui. Pourquoi avoir choisi cet animal ?

Dans la tradition japonaise (comme dans la tradition occidentale, il me semble), il y a cette coutume de compter les moutons pour s'endormir et accéder au monde des rêves. Le Voyage de Pippo étant un récit onirique où le héros voyage dans les rêves, l'image de la brebis s'est imposée d'elle-même.



Comment avez-vous imaginé cet univers basé sur les rêves et qui se dévoile au fil des saisons ?

Au Japon, les saisons sont très importantes. On y prête énormément d'attention, on s'adapte à chacune d'elle pour vivre au mieux. De ce fait, j'ai toujours trouvé très jolie la façon dont le temps s'écoule à leur rythme, et j'ai toujours voulu illustrer cela.
Quant à la thématique des rêves, elle a permis de donner encore plus d'élan à l'imagination (à la fois la mienne et celle des lecteurs). L'univers des rêves est celui où tout est possible, où il n'y a pas vraiment de limites, et où l'on peut donc exprimer pleinement tout ce que l'on veut.


Vous dites adorer dépeindre la nature, les saisons, les animaux... Seriez-vous capable de dire précisément ce qui vous attire tant dans les peintures naturelles ?

A l'origine, c'est mon éditeur japonais qui souhaitait avoir ce type d'éléments ! De base j'aimais cela, mais c'est à partir du moment où je m'y suis mise que j'ai vraiment vu grandir mon intérêt pour ces cadres influencés par la nature et par les animaux.


On constate dans l'album un certain travail de mise en scène sur les illustrations. A chaque illustration, on a les personnages de Pippo et de la brebis regardant bien vers l'avant, d'abord en étant assez proches l'un de l'autre. Puis par la suite, la brebis s'éloigne un peu vers l'arrière pendant que Pippo poursuit sa route vers l'avant... avant que le final ne les rapproche. On sent que tout cela a été travaillé pour appuyer l'histoire. De ce fait, quelle importance avez-vous accordé à cette mise en scène ?

Ca me vient naturellement, en réalité je n'imagine pas ce genre de choses à l'avance. En quelque sorte, ça se fait au feeling, directement sur la feuille de dessin sans réelle préparation. Je fonctionne à l'émotion de l'instant. Et je suis donc ravie de savoir que vous avez perçu ainsi ma mise en scène, car ça signifie pour moi que ma méthode est efficace (rires).

Je ne me considère pas comme une écrivaine, de toute façon je n'ai fait aucune étude dans l'écriture mais plutôt dans l'illustration. Et c'est donc à travers les illustrations que je me dois avant tout d'exprimer ce que je veux transmettre.



Quels outils utilisez-vous pour concevoir ces illustrations ?

J'utilise uniquement de l'acrylique, sur des pages blanches classiques. Généralement j'applique d'abord les couleurs les plus sombres, au dessus desquelles j'ajoute ensuite plusieurs couches des couleurs plus claires.


Pour votre style de dessin, avez-vous connu des influences particulières ?

Uniquement la nature que j'observe. Elle est la meilleure source d'inspiration.


Vous adorez la nature, or le Japon est bien connu pour la beauté de ses paysages naturels, mais depuis déjà quelques années vous vivez en Italie... La nature nippone vous manque-t-elle parfois ?

C'est tout simplement le traditionnel Hanami qui me manque le plus. Cette période de l'année est profondément ancrée dans la culture japonaise, tout le monde y assiste, et depuis plus de trois ans que je vis à Milan je n'ai toujours pas pu retourner au Japon pour y assister...

Il y a ensuite des lieux spécifiques que j'adorerais voir, comme l'île de Yakushima (ndlr, une île largement réputée pour sa flore abondante, classée au patrimoine de l'Unesco. On y trouve notamment la forêt de Shiratani unsui-kyō, qui a inspiré Hayao Miyazaki pour plusieurs décors de Nausicaä et de Princesse Mononoke).

La forêt de Yakushima (© Hiroyuki Nagaoka/Getty Images)

Vous avez un style très doux, très onirique, et en même temps très chaleureux dans les couleurs. Que souhaitez-vous le plus en ressortir ?

Merci ! Je veux avant tout en dégager quelque chose de très positif. Je veux que mes lecteurs se sentent bien en les regardant. Qu'ils en ressortent amusés, souriants, ou simplement apaisés.


Y a-t-il une illustration que vous préférez dans Le Voyage de Pippo ?

L'avant-dernière illustration, car c'est celle où Pippo paraît le plus heureux. C'est la seule illustration où on le voit courir, vers l'avant, parce qu'il a enfin retrouvé de la joie.


Une joie qui passe avant tout juste après par la brebis, amie qu'il serre de tout son coeur à la dernière planche. Cette amitié de grande valeur était le principal message que vous vouliez faire passer ?

Oui, complètement. Mais pour tout vous dire, au départ l'album s'arrêtait sur l'avant-dernière page où Pippo court, et je laissais le soin au lecteur d'imaginer la suite. Mais finalement, nous nous sommes dit avec nobi nobi ! Que le fait de s'arrêter là ne transmettrait pas assez fortement la notion d'amitié, et j'ai donc rajouté cette dernière planche ensuite.


Du coup, la concevoir après coup n'a pas été trop dur ?

Elle m'a demandé beaucoup d'attention. Comme elle fait suite à la planche où Pippo court vivement, il fallait réussir à y dégager à la fois la joie retrouvée de la grenouille et l'apaisement qu'il ressent en serrant son amie la brebis. C'était la planche finale, celle qui devait cristalliser l'ensemble du message de l'album.


Revenons désormais sur votre vie en Europe. Pourquoi avez-vous choisi de vivre en Italie à Milan ?

On me pose souvent la question et je ne sais jamais quoi répondre (rires). Tout le monde croit que je suis partie vivre en Italie dans le cadre du prix obtenu à Bologne, alors que pas du tout. C'est juste que je n'ai jamais voulu rester exclusivement au Japon et que je souhaitais voir d'autres contrées.

Je trouvais qu'au Japon, les gens étaient trop étroits au niveau de leurs sentiments et manquaient d'ouverture d'esprit. Mon envie de voyager s'est couplée à cette impression.


Un grand merci à Sarah Marcadé et aux éditions nobi nobi ! pour la mise en place de cette rencontre, à l'interprète pour la qualité de sa traduction, et à Satoe Tone pour sa bonne humeur et son ravissant sourire !