TAMURA Ryûhei - Actualité manga

TAMURA Ryûhei 田村隆平

Interview de l'auteur

Publiée le Mercredi, 20 Août 2014

Devenu en quelques années un titre phare des éditions Kazé Manga, Beelzebub fut joliment mis à l'honneur à l'occasion de Japan Expo : en plus d'une exposition de silhouettes et d'une statue grandeur nature sur son stand, l'éditeur avait surtout l'honneur d'accueillir l'auteur de la série, le mangaka Ryûhei Tamura, que nous avons pu rencontrer au cours d'une interview enrichissante, où il est notamment revenu sur la création de sa série, sur ses personnages et sur sa façon de travailler. Compte-rendu.



Ryûhei Tamura, bonjour et merci d'avoir accepté cet entretien. Comment vous est venue l'envie de devenir mangaka ? Certains auteurs de votre jeunesse vous ont-ils influencé ?

Ryûhei Tamura : A l'école, j'ai commencé à m'intéresser au métier de mangaka en voyant l'un de mes camarades de classe faire du dessin. Je me suis dit que ça avait l'air intéressant et amusant, donc je m'y suis mis à mon tour. C'est de cette manière que j'en suis arrivé à réaliser mes premiers dessins de manga.
Auparavant, il m'était déjà arrivé de faire des illustrations et des dessins, mais avant d'observer ce camarade de classe je n'avais jamais essayé de dessiner à la manière d'un manga, c'est à dire en travaillant le découpage et la mise en scène. Dès lors, j'y ai pris goût et je ne me suis plus arrêté.

Les mangas qui m'ont influencé sont ceux que je lisais dans le Shônen Jump quand j'étais enfant : Dragon Ball, Yu Yu Hakusho... mais aussi les oeuvres de Kamui Fujiwara, que j'ai eu la chance de rencontrer tout à l'heure (ndlr, Kamui Fujiwara, auteur de Dragon Quest – Emblem of Roto, était l'invité des éditions Ki-oon à cette même Japan Expo) ! Emblem of Roto est même le premier manga que j'ai acheté de ma vie ! Du coup, la venue de son auteur au même salon que moi, j'ai vu ça comme une coïncidence beaucoup trop belle, et je me suis dit que j'étais obligé d’essayer de le rencontrer sur le salon. C'était amusant, car pendant mes premières séances de dédicaces sur le salon j'ai eu en face de moi de nombreux fans un peu tendus et émus, et tout à l'heure, devant Mr Fujiwara, j'étais exactement dans le même état d'esprit qu'eux (rires).


Vous avez été l'assistant de Toshiaki Iwashiro, l'auteur de Psyren. Que vous a apporté cette expérience ?

Mr Iwashiro est la première personne pour laquelle je suis devenu assistant. Je venais tout juste d'arriver à Tôkyô.

Avant d'être son assistant, pendant trois ans j'ai enchaîné des histoires courtes sans jamais réussir à décrocher une série plus longue. Puis Mr Iwashiro m'a contacté et m'a proposé de devenir son assistant pendant un mois, pour travailler et progresser. Cela m'a permis de voir comment il travaillait, de voir comment il découpait ses planches, et ça a été très instructif pour moi. Je lui dois beaucoup.



Comment vous est venue l'idée de Beelzebub ? Comment avez-vous créé l'univers déjanté de cette série ?

Avant de concevoir Beelzebub, je travaillais sur une idée de manga avec un furyô (grosso modo un voyou, ndlr), mais ça ne fonctionnait pas très bien. J'ai présenté plusieurs fois des croquis préparatoires à mon éditeur, mais ça ne passait pas, à chaque fois c'était rejeté. Néanmoins, à force de dessiner des voyous, j'ai remarqué que j'aimais beaucoup dessiner ce type de personnage, et je me suis alors demandé quelle idée je pourrais ajouter pour apporter de l'originalité et pour que ce soit plus percutant. J'ai d'abord eu l'idée de lui mettre un petit bébé sur l'épaule, en pensant que ça ferait rire les lecteurs de voir l'écart entre ce voyou et ce bébé. C'est comme ça qu'est née l'idée de base de Beelzebub.


Justement, à partir de là, comment avez-vous créé le personnage de Baby Beel ? Et n'y a-t-il pas eu de problème émis par l'éditeur sur le fait de le dessiner nu ?

J'ai rapidement eu l'idée d'en faire le fils du diable. Puis quand j'ai commencé à le dessiner, je l'ai tout naturellement fait nu, parce que je me disais que comme c'était le fil du diable il pouvait tout se permettre. Mais je vous avoue qu'effectivement, je me suis dit que ça n'allait pas du tout passer auprès de mon éditeur... et sa réaction a été inverse ! Il m'a tout de suite dit oui, m'a dit que c'était exactement ce qu'il fallait, un bébé tout nu (rires).

Sur le coup, je me suis demandé s'il était vraiment sûr de ce qu'il venait de dire. Mais aujourd'hui, en voyant la popularité de Baby Beel tel qu'il est, je me rend compte qu'il avait raison.


Quant à Furuichi, il est sûrement l'un des plus merveilleux losers qu'on a pu voir dans un manga ! Personne ne le porte en estime, il est lâche, pervers, traité de pédophile, un peu maso... Comment avez-vous conçu ce personnage ?

(rires) Au départ, j'avais pensé Furuichi comme un simple personnage secondaire dans la sphère du héros Oga. Mais c'est un personnage que j'ai commencé à beaucoup aimer parce qu'il a vraiment du coeur. Quels que soient les misères que lui fait Oga et les mauvais traitements qu'il subit, il est finalement toujours prêt à pardonner à son ami Oga et aux autres, même s'il se rebelle parfois.



Plus généralement, les autres personnages sont tous assez uniques et barjes dans leur genre, entre Hilda la servante surpuissante en gothic lolita, Alindolon qui s'ouvre en deux, Himekawa et sa banane... Sur quoi vous êtes-vous basé pour créer cette galerie de personnages secondaires, niveau caractère et look ?

Mon procédé était de leur offrir certaines spécificités, et d'accentuer à fond ces spécificités. Dans le cas de Himekawa par exemple, j'aurais pu me contenter de faire un personnage avec une banane classique, mais je suis dit qu'il était plus intéressant de lui faire une banane hyper longue (rires).


Lequel a été le plus dur à créer ?

L'une des particularités de la série était qu'au niveau des personnages, je commençais toujours par leur offrir quelques traits de personnalité, avant de les accentuer. De ce fait, la plupart d'entre eux n'évoluent pas vraiment au fil de la série, car ils ont déjà tous leurs traits de caractère poussés.
Alors que quelqu'un comme Kanzaki, qui se fait totalement dégommer par Oga dès sa première apparition, revient ensuite à chaque fois un peu plus fort ou un peu plus gentil. Du coup, la conception de ce genre de personnage ne se fait pas totalement dès le départ, elle évolue dans le temps. Le personnage se construit sur la durée, ce qui n'est pas spécialement difficile à faire, mais demande plus d'attention.


Et à votre avis, quel serait votre personnage préféré, et quel est celui qui vous ressemble le plus ?

Le personnage que je préfère est sûrement Baby Beel, parce qu'il est le coeur de la série, qu'il est mignon, et que quelque part il attire l'affection. Et puis il a une petite particularité : je le dessine à travers le regard d'Oga, ce que je ne fais pas avec les autres personnages. A ce titre, il y a notamment une scène dans les derniers tomes de la série (ndlr, scène qui, à la date de juillet 2014, n'est pas encore parue en France) où Oga et Baby Beel sont séparés, et quand j'ai dessiné cette scène j'étais moi-même beaucoup ému. Bref, je pense que j'aime autant Baby Beel qu'Oga lui-même l'aime dans la série, même si Oga, lui, ne le montre pas souvent franchement.

Néanmoins, je dois dire que le personnage qui me ressemble le plus est sans aucun doute Furuichi (rires).



Beelzebub a été prépublié dans le célèbre Shônen Jump, le magazine n°1 au Japon. Que ressentez-vous à l'idée d'avoir été publié dans ce magazine ? La pression n'a-t-elle pas été trop forte ?

Je ne vais pas vous le cacher, je ressentais une pression permanente. Avant que la série ne soit adaptée en anime, je ressentais une forme de peur, à tel point que j'étais incapable d'aller sur internet pour lire ce que les gens disaient sur ma série.


Et parmi les oeuvres publiées actuellement dans le magazine, lesquelles attirent votre attention ?

Sans hésitation, Hunter x Hunter est encore et toujours la série sur laquelle je préfère m'attarder. Je suis ravi d'avoir vu sa publication reprendre récemment.

Que ce soit dans mon enfance avec Yu Yu Hakusho ou ces dernières années avec Hunter x Hunter, Yoshihiro Togashi est un auteur qui m'a toujours plu.


Comment se déroulait la conception d'un chapitre hebdomadaire de Beelzebub, du nemu jusqu'au rendu des planches ?

C'était assez simple. En général, je passais les trois premiers jours à réfléchir à l'histoire et à concevoir les nemu, le découpage. Puis les quatre jours suivants je dessinais les planches.



Beelzebub alterne régulièrement tranche de vie, humour complètement débridé et scènes d'action plus ou moins sérieuses. Quel type de scènes vous tenaient le plus à cœur ?

J'aime autant faire des scènes quotidiennes que des scènes d'action, mais je suis quelqu'un qui me lasse très vite. Du coup, quand je dessine des scènes du quotidien j'ai vite envie de refaire des scènes de baston, et le contraire est vrai aussi (rires). C'est pour ça qu'il y a cette alternance.


Et quelles scènes ont été les plus dures à faire ?

Les scènes qui m'ont posé le plus de problèmes sont celles où des personnages beaucoup plus forts que les autres font leur apparition. Par exemple, les passages où Tôjô et Jabberwock apparaissent ont été assez éprouvantes, parce que j'avais vraiment envie qu'elles soient réussies et intenses. J'ai toujours un doute pour ce genre de scènes, je me demande toujours si elles fonctionnent bien.


Maintenant que Beelzebub est terminé, avec le recul, si vous deviez y changer ou y retravailler quelque chose qu'est-ce que ce serait ?

Il y en a tellement que je préfère ne pas y réfléchir sérieusement (rires). Comme je le disais juste avant, je suis resté dans le doute pour certaines scènes d'action, donc peut-être que ce sont celles-si sur lesquelles je reviendrais d'abord, s'il le fallait.


Quels outils utilisez-vous pour dessiner ?

Je me suis mis récemment aux outils numériques, mais à l'époque de Beelzebub je faisais tout à la main.

Au départ j'ai commencé avec un maru-pen, une sorte de plume à bille, puis dans la deuxième moitié de la série je suis passé au j-pen, une plume plus classique. Je j-pen est une plume qui est assez difficile à utilise car elle demande une certaine technique, et au début de la série je me sentais incapable de l'utiliser. Je n'avais pas encore assez d'expérience.
La plupart des mangakas travaillant de façon régulière utilisent le j-pen, au début de la série j'avais une forme d'admiration par rapport à ça, et du coup je voulais moi aussi pouvoir l'utiliser.



Nous avons aussi pu profiter de l'adaptation animée de Beelzebub. Dans quelle mesure avez-vous participé à cet anime ? Quel regard portez-vous dessus ?

J'ai été très peu impliqué dans l'anime, mais je l'ai regardé avec beaucoup d'intérêt, car il possède certains passages qui ont été créés pour l'occasion et qui ne figurent donc pas dans mon manga. Ce sont ces passages qui m'ont le plus plu, car la production il y a laissé s'exprimer une certaine fantaisie.


L'humour de Beelzebub passe aussi par les textes. En plus des situations comiques, il y a un certain travail sur les dialogues de la série, qui sont régulièrement drôles ou assez mordants. Quelle part de travail la conception des dialogues a-t-elle représentée ?

Sincèrement, ce n'est pas la partie qui m'a posé le plus de problèmes, et y caser des gags était même facile.

Quand je suis bien dans ma peau et que j'ai confiance en moi, je n'ai pas de problème pour trouver des gags, car faire rire est quelque chose qui me plaît. A l'inverse, je pense que j'ai beaucoup plus de difficultés avec des scènes trop sérieuses.


Comment ressentez-vous le succès de Beelzebub en France ?

Comme vous vous en doutez sûrement, je n'ai pas commencé Beelzebub en me disant que la série serait publiée un jour à l'étranger, c'est une série que j'ai d'abord faite pour le public japonais.

Aujourd'hui, voir que mon manga a traversé la planète et qu'il a su toucher un public dont je ne savais pas qu'il était à ce point au courant de ce qui se fait au Japon, c'est tout d'abord un immense honneur, et un grand plaisir personnel.


Merci beaucoup pour cette rencontre !


Remerciements à Ryûhei Tamura et à son staff éditorial, à Jérôme Chelim de Kazé Manga, à l'interprète Thibaud Desbief, et au staff de Kazé Manga.
  
Mise en ligne en août 2014.