SONNY Liew - Actualité manga

Interview de l'auteur

Sonny Liew est venu en France il y a quelques temps à l'occasion du festival nantais les Utopiales, où il a gagné le prix de la meilleure BD avec son titre Malinky Robot (disponible en France aux éditions Paquet). Nous en avons profité pour organiser une interview avec cet auteur talentueux...
 
 
Manga-news: Vous avez un parcours professionnel assez atypique... Comment quelqu'un d'origine malaisienne qui vit à Singapour s'est retrouvé dans le monde de la bande dessinée?
Sonny Liew: Mon parcours n'est pas si atypique que ça! En fait, j'ai toujours été intéressé par le monde de la BD. A l'école, je profitais de chaque instant pour dessiner sur mes cahiers... C'est la revue hebdomadaire 2000 AD, qui publiait à l'époque Judge Dread, ainsi que la BD Calvin et Hobbes qui m'ont donné envie de me lancer dans ce milieu, de réaliser mes propres personnages.
 
Sonny Liew, portant le trophée reçu aux Utopiales...
 

  
  
Comment est née votre rencontre avec l'éditeur américain Vertigo?
Quand j'étais étudiant aux États-Unis, j'ai commencé à présenter mes travaux à des éditeurs, notamment lors du Comic-Con de San Diego. J'ai reçu par la suite des propositions de la part Vertigo et c'est ainsi que j'ai commencé à travailler avec cet éditeur...


Pouvez-vous nous en dire plus sur votre toute première histoire publiée?
En fait, il y a eu deux première fois pour moi.
A 19 ans, alors que j'étais étudiant à Cambridge en section philosophie et que je rentrais chez moi à Singapour, j'ai participé à un concours dans un magazine local pour faire des strips sur l'actualité. J'ai été sélectionné via ce concours et c'est ainsi qu'a débuté ma première publication.
Ma «deuxième» première fois, c'est lorsque Vertigo m'a demandé d'illustrer une histoire intitulée My faith in Frankie, scénarisée par Mike Carey. Cette histoire a été publiée en couleurs sous la forme de fascicules puis en recueils n&b. A cette époque, je ne savais pas si j'avais le niveau et ce fut donc très dur pour moi de dessiner cette histoire...
 
Ci-dessous, voici une photo de la couverture d'un fascicule de My faith in Frankie, ainsi qu'un cliché d'une planche.
      
                  
                  
  
Travaillez-vous toujours avec Vertigo?
Le dernier travail que j'ai réalisé pour Vertigo fut un ouvrage en noir et blanc assimilé à un manga, dans le cadre de la création d'une collection de shojos américains. J'avais réalisé l'histoire d'une jeune coréenne qui se lance dans le judo. Malheureusement,  la collection a été interrompue...


Pouvez-vous nous parler de vos influences et des auteurs que vous appréciez tout particulièrement?
Avant toute chose, il faut savoir que je fais bien la différence entre l'aspect graphique et la narration. Concernant l'aspect graphique, deux noms me viennent: Bill Watterson (Calvin et Hobbes) et Katsuhiro Otomo (Akira). Étant donné que j'aime beaucoup la narration alternative, les auteurs que j'apprécie beaucoup dans ce domaine sont Yoshiharu Tsuge (L'homme sans talent) et Kiyohiko Azuma (Yotsuba).
 
   
  
 
Dans Malinky Robot, j'ai ressenti une certaine ressemblance entre votre style graphique et celui de Taiyo Matsumoto...
Je connais Matsumoto et j'apprécie beaucoup ces talents de conteur. Mais j'ai commencé le projet Malinky Robot sans avoir aucune connaissance de l'univers de cet auteur. En fait quand j'étais à mi-chemin de la création de Malinky Robot, je suis tombé par hasard sur un ouvrage d'Amer Beton. C'est là que je me suis aperçu que nous avions un style assez proche. Néanmoins, ce qui fait la différence entre Malinky Robot et une œuvre comme Amer Beton, c'est l'univers dans lequel évoluent nos héros.
En effet l'univers de Matsumoto est presque métaphysique alors que de mon côté je souhaite m'inscrire dans la réalité.
C'est un des projets de Malinky Robot: faire des histoires ancrées dans la réalité, tout en utilisant parfois un discours qui paraît irréel.
  

 

Malinky Robot est votre premier titre publié en France. Comment s'est monté le projet?
J'ai rencontré Pierre Paquet des éditions Paquet en 2004 à San Diego. Monsieur Paquet appréciait beaucoup mon travail, notamment mon style graphique. Lorsque le label Bao a été créé, j'ai reçu un mail qui me proposait l'édition de Malinky Robot en France, qui correspondait alors à la ligne éditoriale du label Bao. Dans le cadre d'une publication française, l'ouvrage a été repensé afin qu'il soit plus cohérent avec le marché français.
 

   

Est-ce que le résultat final vous convient?
L'approche éditoriale française étant très différente de celle des USA, c'est la première fois que je me suis retrouvé à autant discuter du livre en tant qu'objet physique. Mais au final, le résultat me convient.

 
Pouvez-vous nous expliciter le choix du titre de votre BD, et plus précisément le terme «Malinky»?
«Malinky» est un terme que j'ai entendu quelque part, mais je ne sais plus où exactement... Je pensais qu'il n'avait pas de sens particulier, que c'était une sorte de néologisme. Mais après avoir commencé à publier Malinky Robot, des éléments nouveaux me sont parvenus: j'ai appris qu'en Russie, «Malinky» voulait dire «petit» dans un sen très affectif.
Ce qui est intéressant avec ce titre, c'est que chaque lecteur peut s'approprier le terme «Malinky», en le définissant selon ses propres références... Je trouve cela très bien!


Quel message souhaitez-vous faire passer avec ce titre?
En fait, il n'y a pas réellement de messages dans cette œuvre. Cette volonté de ne pas insérer de message est d'ailleurs un des éléments clé du projet. Le propos du livre est de faire passer des tranches de vie, si j'avais voulu faire passer un message, j'aurais utilisé une structure de narration beaucoup plus classique, avec un schéma «exposition - conflit – résolution». Mais le sens de mes histoires, c'est de proposer des morceaux d'existence qui peuvent avoir un sens lorsqu'ils sont pris individuellement.
Ensemble, ils deviennent le témoignage de ce qu'est ma vision de l'existence.
Après, tout ce que je viens de vous dire n'est peut être qu'un blabla servant à cacher le fait que j'ai mal fait mon travail en ne proposant pas de réel message à mon histoire! (rires)


Vous avez un style graphique coloré et très détaillé. En moyenne, combien vous faut-il de temps pour réaliser une planche?
Sur un plan strictement graphique, il me faut une demi-journée pour faire une page, sans compter la colorisation. De manière plus générale, le temps est variable selon la page et les difficultés techniques.
  
Ci-dessous, Sonny Liew lors du salon du livre 09, en mars dernier.
  

  
  
Est-ce que vous réalisez un travail de documentation dans l'élaboration de certaines planches, notamment pour les passages où la ville de Tokyo sert de toile de fond?
Pour Malinky Robot, l'histoire se focalise dans un quartier très précis de Tokyo, celui de San'ya, qui regroupe surtout une population pauvre, composée en partie de travailleurs immigrés. C'était important pour moi de bien dépeindre cet endroit, j'ai donc utilisé un ouvrage qui parle de la vie des gens dans ce quartier et qui disposait de beaucoup de photographies.
Mais je ne me suis pas servi de cette documentation dans l'optique de coller à la réalité physique de ce quartier, mais plutôt à son processus. L'idée était de placer des grandes masses, c'est à dire des bâtiments tels que je les imaginais, puis de me servir de la documentation pour la réalisation des détails. Pour moi, ce sont les détails qui donnent un côté réaliste à une histoire, et pas sa structure globale.
 
 
Pourquoi avoir choisi la ville de Tokyo comme toile de fond?
C'est la rencontre de plusieurs facteurs qui fait que mon choix s'est porté sur Tokyo. Le premier facteur, c'est ma rencontre avec le livre que j'ai évoqué tout à l'heure et qui s'intitule San'ya Blues. Il relate l'expérience d'un journaliste étranger, Edward Fowler, qui y a vécu un an.
Le second facteur était l'occasion pour moi de parler d'un Japon différent de celui perçu par la plupart des Occidentaux, en mettant en avant un quartier de Tokyo qui n'est sur aucun guide touristique.
 
Couverture de l'ouvrage San'ya Blues - Laboring life in contemporary Tokyo, de Edward Fowler:
 

    
  
En lisant votre BD, on s'aperçoit qu'il existe une alternance de fonds noirs et de fonds blancs. Que voulez-vous transmettre à vos lecteurs avec ce jeu de clair-obscur?
En tant qu'artiste de bande dessinée, j'ai réalisé que l'un des plus gros challenges pour un auteur était d'essayer de contrôler, ou tout du moins d'influencer le rythme de l'histoire, dans la mesure où un lecteur peut tout aussi bien passer 5 minutes que 5 secondes à regarder une planche. Cette alternance de fonds noirs et blancs s'inscrit dans cette optique. L'idée est de prendre le lecteur par surprise lorsqu'il tourne une page, et de lui donner sans cesse l'envie d'observer les planches via ce changement constant d'arrière-plans.
 
 
A un moment dans le livre, vous allez encore plus loin. Alors que les héros se réunissent, la lumière s'éteint et occasionne des cases ainsi qu'une énorme page noires. Vous écrivez alors, via les paroles d'un personnage, que «c'est bien aussi, le noir»...
Cet épisode est un événement important dans le dispositif de mon histoire. C'est un moyen de tester des choses nouvelles, car dans ce passage il se passe des choses alors même que je ne dessine presque rien!
C'est également de l'auto-dérision par rapport au travail de l'artiste et un moyen qui me permet de créer une complicité avec le lecteur.
L'ensemble du projet Malinky Robot veut en fait mêler un style graphique qui pourra plaire au plus grand nombre avec une narration expérimentale, dans le sens où j'ai voulu tester des choses nouvelles en essayant d'aller jusqu'aux limites du médium qu'est la bande dessinée. L'épisode de la panne d'électricité s'inscrit dans cette optique.
 
 
La bande dessinée est très importante en Asie. Pouvez-vous nous parler de la place du manga à Singapour?
A Singapour, le manga représente plus de la moitié du marché de la bande dessinée. Il y a en fait deux types de marché à Singapour concernant le livre: il y a un marché où les livres sont diffusés en langue chinoise, et un autre où ils sont diffusés en anglais.
Dans le cas du manga, le marché chinois va lire à la fois du manga japonais traduit et du manga  de Hongkong. Le marché anglais, qui se destine plus à une élite sachant s'exprimer dans cette langue, va être constitué de manga japonais traduits en anglais et de comics américains.
De plus, il faut savoir que le manga a beaucoup d'influence sur les artistes locaux: beaucoup de jeunes artistes qui ont grandi avec le manga veulent dessiner du manga.
 

Des éditeurs de Singapour ont-ils fait appel à vos services dernièrement?
Il y a très peu de producteurs de bandes dessinées locaux à Singapour, essentiellement parce que le marché est très petit et complexe. Par contre, à Singapour, je fais beaucoup d'illustrations pour le domaine de la presse et de la publicité.
     
Sonny Liew en pleine dédicace...
 

   
 
Sur quel projet travaillez-vous actuellement?
Je travaille actuellement sur la parution en France de certains de mes projets qui sont sortis aux États-Unis. Ainsi paraîtra en mars chez Bao Au pays des merveilles.
Concernant mes nouveaux projets, je travaille actuellement sur une sorte de suite à Malinky Robot, qui reprendra les mêmes personnages mais sur une histoire longue. L'histoire sera normalement publiée chez Bao.
Je planche également sur un projet avec Marvel, qui est une adaptation en bande dessinée d'un roman de Jane Austen: Sense and Sensibility. En parallèle, je réalise beaucoup de peintures qui sont exposées dans diverses galeries. J'ai beaucoup de projets!
 
 
Comment s'organise une semaine type pour vous?
Déjà, un jour par semaine est consacré aux Beaux arts où j'enseigne la narration graphique. Le reste du temps est organisé de manière un peu plus chaotique... Je me lève à 14h00, je travaille sur mes différents projets en fonction de mes envies... C'est aléatoire!
En ce moment je dispose d'un peu plus de temps libre car auparavant, je jouais beaucoup au foot mais une blessure m'empêche de revenir sur les terrains pour le moment...
 
 
Combien de temps vous faut-il pour monter un projet complet?
C'est très variable. Si c'est un projet de commande, avec un scénariste extérieur, mon travail est assez mécanique. Quand c'est un projet personnel, c'est beaucoup plus long car il y a la phase d'élaboration du scénario, de documentation, puis la réalisation des dessins...
 
 
Comment votre famille a réagi lorsqu'elle a appris votre désir de devenir dessinateur?
Mes parents m'ont soutenu dès le départ! Après j'ai eu beaucoup de chance car j'ai été publié assez vite.
 
 
Vos voyages influencent-ils votre travail?
Ils ne sont pas une influence directe. Par contre, le fait de rencontrer des auteurs et lecteurs étrangers, de visiter des librairies, me donnent de l'énergie et l'envie de me remettre au travail!
 
 
Merci beaucoup!
Merci!
 
 
Interview réalisée par Manga-news et shinob.
  
Remerciements à Sonny Liew et Jean Paul Moulin, directeur de la collection Bao des éditions Paquet.
  
 
Pour conclure, une vidéo de Sonny Liew en train de nous dédicacer notre ouvrage de Malinky Robot.