SHONEN - Actualité manga

Interview de l'auteur

C'est samedi, à l'heure du repas, que j'ai eu le plaisir de rencontrer Kaze et Shonen, respectivement scénariste et dessinateur de la série BB Project, parue chez les Humanoïdes associés.





Manga-news: Shonen et Kaze, Bonjour! Pouvez-vous nous raconter votre parcours?

Shonen (dessinateur de BB Project): A l'origine, j'ai fait deux DUT en génie mécanique et informatique, donc rien ne me prédisposait à être dessinateur.
C'est grâce à une une pratique assidue du dessin et à une forte motivation que je travaille dans ce domaine aujourd'hui.


Ce désir de devenir mangaka est un rêve de gosse où l'idée vous est venue tardivement?

C'est venu tardivement. A la base le dessin était juste un loisir.


Et vous Kaze?

Kaze (scénariste de BB project): A l'école, j'ai toujours eu des notes pitoyables en Français et en rédaction. Je faisais énormément de fautes d'orthographe! (rires). C'est en lisant beaucoup de mangas et de bandes-dessinées franco-belges puis en m'excerçant que j'ai acquis l'expérience nécessaire pour devenir scénariste.


Qui a eu l'idée de créer BB Project?

Kaze: C'est une idée commune. Shonen et moi-même nous nous sommes beaucoup concertés avant de proposer notre projet à notre éditeur.


Que pensez-vous du terme «Global manga»?

Shonen: J'ai entendu ce terme pour la première fois en discutant avec un ami travaillant chez Tokyopop (éditeur américain qui publie du manga, ndlr). Il faut savoir que ce terme n'englobe pas uniquement les productions occidentales, mais aussi américaines, australiennes, et certains pays asiatiques (Malaisie, Thaïlande...).


Quelles sont vos influences?

Shonen: Pour BB project, je me suis inspiré de Oh Great (l'auteur d'Enfer et Paradis, ndlr). J'apprécie également le travail de Miura (l'auteur de Berserk, ndlr) et Inoue (l'auteur de Slam dunk et Vagabond, ndlr). Je suis également très intéressé par le travail de certains character designer qui officient dans le domaine des jeux-vidéos.

Kaze: Ma plus grande source d'inspiration reste Yoshihiro Togashi (Yuyu Hakusho, Hunter x Hunter, ndlr). En franco-belge, j'adore ce que fait Enki Bilal.


De quelle manière travaillez-vous?

Kaze: Nous travaillons chacun de notre côté. Shonen vit à Paris, moi à Metz. Je rends les pages à mon éditeur qui va soit les transmettre à Shonen, soit me les renvoyer afin que j'effectue quelques corrections.
Shonen: Je n'ai pas d'assistants. Je commence d'abord par faire un crayonné, puis l'encrage. Enfin tout le reste du travail est réalisé sur mon ordinateur.


Quels sont vos délais?

Kaze: Nous allons essayer d'augmenter la cadence pour les prochains volumes de BB project, afin d'atteindre la parution d'un volume tous les quatre mois.


Shonen, vous dessinez seul, alors que votre style graphique est très soigné... Vous devez travailler énormément chaque jour!

Shonen: Il n'y a pas vraiment de règles. La plupart du temps, je commence à travailler à 09h00. Ma journée se termine vers 03h00 ou 04h00 du matin. Je peux finir plus tôt bien-sûr... En fait, tout dépend du nombre de détails que je vais mettre sur la page dont je m'occupe, et sa difficulté en elle-même.


Kaze, avez-vous imaginé la fin de la série ou imaginez-vous le contenu du scénario au jour le jour?

Kaze: Tout le scénario a été mûri dans mon esprit. Mais au fil des volumes, je peux apporter des modifications dans le cheminement.


La série est prévue en combien de volumes?

Kaze: Shonen et moi avons statué sur un nombre compris entre 15 et 20 volumes. Mais tout peut changer bien-sûr!


Avez-vous d'autres projets?

Shonen: BB project est mon premier projet professionnel. Il faut savoir néanmoins que je travaille sur une autre série: Omega complex.

Kaze: BB project est également mon premier projet professionnel, et je m'y investis à 100% pour le moment!


Avez-vous une révélation à faire sur le prochain volume de BB project, à savoir le tome 3 qui sortira le 23 Juillet 2008?

Kaze: Franck va enfin se battre dans le cadre du tournoi organisé dans les précédents volumes. Il y aura beaucoup d'action au rendez-vous!


Shonen, quel type de personnages préférez-vous dessiner?

Shonen: J'aime plus particulièrement dessiner les personnages secondaires.


Des personnages qui vous posent des problèmes?

Shonen: Par exemple Franck, avec sa chevelure, est un héros très difficile à dessiner! Plus globalement, ce sont les femmes qui me posent le plus de problème!


Pour le personnage de Franck, vous êtes-vous inspirés d'un héros de manga en particulier?

Kaze: La véritable source d'inspiration est réelle car la personnalité de Franck est basée sur celle d'un ami. On peut aussi noter une ressemblance avec le personnage de Soïchiro Nagi (Enfer & Paradis, ndlr)


Pour terminer, pouvez-vous présenter en quelques mots BB project, pour les membres de Manga-news qui ne connaîtraient pas encore ce titre?

Kaze: BB project est un excellent shonen avec une touche occidentale. Beaucoup d'action et d'humour sont au programme!

Shonen: Les dessins s'améliorent au fil des volumes. Lisez-le, vous ne serez pas déçus!

Je confirme que BB project est un très bon titre! Merci beaucoup pour cette interview!

Kaze: Merci à vous!

Shonen: A bientôt!


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Jeudi, 28 Février 2019

Interview 2016



En juillet dernier se tenait l’édition 2016 de Japan Expo, apportant son lot d’invités et de mangaka. L’un d’eux fut Shonen, auteur français au dessin très dense, connu jusqu’ici pour son coup de crayon sur BB Project et Omega Complex. Sa venue célébrait la sortie d’Outlaw Players aux éditions Ki-oon, un projet de longue date remis aux goûts du jour et plongeant ses lecteurs dans un univers virtuel. Shonen a accepté de répondre à nos questions afin de décortiquer sa série et ses influences, un entretien auquel s’est joint Ahmed Agne, directeur de publication aux éditions Ki-oon, nous livrant ainsi l’envers du décor éditorial de la série.



A l’origine, Outlaw Players est un webcomic que vous avez créé en 2002. Pouvez-vous nous parler de cette première version ?

Shonen : A la base, cette première monture d’Outlaw Players était plus une farce qu’autre chose, un délire personnel car j’étais moi-même joueur de beaucoup de J-RPG et de titres d’action. J’ai simplement mis un contexte, piégé des gens dans un jeu virtuel, puis parodié ce qu’on pouvait voir dans les jeux.


Quelles sont les différences majeures avec la version que l’on découvre chez Ki-oon ?

Shonen : La différence majeur c’est qu’il y a désormais une trame (rires). Il y a un contexte, une histoire, et on en sait par exemple beaucoup plus sur les concepts technologiques présents dans la série. A l’origine, il n’y avait rien de tout ça et le manga ressemblait surtout à un délire.

Ahmed : Je n’ai jamais pu voir les planches. Shonen a honte, alors il les cache. (rires)

Shonen : Les dessins datent de 2002 et ne sont qu’en crayonnés donc… Il y a eu une évolution graphique depuis. On pouvait juste lire le premier chapitre en 2009 ou 2010, mais il est difficilement trouvable maintenant. Et en plus il était en anglais !



Quatorze ans se sont écoulés depuis ce premier jet, et voilà que l’œuvre est de retour aux éditions Ki-oon. Comment s’est déroulée la collaboration ? Comment Outlaw Players est rené de ses cendres ?

Ahmed : Nous nous sommes rencontrés en 2007, à Angoulême. A cette époque, Shonen dessinait BB Project pour les Humanoïdes Associés. A cette période, Ki-oon n’avait pas les moyens humains et financiers pour se lancer dans le manga français car on n’était qu’une petite boîte de deux salariés et nous avions en contact les éditeurs japonais. Mais j’aimais beaucoup ce que Shonen faisait, je le lui avais dit ! Je m’étais toujours assuré que si un jour je devais faire du manga français, je bosserai avec lui car je trouve qu’il est un cran au-dessus des autres dessinateurs français. On s’est retrouvés en 2014 par l’intermédiaire de connaissances communes, on a parlé, et une discussion en amenant une autre Shonen a évoqué ce projet.

Shonen : En fait, tu m’as proposé à ce moment de réaliser une série qui me serait personnelle, où je serais seul. Car c’est vrai que jusqu’à présent, j’étais plus dessinateur qu’auteur. J’ai alors repensé à Outlaw Players car même si j’avais arrêté le webcomic des années auparavant, j’avais quand même pensé à la suite de l’histoire. Je réfléchissais à la manière de remettre la série aux goûts du jour car quand on m’a parlé de projet personnel, c’est à cette série que j’ai pensé et que c'est elle j’ai proposé de reprendre.


Outlaw Players se déroule dans des univers virtuels, c’est une idée en vogue dans le manga, l’animation japonaise et les light novel en ce moment. Mais sachant que le webcomic date de 2002, il fait office de pionnier pour des titres comme Sword Art Online ou Log Horizon.

Shonen : Je ne pourrais pas vous le dire vu que je n’ai pas lu ou vu ces séries. (rires)

Ahmed : Pour ma part, quand on a fait notre réunion où Shonen m’a présenté Outlaw Players, je l’ai directement averti qu’avant de lire le manga, les gens l’accuseront d’avoir fait un clone de Sword Art Online et de surfer sur un thème qui marche. C’était inévitable parce que les concepts sont proches. En tant qu’éditeur, j’ai lu Sword Art Online, Log Horizon et toutes ces séries. Si j’ai décidé de publier Outlaw Players, c’est que de mon point de vue il n’y a pas grand-chose en commun entre le titre de Shonen et les autres œuvres en terme de narration, de personnages et d’univers. Certes, ils sont dans un jeu-vidéo, mais ce n’est pas du tout la même histoire. C’est ce qui compte au final.

Shonen : Ca n’a pas l’air d’être la même chose car ce qu’on m’a dit de Sword Art Online, c’est que c’est l’administrateur du jeu qui piège ses joueurs. Dans Outlaw Players, les joueurs sont enfermés dans le jeu à cause de bugs et d’anomalies. Même le système n’est pas conscient de ses problèmes.



Comment avez-vous imaginé le jeu virtuel Thera ? Vous êtes-vous basé sur vos propres expériences vidéoludiques, sachant que vous êtes amateur de RPG ?

Shonen : C’est tout à la fois. Un lecteur, venu pour une séance de dédicace, m’a fait une excellente remarque à laquelle je n’avais jamais pensée. Il a constaté que j’avais mes influences sur des J-RPG et des RPG occidentaux, il a trouvé le tout très hybride, notamment par le côté très ouvert et le fait que dans Thera, on ne prend pas le joueur par la main. Il y a bien un tutoriel au début mais c’est pour donner les bases au joueur qui, ensuite, est libre de partir à l’aventure et faire ce qu’il veut, bâtir sa propre légende.


Concernant vos influences graphiques, certaines architectures ont un aspect méditerranéen, est-ce voulu ?

Shonen : En général, même quand il s’agit d’un jeu virtuel, qu’il s’agisse de Fantasy ou autre, on ne peut s’empêcher d’utiliser des références existantes. Vu que c’est un jeu-vidéo virtuel, l’architecture proche à celle de notre monde est volontaire car il faut que le joueur s’y retrouve.



A propos des costumes de vos personnages, vous basez-vous sur vos expériences passées ou la création est-elle plus personnelle ?

Shonen : C’est un peu des deux. Je suis très friand de RPG japonais où les designs sont particuliers. Mais en général, j’essaie d’aller vers un compromis car il y a une différence entre le côté pratique et le côté esthétique. Dans les RPG occidentaux, on trouve généralement des costumes et armures qui ont un aspect pratique, il y a moins de tenues légères là où ans les RPG japonais ou coréens, il n’est pas rare de trouver des bikinis en guise d’armures, et en plus il s’agit souvent des tenues les plus rares et les plus couteuses. (rires)
J’essaie de trouver un équilibre entre ces deux aspects car j’aime l’esthétique qu’ont les japonais et les coréens, mais j’aime aussi quand on garde une dimension cohérente et pratique. Mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas me laisser aller à certains délires mais dans ce cas, c’est volontaire et on entre plus dans le registre parodique.


Votre patte couleur a des tons très pastels. Quelles sont vos techniques de colorisation, vos outils…

Shonen : A vrai dire, j’utilise simplement Photoshop, je colorise par informatique. Mais comme je disais au début, comme j’ai toujours voulu être concept-artist, il y a donc un style que j’ai voulu adopter : cet aspect qu’on retrouve dans les backgrounds de jeux-vidéo. C’est comme les illustrations préparatoires qui sont assez fouillées mais aussi abstraites sur certaines zones, comme si c’était fait à la peinture. C’est ce côté que j’ai voulu reproduire.



Outlaw Players est une série où vous êtes seul, vous n’officiez pas simplement comme dessinateur comparé à vos titres précédents. Est-ce que cela a impacté votre rythme et vos méthodes de travail ?

Shonen : J’ai dû m’adapter. Concernant le rythme, ça revient au même. J’essaie de produire une trentaine de pages par mois. Le changement vient des storyboards que je dois réaliser pour exposer mes idées et une fois ceux-ci validés, je peux passer à l’encrage.

Ahmed : C’est le système de création à la japonaise vu que nous avons déjà réalisé des créations originales avec des japonais. C’est toujours le même procédé : D’abord le scénario, puis les nemus (le storyboard, ndt) et enfin les planches définitives. C’est vrai qu’avant, Shonen dessinait directement.

Shonen : C’est parce que j’étais pressé. (rires)

Ahmed : C’est vrai qu’on prend d’avantage le temps, d’ailleurs je ne sais pas si c’est plus embêtant pour toi ou non…

Shonen : Pas forcément. C’est embêtant dans le sens où il y a une étape préparatoire supplémentaire mais l’expérience acquise compense cela et me permet d’aller plus vite.


Avez-vous déjà le scénario complet d’Outlaw Players en tête, ou du moins certaines pistes narratives ?

Shonen : Oui, je connais déjà la fin de la série.



Est-ce qu’un nombre de tomes est déjà établi et signé avec Ki-oon, ou l’avancée de la série dépendra du succès ?

Shonen : Tout dépendra du succès en effet, de l’accueil du public. Dans l’idéal, il me faudrait une vingtaine de volumes pour pouvoir aller jusqu’au bout de l’histoire.

Ahmed : Ce que je me suis refusé à faire, et ça se fait pourtant beaucoup dans le manga français, c’est signer un arc d’environ trois tomes, d’arrêter si ça ne fonctionne pas et poursuivre si ça marche. C’est trop contraignant car tu ne racontes pas ton histoire de la même façon si tu additionnes les arcs de trois volumes par rapport à l’imagination d’une série prévue sur vingt tomes en pensant que la parution ne sera pas interrompue. Si ça fonctionne on continue, et si ça ne marche pas on réfléchira à adapter la fin prévue par Shonen d’une autre manière. Même si ça devait ne pas fonctionner, on fera une fin, on ne fera pas une conclusion japonaise du type « l’aventure continue » ! (rires)


Quels sont vos RPG préférés ?

Shonen : Pour les J-RPG, je n’en ai plus beaucoup de favoris mais j’aime beaucoup les Star Ocean. Il y en a un qui vient de sortir, mais il paraît qu’il est trop court, une vingtaine d’heures pour l’histoire principale alors que les autres opus en font au moins le double. J’ai aussi joué à Persona 3 et Persona 4 même si je ne les ai pas finis, il y a tout un univers derrière. Et je vais peut-être me faire taper dessus mais parmi les RPG occidentaux, j’aime bien ce que fait Bethesda. Visiblement, certains aiment et d’autres non… Ça fait partie des jeux solos encore joués cinq ans après, notamment par la capacité de mod des jeux qui permet de créer du contenu. J’aime aussi leur vision de l’open-world. Aujourd’hui, on voit beaucoup de RPG voire de jeux d’action qui s’essaient à l’open-world, mais ils le font assez mal selon moi. Par exemple, Just Cause 3 qui a une map énorme mais on ne fait rien dessus. C’est comme si on devait se rendre d’un point A à un point B en pouvant visiter les lieux, sachant qu’il n’y a rien à faire… Je cherche avant tout du gameplay.


Interview réalisée par Takato et Koiwai. Remerciements à Ki-oon pour l’organisation de la rencontre et à Shonen et Ahmed Agne pour leur présence.
   Mise en ligne le 24/09/2016.
  
  

Interview 2018


  
En 2016, nous rencontrions une première fois l'auteur français Shonen à propos de son œuvre phare publiée aux éditions Ki-oon : Outlaw Players. Maintenant que sept tomes sont parus, nous avons rencontré une nouvelle fois le mangaka qui nous parle du développement de son œuvre et sa manière d'écrire son histoire.



Nous nous sommes vu une première fois en 2016, à l'occasion de la sortie du premier tome d'Outlaw Players. Un peu plus de deux ans après, nous en sommes au tome 7. Quel bilan tires-tu de cette première étape de publication ? As-tu pu développer l'histoire comme tu le voulais ?


Shonen : En partie je dirais. Vu qu'il existe toujours une incertitude sur le futur de la série, on ne sait jamais si elle sera publiée encore longtemps, je me suis forcé à accélérer certaines choses. Mais ce n'est pas un mal, car j'ai ainsi évité de trop grosses longueurs dans le récit. C'est un retour que j'ai souvent eu : les lecteurs semblent trouver que la trame avance vite. Ça me permettra aussi de développer davantage de choses dans la suite.



© Shonen / Ki-oon


As-tu des exemples de parties scénaristiques que tu as accélérées ?


Shonen : Ce n'est pas vraiment l'histoire en elle même que j'ai dû accélérer, mais plutôt des scènes d'action que j'ai dû raccourcir. Mais ça n'a visiblement pas gêné le lectorat. Ce ne sont pas les scènes d'action qui les intéressent le plus mais davantage l'univers et les personnages. Ils aiment sentir une progression.


Tes méthodes de travail ont-elles changé depuis le premier tome ? Es-tu aidé par un assistant, désormais ?


Shonen : Non, je suis toujours tout seul. (rires)

Ce n'est pas nouveau, le principal facteur qui pourrait influencer le fait que je travail seul est le succès de la série, et par conséquent le budget. Forcément, si Outlaw Players fonctionne, on aura un meilleur budget, ce qui permettrait de faire travailler une personne supplémentaire.


Je pense que c'est davantage ma méthode de travail qui a changé. Vu que je suis seul, je dois travailler comme le ferait une équipe. C'est assez particulier de raisonner comme un groupe quand on est seul. (rires)

Au départ, je dessinais mes planches une par une. Par exemple, j'avais déjà mes storyboards et mes crayonnés, et je faisais l'encrage de A à Z. Je ne passais pas à la prochaine planche tant que je n'avais pas fini la première. Aujourd'hui, mon organisation rend mon travail plus rapide : je procède en plusieurs étapes. D'abord, je fais plusieurs passages dont un où je passe sur toutes mes planches en raisonnant comme un auteur, par exemple en faisant un encrage partiel, et je peux passer à la planche suivante sans finir totalement la précédente. Quand toutes les pages sont encrées de manière « temporaire », je fais un deuxième passage où j'endosse le rôle de l'assistant : je peaufine les détails, j'ajoute les décors et les aplats de noirs...

Cette technique me permet de mieux définir mes priorités. Par exemple, dans mon ancienne méthode, je n'avais pas le temps de trop détailler une planche si j'avais passé trop de temps sur la précédente. Je devais me limite dans les rajouts de détails. Maintenant, j'ai une vue d'ensemble et je sais d'avance quels détails je peux sacrifier si je manque de temps. C'est plus facile pour gérer mon temps.



© Shonen / Ki-oon


C'est aussi pour ça que tu as pu garder un rythme de parution assez rapide tout en travaillant seul ?



Shonen : Oui, mais ça m'a aussi permis de faire un bon compromis, celui de publier mes volumes rapidement tout en gardant une certaine qualité. Si je devais faire des sacrifices en simplifiant mon trait, les lecteurs le remarqueraient.


Même si sept tomes sont parus en deux ans, il faut relativiser car j'avais déjà plusieurs volumes de prêts lors du lancement d'Outlaw Players. Publier plusieurs tomes sur un rythme soutenu était essentiel au départ. Maintenant, j'ai un rythme de croisière, à savoir deux volumes par année.


Le scénario est assez insistant sur la bande de Saku qui est constamment enrichie par de nouveaux membres. On a vraiment l'impression de suivre une bande d'amis comme dans les mmorpg... Est-ce volontaire ?


Shonen : C'est un peu ça oui. Si on remarque bien, on assiste à pas mal de passages sur le quotidien des personnages dans le jeu, par exemple des scènes nocturnes au coin du feu... C'est des moments où les personnages discutent et apprennent à mieux se connaître. On le voit dans les derniers volumes : il y a de plus en plus de scènes du genre.


Ce n'est pas une orientation que j'avais en tête au départ, c'est venu assez naturellement. Je pense continuer dans cette direction car ça ressemble aux mécaniques de certains mmorpg, par exemple aux soirées événementielles, et sont propices à l'évolution des relations entre les joueurs.


C'est justement ce qui se dégage dans ces séquences, plutôt intimistes au final...


Shonen : Tout à fait. J'essaie de rendre ces scènes relativement variées : Une se déroulera au coin d'un feu, l'autre dans un hôtel... Le soir, en tant qu'instant scénaristique, est ainsi plus propice pour mieux connaître les personnages.



© Shonen / Ki-oon


Plus l'histoire avance, et plus on voit des créatures aux designs impressionnants et variés. As-tu des influences particulières ? Peut-être mythologiques ou vidéoludiques ?


Shonen : Un peu de tout ça. Je puise dans les influences mythologiques, ce qui est normal puisque tout le monde connait ces mythes, ainsi que les bestiaires classiques de rpg que beaucoup connaissent. Mais c'est surtout Monster Hunter qui m'a influencé. Je ne suis pas un gros joueur des derniers opus mais plutôt des premiers. Dans cette série, il y a l'importance de la mécanique de la chasse au monstre : les plus gros et les plus difficiles sont les plus intéressants car ils donnent de meilleurs composants. Ces éléments ont aussi une importance dans Outlaw Players, on verra qu'ils permettront la fabrication d'équipements et d'armes. Ça rejoint le côté mmorpg du titre et maintient la nécessité de chasser des monstres toujours plus imposants.


Dans le tome six, c'est le personnage de Koto qui est mis en avant. Il est assez ambigu, te tient-il particulièrement à cœur ?


Shonen : C'est un personnage qui a besoin d'être développé. C'est déjà le cas dans le sixième tome, mais on il reste des zones d'ombre. Plus personnellement, c'est un personnage qui me parle car il véhicule des idées qui me correspondent en tant qu'auteur. Si je devais m'identifier à un personnage, ça serait à Koto.


D'une manière générale, cherches-tu à équilibrer le développement des personnages qui constituent l'équipe de Saku ?


Shonen : Il y a de ça, car il faut forcément traiter tous les personnages, je n'aime pas en laisser à l'écart. C'est aussi pour ça que le nombre de figures principales est limité : il y en a cinq, ainsi qu'une PNJ. Dans la série d'origine, le nombre de personnages aurait dû être plus important. Mais c'est pour éviter d'en mettre en retrait que je n'en rajoute pas plus. Cinq ou six figures principales, c'est parfait pour bien les gérer.


A côté de ça, des personnages secondaires seront aussi traités. Il reste donc beaucoup à faire.



© Shonen / Ki-oon

Tu traites aussi les PNJ comme de vrais personnages, c'est un parti-pris très intéressant.


Shonen : A l'origine, les PNJ ont été pensés comme des humains afin de faciliter l'immersion du joueur. J'ai voulu accentuer cet aspect pour créer des choix moraux. Si les PNJ sont mortels et ne peuvent pas être ressuscités, contrairement aux joueurs, cela créera une dynamique différente. En théorie, le joueur favorisera davantage la vie du PNJ que celle d'un autre joueur.


Et, surtout, leurs comportements humains est nécessaire afin de toucher le lecteur, pour qu'il soit plus impliqué. C'est une mécanique qui sera plus détaillée plus tard. Mon optique est de développer les PNJ, mais surtout de montrer les différences entre les personnages dans le jeu et dans la vie réelle. Par exemple, un certain personnage est intéressant car il est "condamné", et je compte revenir dessus. Ça sera davantage développer plus tard, rien n'est laissé au hasard.


Outlaw Players n'est pas un shônen d'aventure basique au schéma classique : il n'y a pas de différents petits arcs, et l'histoire se présente plutôt comme une grande aventure. Est-ce un moyen pour toi de dépayser tes lecteurs ?


Shonen : Oui, mais c'est surtout une vision très personnelle. Aujourd'hui, je suis un peu lassé par le modèle classique des shônen. Dans Outlaw Players, rien ne se passe forcément comme prévu. J'annonce par exemple un tournoi, mais on ne sait pas ce qui peut se passer. Dans un titre classique, on s'attend à voir un tournoi sur plusieurs volumes. C'est comme dans le tome six dans lequel on s'attendait à un grand combat, alors qu'il n'y a rien eu au final.


J'aime jouer avec les codes, mais c'est aussi dans une volonté de traiter l'histoire et l'univers plutôt que les scènes d'action. A ma grande surprise, c'est ce qui intéresse le plus mon lectorat.


Concernant l'esthétique globale de la série, par exemple les environnements, tu parviens toujours à te renouveler. Dans le sixième tome, on assiste à un relief très inspiré de l'Afrique du nord et de la péninsule arabique, avec des étendues très désertiques. Te documentes-tu beaucoup sur tout ces aspects de l'environnement ?


Shonen : Pas spécialement. En revanche, ce sont les architectures qui nécessitent un minimum de recherches, surtout quand je veux faire original.


Autrement non, ce sont juste des environnements qui se veulent différents. Par exemple, dans le cas de Providence, on voit le groupe évoluer dans des contrées enneigées.



© Shonen / Ki-oon

Tu as pris l'habitude de rencontrer tes lecteurs sur les différents salons. Peux-tu nous parler de tes différents échanges avec eux ?


Shonen : Oui, je parle beaucoup avec eux, et c'est normal. J'essaie de recueillir leurs avis pour mieux m'adapter. En tant qu'auteur, c'est essentiel d'avoir sa propre vision de l’œuvre, mais c'est aussi intéressant de connaître l'opinion des lecteurs sur les thématiques ou l'avancée de l'histoire. C'est ce qui m'a aussi poussé à inclure plus de développements du scénario et des personnages, et moins de combat. Ça tombe à pic, puisque c'est aussi ce qui m'intéresse le plus.


Je remarque aussi que le lectorat est essentiellement composé de jeunes adultes, il n'est pas aussi large que le lectorat shônen, c'est un peu dommage.


Le manga de création française est en plein essor : on compte de plus en plus de titres, et une véritable communauté autour des ces œuvres s'est crée. T'est-il toi-même arrivé de lire d'autres mangas français ?



Shonen :
J'ai commencé à lire Dreamland il y a quelques années, mais je n'ai pas continué par manque de temps. D'une manière générale, je manque tout simplement de temps pour lire. Je passe plutôt mes jours de repos à dormir. (rires)



© Shonen / Ki-oon

Dans notre interview de 2016, nous avons parlé de jeux-vidéo, vu que tu y joues beaucoup. Même si tu as moins de temps, as-tu pu jouer à quelques titres depuis ?


Shonen : Pas vraiment. On m'a offert une Playstation 4 il y a un ou deux ans, mais je n'ai pas eu le temps de l'allumer, et il peu de titres me séduisent dessus. Je joue plus à des petits jeux ou à certains RPG. Par exemple, j'ai Persona5 chez moi depuis un moment, mais je n'y ai pas encore touché. Un autre jeu m'intéresse et me tente bien : c'est la série des Yakuza. Les vidéos de gameplay que j'ai vues m'ont donné envie. Je suis quelqu'un qui donne beaucoup d'importance au gameplay, et je dois avouer que NieR Automata est répétitif à ce niveau là. Celui-là, je l'ai commencé sur PC, mais je n'ai pas eu le temps de le finir. (rires)


Tu as cotoyé plusieurs salons avec Yami Shin, autrice de Green Mechanic. Cela vous arrive-t-il d'échanger sur vos travaux respectifs ?


Shonen : Pas vraiment. Je n'ai pas trop eu l'occasion de parler sérieusement avec elle, seulement lors de certains repas mais nous n'étions pas seul, et nous n'avons jamais échangé sur nos points de vue et inspirations. Cela ne m'empêche pas de respecter son travail, car j'aime énormément son trait. C'est peut-être un peu ma faute si nous n'avons pas eu l'occasion de discuter : je suis un auteur assez solitaire, je n'appartiens pas à un groupe ni de communauté... Je suis relativement fermé, mais j'aime être solitaire. En tant qu'auteur, j'aime rester dans mon coin, ce qui peut aussi être un défaut puisque les autres auteurs sont souvent en contact avec leurs lecteurs via les réseaux sociaux. Un ami à moi gère une page sur les réseaux, réunissant ceux qui aiment:mes travaux. Heureusement qu'il a pris cette initiative, car je ne le ferais pas de moi-même. (rires)


Cela te donne un petit côté mystique et mystérieux...


Shonen : C'est surtout que je n'ai jamais eu grand chose à dire sur moi ou sur ma vie. Si les lecteurs ont des questions, ils peuvent me voir lors des salons. En dehors de ça, je n'ai rien à raconter, je suis juste un auteur qui bosse sur ses planches.



© Shonen / Ki-oon

Concluons notre interview par un peu de teasing : Comment présenterais-tu, en quelques mots, le futur d'Outlaw Players à tes lecteurs ?


Shonen : Le seul chose que je pourrais dire à lectorat c'est que s'ils trouvent déjà l'histoire complexe, ça sera pire ensuite. (rires)


On peut déjà se poser pas mal de questions sur l'intrigue, et les tomes parus jusqu'à présent donnent déjà beaucoup d'indices. C'est assez ambigu car si on ne prête pas attention aux dialogues, ça reste simple, alors qu'il y a énormément de doubles-sens dans les textes.


Vous vous rendrez compte que certaines révélations ont été faites depuis le début, la relecture du titre sera plus intéressante. Petit indice : des « spoils » ont été faits dans le tome deux. Mais ils ont été faits de telle sorte à ce que les lecteurs ne les remarquent pas.


Un autre exemple. Un lecteur m'a fait part d'une incohérence entre les volumes cinq et six, mais elle est volontaire. Dans le tome six, on apprend qe les PNJ sont crées et ne sortiront jamais de cet univers. Pourtant, dans le tome cinq, on apprend que la faction Providence vient de l'extérieure. Il y a donc quelque chose derrière ça, on le verra plus tard...


Je préfère ce genre d'écriture, je n'aime pas quand c'est trop linéaire. Mais ça vient aussi du fait que je commence à me faire vieux, et je réfléchis un peu plus.... (rires)

Ce qui ne veut pas dire que je n'aime pas l'action, je n'ai juste pas énormément de temps pour en intégrer. Si je devais m'étendre sur un gros combat, même épique, ça ne serait pas sur plus d'un volume.



Interview réalisée par Takato. Remerciements à Shonen et à Marine Volny des éditions Ki-oon pour l'organisation de la rencontre.