SONG Yang - Actualité manga

Interview de l'auteur

Artiste polyvalent, Song Yang est devenu, en quelques années, l'un des grands noms du catalogue de l'éditeur Xiao Pan. Sa venue au Salon du livre 2011 fut l'occasion de rencontrer cet homme aux multiples talents, au détour d'une longue interview également faite en compagnie de l'écrivain François Célier, scénariste sur Monaco: Morts et Merveilles, à paraître sous peu chez l'éditeur. Nous vous proposons aujourd'hui de découvrir cet entretien revenant sur la carrière atypique de cet artiste chinois et sur la genèse de Monaco: Morts et Merveilles, le tout ponctué de précieuses informations, notamment sur la BD en Chine, de Patrick Abry, dirigeant de Xiao Pan, également présent pendant la rencontre.




Manga-news: Merci beaucoup d'avoir accepté cette interview ! Commençons avec une question assez générale: pouvez-vous présenter un peu votre parcours, dont nous savons qu'il est assez original ?
Song Yang: C'est à l'âge de 18 ans que j'ai réellement commencé à travailler dans le milieu de la bande dessinée (j'en ai 30 aujourd'hui), en publiant l'album Matous et Pingouins. Mais ce qui m'a vraiment poussé sur le devant de la scène de la BD est la série Wild Animals, qui a été publiée avec un financement de l'Etat, parce que c'était une série qui adaptait un roman très connu en Chine, et qui a même été adapté en film juste avant que je fasse la bande dessinée.

Patrick Abry: Il s'agissait de l'une des premières bandes dessinées à être apparue de manière conséquente sur le marché chinois, car en Chine, la BD reste un art assez récent. Les premiers magazines sont sortis vers 1993-94, portés par des auteurs comme Yan Kai (auteur des Histoires Courtes, publiées également chez Xiao Pan) ou Jian Yi (auteur de Five Colors). Mais il n'y avait pas beaucoup d'albums, et Song Yang est l'un des précurseurs dans ce domaine.

Song Yang: Après Wild Animals, j'ai continué à travailler dans le domaine de la BD, j'ai trouvé un partenaire avec lequel nous avons monté une société, et avec lequel je suis toujours, et nous nous sommes essayés ensemble à d'autres domaines. Mais ce qui a été pour moi un véritable déclic, c'est ma venue en touriste, en 2006, au festival international de la BD d'Angoulême, qui m'a ouvert le syeux sur de nouvelles perspectives. En effet, en Chine, la BD reste principalement dans le noir et blanc et le traditionnel, et quand je suis arrivé à Angoulême, j'ai découvert que l'on faisait de la BD en couleurs, à l'acrylique, à la gouache. Ca a provoqué en moi une sorte de choc, et ça m'a permis de me rendre compte qu'il existe une infinité de possibilités dans le domaine de la BD. C'est pour ça que j'ai ensuite fait Reload et que je me suis lancé dans le projet Bad Girl.

Patrick Abry: D'ailleurs, c'est un peu ce que ressentent beaucoup d'artistes chinois quand ils vont pour la première fois à Angoulême. Avant, ils n'imaginaient pas qu'il pouvait y avoir autant de diversité, autant de possibilités.
 



Pour revenir sur Wild Animals, qu'est-ce qui vous a donné envie d'adapter en BD ce roman ?
Song Yang: Quand j'ai découvert l'auteur du roman, il m'a renvoyé l'image d'une personne un peu rebelle, un peu comparable à ce que peut être Gainsbourg en France, et qui contrastait avec l'ancienne génération d'auteurs chinois, plus classiques et plus conformistes. C'est donc un auteur que j'aime beaucoup. Puis au début des années 2000, ma maison d'édition a lancé à grand casting dans le but de trouver quelqu'un pour adapter le roman. Il y a eu plus de 300 dossiers de candidature, et c'est finalement le mien qui a été retenu par le jury. C'est comme ça que j'ai été amené à faire cette adaptation.




Votre oeuvre Matous et Pingouins dresse un portrait d'étudiants chinois entre amour, amitié et musique. Est-ce là la perception que vous avez de la jeunesse chinoise d'aujourd'hui ?
Song Yang: Quand l'album est sorti, c'était effectivement un portrait assez fidèle de la jeunesse de l'époque, mais il s'agissait de la jeune du début des années 2000, et en dix ans, il y a encore eu de grosses évolutions. Aujourd'hui, une partie d ela jeunesse chinoise vit un peu "à l'occidentale", avec une envie de vivre de manière un peu débridée, plus ouverte, notamment en ce qui concerne l'amour. Mais il y a aussi une autre partie de la jeunesse qui reste plus classique, plus conformiste. Pour faire un comparatif, finalement, c'est un peu comme au Japon, ou beaucoup de monde reste en costard, etc... Tout le monde n'y est pas dans la rue, cosplayé, etc... Mais il y a de plus en plus de jeunes qui veulent vivre autre chose, ressentir autre chose, et qui ont un rapport avec des choses comme l'argent ou l'amour assez différent de ce qu'enseigne la culture plus traditionnelle. A vrai dire, je pense que cela est vrai dans toutes les civilisations modernes.


Dans Reload, on retrouve certains personnages de Matous et Pingouins un peu plus âgés, confrontés aux réalités de la vie, mais toujours animés par leurs rêves. Pourquoi avoir choisi de reprendre ces personnages ? Peut-être, justement, pour mieux montrer les évolutions de la jeunesse chinoise en quelques années ? Ou pour montrer votre propre évolution ?
Song Yang: En fait, oui, dans Matous et Pingouins et Reload, il y a un parallèle à faire avec ma propre vie. J'ai mis en scène ces personnages par rapport à ce que j'avais envie d'exprimer, par rapport à mon parcours et à mon existence. Je me suis servi des mêmes perosnnages car ils étaient déjà connus du public donc c'était plus pratique, mais derrière ça, c'est surtout moi que l'on peut entrevoir.




Vous êtes un artiste très polyvalent, puisqu'on vous connaît également des talents de chanteur, de musicien, de designer, d'animateur télé... Est-ce que cela vous semble important de rapprocher ces différentes formes d'art ? A l'image de ce que vous faites sur Bad Girl, avec des clips musicaux reprenant ce personnage...
Song Yang: Pour moi, il est important de s'essayer à plusieurs formes d'art, car ce que je vais faire dans tel domaine, je vais pouvoir me l'approprier pour le réutiliser dans un autre domaine. Je passe de l'un à l'autre, je rencontre des gens qui vont me fournir des explications qui vont me faire progresser de manière générale, et tout ce que je découvre dans un domaine va avoir des répercussions sur ma façon d'appréhender les autres. Je ne me concentre pas sur un seul domaine. Je suis de nature curieuse et préfère découvrir un maximum de choses. En somme, j'essaie tout pour me faire un maximum d'expérience, et pour m'épanouir dans tout ce que je veux faire.




Parlons à présent de l'album collectif Seven Swords, prélude du film éponyme. Comment avez-vous été amené à participer à ce projet ?
Song Yang: Mes albums ayant été publiés à Hong Kong, le réalisateur du film, Tsui Hark, a été amené à les voir, a apprécié mon travail et est venu me chercher pour me demander de participer, tout simplement.
 



Difficile de ne pas parler de Bad Girl, votre personnage emblématique, bourré de charme et de caractère. Comment vous est venu l'idée de ce personnage ?
Song Yang: A l'origine, il s'agissait d'une demande d'une compagnie de téléphone pour faire une sorte de cartoon sur portable. Mais le projet ne s'est finalement pas fait car il coûtait trop cher. J'ai alors récupéré le personnage que j'avais créé pour ce projet. Concernant l'allure de Bad Girl, ses cheveux sont un mélange de ceux d'un des leaders de la révolte estudiantine chinoise, et d'un grand nom de la mode à l'époque de la création du personnage. Il s'agit en quelque sorte d'un mix entre les anciens et les nouveaux. Quant à la couleur des cheveux, j'ai pris le rouge car il s'agissait de la couleur dominante l'année de la création du personnage, en 2004. J'ai moi-même eu les cheveux à cette époque pour cette raison.


Des cheveux rouges, un côté un peu rebelle... Doit-on voir en Bad Girl votre alter ego féminin ?
Song Yang: Oui, complètement ! (rires) Bad Girl, c'est mon côté femme !


Dans Maruta 454, nous retrouvons un style assez différent de ce que vous avez fait avant...
Patrick Abry: Ici, il s'agit plutôt d'une volonté de l'éditeur, car au vu du sujet de l'oeuvre, nous voulions un style plus "classique". J'ai donc demandé à Song Yang de trouver un autre dessinateur, avec lequel il a travaillé en collaboration. C'est l'autre dessinateur qui a conçu les dessins des personnages, et Song yang s'est chargé de tout ce qui concerne l'ambiance du titre, de la partie plus artistique.




L'idée de Maruta 454 vient donc de Xiao Pan ?
Patrick Abry: En quelque sorte, oui. A l'origine, je cherchais un projet de ce type sur un moment de l'histoire de la Chine moderne, mais c'est l'historien québécois Paul Yanic Laquerre qui est venu me voir avec cette idée, qui correspondait parfaitement à ce que je recherchais. C'était un sujet très fort, très bien documenté, tant et si bien que nous avons décidé qu'il y aura une suite à ce projet, suite qui verra probablement le jour l'année prochaine, mais nous ne savons pas encore qui sera au dessin. Nous réflechissons bien au projet, car nous avons tiré des enseignements de la première collaboration, où il a été un peu difficile de trouver la juste teinte au niveau des couleurs.


Au final, Song Yang, qu'est-ce que vous a apporté cette nouvelle expérience ?
Patrick Abry: Des soucis ! (rires)

Song Yang: De manière générale, c'est le genre de choses sur lesquelles les Chinois n'ont pas l'habitude de travailler. Travailler sur des histoires étrangères pour les mettre en images est un exercice que peu Chinois font. Ici, mon travail était tout de même un peu facilité par le fait que ça se passe en Chine. De plus, il fallait se rapprocher des codes graphiques et narratifs européens, ce à quoi je ne suis pas du tout habitué. Il y a donc eu beaucoup d'échanges entre nous pour corriger les dessins.


Aujourd'hui, quelle place occupe la BD pour vous, qui êtes un artiste très polyvalent ?
Song Yang: Aujourd'hui, j'ai pris beaucoup de recul par rapport à la bande dessinée. Si, en 2004, j'ai remarqué que la BD pouvait être un tremplin pour m'ouvrir vers d'autres choses, à présent je suis plus tenté d'aller vers d'autres formes d'art. Je continue la BD principalement pour cultiver mon personnage de Bad Girl via des histoires courtes et des gags en une page, tout en l'étendant vers des clips et des dessins animés. A vrai dire, actuellement, je passe le plus clair de mon temps à faire de la peinture. Par exemple, au Nouvel An, je ne suis pas sorti faire la fête et ai passé 20 heures par jour à peindre de grands tableaux de Bad Girl. Aujourd'hui, je passe beaucoup de temps là-dessus car c'est sur ça que je m'éclate le plus, mais aussi parce que j'ai constaté que faire de la BD n'était pas assez rémunérateur. La BD n'est plus une fin en soi pour moi, mais un moyen ponctuel d'offrir de nouvelles choses. Je reste également très branché musique en faisant des concerts, et aimerais me lancer dans le cinéma.


Parlons à présent de Monaco: Morts et Merveilles. Comment est né ce projet ?
François Célier: Ce projet est né d'une rencontre en salon, il y a trois ans si ma mémoire est bonne, au stand Xiao Pan. J'ai remarqué que les bandes dessinées proposées sur le stand se distinguaient nettement de ce que j'avais pu voir en BD asiatique. Patrick Abry m'a alors expliqué les nuances qui existaient entre le manhua et le manga, car je ne faisais pas de différence à l'époque. Et comme je suis moi-même curieux de nature, un peu autodidacte et polyvalent, puisque je suis écrivain, journaliste et ai été également comédien de théâtre et scénariste de films, nous avons petit à petit mis en place ce projet alors que nous ne nous connaissions pas auparavant. C'est Patrick qui m'a d'abord demandé si j'avais un projet, ce à quoi je lui ai répondu oui, puisque j'avais en tête de créer un récit relatant l'histoire d'une dynastie extrêmement célèbre. Le nom des Grimaldi m'est alors venu. Nous nous sommes mis d'accord sur ce projet. A partir de là, j'ai commencé à faire une ébauche que j'ai ensuite développée, corrigée...
C'était pour moi une première expérience dans ce domaine. J'avais déjà un peu travaillé pour de la BD occidentale, mais jamais pour du manhua. J'ai finalement assez vite assimilé la chose car ce travail se rapprochait assez de celui que j'ai quand je fais des scénarii pour le cinéma. Je me suis donc rapidement senti à l'aise dans ce qui était pour moi une nouvelle manière de raconter une histoire. Nous avons travaillé à rythme correct sur le tome 1 de cette trilogie.
Ce que je trouve vraiment intéressant sur ce projet, c'est cette collaboration franco-chinoise sur un manhua, et ce qui me touche beaucoup ici, c'est qu'il s'agit d'un regard croisé entre moi, un occidental assez classique mais très ouvert, et un chinois de la nouvelle génération porté par son interprétation des textes que j'ai écrits. Je ne me souviens pas avoir vu ça quelque part auparavant.
 



Quelles sont les principales difficultés de ce projet ?
Patrick Abry: Ici, la difficulté principale est justement de réussir à donner suffisamment d'informations pour que l'histoire soit crédible et reconnaissable tout en laissant une possibilité d'interprétation, car l'objectif n'est pas de produire un manuel d'histoire en version BD. De plus, Song Yang est un auteur extrêmement créatif, qui peut vite partir dans un délire ou dans le hors-sujet, il fallait donc ici lui donner un cadre précis à ne pas dépasser, or il s'agit justement d'un artiste qui n'a pas pour habitude de se limiter, bien au contraire. Il faut donc trouver pour lui le juste équilibre entre rigueur et souplesse créative, et c'est précisément le jeu auquel je joue sur Monaco: Mort et Merveilles.

Song Yang: Premièrement, il fallait que je réussisse à faire un portrait convenable de Grace Kelly, car sur ce point là, il est interdit de se tromper tant elle est connue. Il s'agit d'un véritable exercice de copiste dans lequel je ne peux pas me lâcher complètement.
Deuxièmement, j'ai du m'adapter avec difficulté à des changements effectués en cours de route dans le scénario.

Patrick Abry: Ca, c'est entièrement notre faute. Par exemple, pour rendre le récit moins linéaire et le rendre plus pimenté, nous avons décidé d'ajouter un personnage mystérieux qui n'était pas prévu au départ. De ce fait, Song Yang a dû reprendre certaines choses qu'il avait déjà faites, ce qui l'a un peu agacé, ce que je comprends parfaitement.
Étant donné qu'il s'agit d'un sujet que tout le monde connaît, il y a des erreurs que l'on ne peut pas se permettre, des libertés que l'on ne peut pas prendre. Comme le disait François, le regard croisé est ici très important, donc nous avons laissé Song Yang faire certaines choses comme il le voulait, nous essayons de lui laisser de la souplesse créative, mais, ce que Song Yang a bien compris, on ne peut pas se tromper sur les portraits de Grace Kelly ou de Régnier.
En tout cas, sur le tome 2, nous allons faire plus attention à ce genre de problèmes, maintenant que nous en avons pris connaissance.


Avez-vous dû vous documenter en quantité pour concevoir ce premier volume ?
Patrick Abry: Là où nous n'avons pas été assez bons, c'est au niveau de la documentation fournie à Song Yang. Du coup, il a pris dès le départ certaines libertés graphiques, et c'est aussi pour ça que nous avons dû lui faire refaire certaines choses. Cela fait partie des problèmes qui seront corrigés pour le deuxième volume.


Pour finir cette interview, Song Yang, avez-vous des influences particulières ?
Song Yang: Oui. J'adore ce que fait Moebius, qui est un peu mon idole, et ai d'ailleurs absolument voulu le rencontrer lors de ma venue à Angoulême en 2006. J'aime également beaucoup le travail du dessinateur australien Ashley Wood. Je peux également citer Andy Warhol. De manière générale, j'aime les artistes qui créent des liens entre la peinture et la bande dessinée.


Merci beaucoup pour cette interview !


Interview réalisée par Koiwai.
Remerciements à Patrick Abry, François Célier et Song Yang.