Makoto SHINKAI - Actualité manga

Makoto SHINKAI 新海 誠

Interview de l'auteur

Juste avant Japan Expo, nous avons le plaisir de rencontrer le réalisateur nippon Makoto Shinkai, venu en France dans le cadre de la sortie de son film Voyage vers Agharta. Voici le compte-rendu de notre entretien.
 

  
 
Manga-News: Bonjour M. Shinkai ! Pour cette interview, nous allons évidemment nous concentrer sur votre dernier long-métrage, Voyage vers Agartha. Pour commencer, comment vous-est venu l’idée pour ce film ?
Makoto Shinkai : Quand j’étais petit, j’ai emprunté à la bibliothèque un livre qui m’a énormément marqué, Togohoshio Sayonara. C’est l’histoire d’un collégien qui se retrouve un jour à voyager dans un monde imaginaire, qui s’appelle Agharta. Certes, mon film Voyage vers Agharta montre un cheminement totalement différent, mais c’est en tout cas ce livre qui m’a beaucoup inspiré pour faire ce film. En fait, l’auteur du livre est décédé des suites d’un cancer avant qu’il ne puisse terminer son histoire complètement. Elle a malgré tout été publiée, et donc le livre se termine de manière un peu abrupte. J’étais très jeune à l’époque, et c’était la première fois que j’ai un peu ressenti ce que « mourir » signifiait. Évidemment, ce n’était pas quelqu’un que je connaissais, je n’avais aucun lien avec l’auteur, mais c’était la première fois que j’ai réellement réfléchi à ce qu’était la mort. Je me suis ainsi beaucoup interrogé sur la façon dont l’histoire du livre aurait pu se terminer.
C’est ainsi que pour faire ce film, en pensant aux thèmes, j’ai voulu faire un long-métrage différent de mes précédentes productions, et j’ai beaucoup pensé à ce que j’ai ressenti à l’époque de ce livre, et c’est ce qui m’a donné envie de faire ce film.
     
  
  
Bien qu’on reconnaisse immédiatement votre style dans Voyage vers Agharta, certaines personnes ont comparé votre dernière production à celle du studio Ghibli au niveau des images, et notamment aux films de Hayao Miyazaki. On sait que vous aimez beaucoup les œuvres de M. Miyazaki. Qu’est-ce qui vous attire particulièrement dans les œuvres de Ghibli ?
Effectivement, j’aime beaucoup les œuvres de M. Miyazaki, parce qu’en fait, les films que j’ai vu étant enfant étaient les films de Miyazaki. Et je pense que le cinéma de Miyazaki est un peu le synonyme de cinéma d’animation pour beaucoup de Japonais. C’est un peu pareil avec les films de Disney pour les Occidentaux. Donc bien sûr, le cinéma de Miyazaki était bien présent dans mon enfance.
Ce qui me plaît vraiment dans les productions du studio Ghibli ? Peut-être l’utilisation des couleurs. Quand on regarde certains personnages, on voit la partie de la lumière et de l’ombre, donc cette utilisation des couleurs très vives, et qui changent selon la lumière et l’ombre, me plaît beaucoup. Une des caractéristiques des films de Miyazaki, c’est l’utilisation de couleurs abstraites pour décrire le monde dans lequel nous vivons. C’est ce côté abstrait qui me plaît beaucoup.
 
 
Dans Voyage vers Agharta, on remarque un changement de ton flagrant par rapport à vos autres productions. Les personnages descendent sous la terre au lieu de regarder vers les étoiles, la mort est omniprésente, etc. Est-ce que c’est une façon pour vous de repartir sur de nouvelles bases avec ce nouveau film ?
Ce n’est pas une volonté de repartir à zéro. Il est vrai que je voulais faire quelque chose de très différent par rapport à mes films précédents, notamment 5cm par seconde. Mais ce film ne marque pas du tout un changement de cap. À mes débuts, je réalisais mes films en tant qu’amateur. De plus, je suis un autodidacte. En réalisant 5cm par seconde, je pense être arrivé à un certain niveau, j’ai été entouré d’une équipe très compétente, et j’ai acquis une forme de liberté pour faire mes propres films. C’est pourquoi je voulais faire une œuvre différente de ce que j’avais fait auparavant. De plus, je ne voulais pas créer un film qui viserait particulièrement mes fans, mais davantage un public beaucoup plus large, qui ne serait pas spécialement amateur de cinéma d’animation. C’était l’idée derrière Voyage vers Agharta, mais cela ne signifie pas que je vais persévérer dans cette voie non plus. Donc non, ce n’est pas vraiment un changement de cap, ni un vrai nouveau départ.
 
 
 
On peut néanmoins voir une espèce de regard en arrière sur vos précédentes productions. Agharta par exemple est déjà évoqué dans The Voices of a distant Star, y avait-il déjà les bases pour Voyage vers Agharta, quelque part ?

Il est sûr qu’il y a des points communs entre Voyage vers Agartha et mes précédents films. Par exemple, j’ai toujours traité le sujet de la séparation, et dans mon dernier film, elle est marquée par la mort, alors que j’utilisais d’autres moyens dans 5cm par seconde. Et mon sujet est toujours comment on peut surmonter cette séparation.
Avec Voyage vers Agartha, j’ai aussi découvert que finalement les gens percevaient mon propre style dans mes œuvres. Beaucoup de fans m’ont dit que mon dernier film ne ressemblait pas beaucoup à mes titres précédents, et d’autres m’ont dit que finalement il y avait beaucoup de points communs. Mais je n’ai jamais fait attention à comment me rendre original, je n’ai jamais tenté de me démarquer de façon consciente, de me créer une marque de fabrique, alors que mon public avait déjà en tête l’image de ce qui faisait mon propre style. Mais en réalité, chaque fois que j’ai réalisé des films, j’ai simplement donné le meilleur de moi-même, j’ai fait tout mon possible avec les moyens à ma disposition, et je n’ai jamais essayé de faire mes films dans un style bien défini. C’est pourquoi j’ai été surpris, agréablement surpris, de savoir que les gens avaient une image de ce qui faisait mon cinéma.


Pourquoi le thème de la séparation vous tient-t-il tant à cœur ? Y a-t-il une expérience personnelle derrière ?
Cela vient peut-être de quelques expériences personnelles, mais pas tout à fait non plus, parce que mes histoires d’amour n’étaient évidemment pas toujours avec quelqu’un qui habitait très loin de chez moi. Je pense que le thème de la séparation est quelque chose de très universel. Quand on déménage très loin, qu’on change d’école, qu’on quitte ses amis… Ce n’est pas seulement la mort qui sépare les gens. Et j’ai toujours voulu évoquer ce sujet très universel. Et je pense qu’avec des films sur ce thème, les spectateurs peuvent ressentir et apprendre beaucoup de choses.
 
 
 
C’est la première fois que vous travaillez sur un film de deux heures. Quels ont été les plus grands défis à relever ?
Il est sûr qu’un film de deux heures prend plus de temps de production, plus d’argent. J’étais prêt à relever le défi, mais je me suis rendu compte que oui, c’est très difficile. Mais ce n’est pas tant une question de contenu. Quand on fait un film de 60 min. ou un film de 120 minutes, finalement le problème de base reste similaire, il faut simplement trouver une construction de l’histoire qui convienne à la durée de chaque film, créer une évolution du récit qui amènera les spectateurs vers une conclusion par rapport à la durée envisagée. Le problème, c’est que nous n’avions pas un gros budget comme celui des films de Ghibli ou de Mamoru Hosoda, ou bien comme un film d’Evangelion. Nous avions un budget plutôt restreint. Pour faire un film d’animation, il faut dessiner énormément d’images, et le producteur a exigé une limite de 40.000 images, alors que j’avais fait une estimation de 80.000 images nécessaires. Pour vous donner une idée, le film Le Château dans le Ciel (qui est d’une durée plus ou moins équivalente, ndlr) a nécessité 120.000 images, donc je jugeais qu’il en fallait au grand minimum la moitié pour mener à bien Voyage vers Agartha. Finalement, après de vives discussions avec les producteurs, nous sommes arrivés à un compromis de 60.000 images. Et c’est peut-être cela qui a été le plus difficile.


Techniquement, comment faites-vous alors pour créer des décors aussi magnifiques, qui rivalisent avec les grosses productions malgré un budget bien plus limité ?
C’est vrai que nous disposions d’un budget plus limité, mais chaque personne travaillant sur le film avait évidemment sa fierté propre en tant que créateur. Malgré des moyens moindres, ils ne voulaient pas que la qualité du travail s’en ressente par rapport aux autres productions. Et je pense que chaque personne y a mis tout son cœur et a vraiment traité le film comme le sien propre. Et c’est vraiment la motivation et le dévouement de l’équipe qui a donné naissance à ce résultat.
   
 
 
Un de vos buts avoués est qu’après avoir vu un de vos films, le spectateur fasse un pas dans son évolution. Quelle évolution du spectateur attendez-vous de lui après avoir visionné Voyage vers Agartha ? Qu’avez-vous souhaité apporter à celui qui regardera votre film ?
J’exagère peut-être un peu, mais si parmi les spectateurs se trouvent des gens qui ont beaucoup de difficultés, beaucoup de peines dans leur vie, qui sont désespérés, qui voudraient peut-être même mourir, et si le visionnage du film leur redonne un peu d’espoir, j’en serais très content. Et j’aimerais que finalement, les spectateurs se disent que le monde n’est pas si mauvais que cela et qu’ils retrouvent un peu goût à la vie. J’espère que mon métrage pourra peut-être aider, voire sauver, certains spectateurs. J’exagère évidemment un peu, mais c’est comme ça que je le vois.


Merci beaucoup M. Shinkai !


Remerciements à Makoto Shinkai, aux éditions Kazé, à l'interprète Shoko Takahashi et au studio Comix Wave Films.