SENRI - Actualité manga

Interview de l'auteur

En marge de ses nombreux invités magistralement exposés, Japan Expo représente, comme nombre de salons en France, l'occasion de rencontrer de nombreux auteurs encore méconnus. Au sein de l'espace de découverte des illustrateurs amateurs et créateurs de fanzines, nous nous sommes intéressés en cette édition 2013 à une dessinatrice dont nous avons déjà pu remarquer les travaux en d'autres occasions. Il s'agit de Senri, une artiste charentaise qui a fait du dessin son métier depuis à présent une dizaine d'années, avec de multiples réalisations qui n'ont pas manqué de nous taper dans l’œil. Sans plus attendre, découvrez le portrait de cette illustratrice dont le talent ne demande qu'à éclore sur la scène éditoriale française.
     
      
     
    
Manga-News : Bonjour Senri et merci de nous accueillir sur ton stand. Peux-tu te présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
Senri :  Bonjour, je suis Senri, j'ai bientôt 28 ans et je suis dessinatrice avec un style orienté BD, manga plus particulièrement. Je suis actuellement en autoédition, je produis donc moi-même les impressions de mes illustrations ou leur compilation sous forme d'artbooks. Je les présente ensuite sur diverses conventions, ce qui me permet de rencontrer de nouvelles personnes, de pouvoir discuter de mes travaux et d'avoir des retours sur mes créations.
    
Quel parcours scolaire as-tu suivi ?
J'ai commencé à m'intéresser au dessin à partir du lycée, et, ne sachant pas vraiment ce que je voulais faire après, je me suis dit que je pouvais essayer d'en faire mon métier. Je me suis donc dirigée vers une école privée de bande-dessinée à Nantes, où j'ai d'abord fait un an de classe préparatoire. J'y ai approfondi les bases du dessin (les règles de la perspective,...), ainsi que les notions de la création de BD (composition narrative,...). Après la prépa, je suis rentrée en première année, mais je ne suis finalement restée qu'un an. Même si j'y ai appris beaucoup, je trouvais que cet enseignement nous orientait vers un style formaté, et j'avais envie de prendre mon envol rapidement. Mais je reste satisfaite de ces deux années, qui m'ont permis de prendre conscience de mon propre univers et de commencer à le développer. Cela fait à présent dix ans que je dessine en tant que professionnelle.
   
En quoi consistent tes travaux ?
Je vis en tant qu'artiste freelance, en enchaînant des projets ponctuels pour divers clients. Par exemple, j'ai conçu la mascotte et quelques illustrations pour la Foire Internationale de Bordeaux en 2012, plus particulièrement pour sa mini-convention interne nommée "Pop Génération by Japan Week". J'ai également réalisé l'illustration de l'affiche de l'Epitanime en 2012 et quelques dessins pour des magazines, notamment la "Coyote Girl" du 41ème numéro de Coyote Magazine.
     
     
       
Est-ce ton activité principale ? En vis-tu ?
Honnêtement, ça commence doucement à être rentable. Au départ, les recettes en convention me permettaient seulement de rembourser les impressions et les frais de déplacement. Je n'en tirais aucun bénéfice et je ne pouvais pas en vivre. Mais en ce moment, ça décolle, je ressens un sincère intérêt de la part du public et ça me fait extrêmement plaisir. Je me dis que finalement, j'ai choisi la bonne voie.
    
T'es-tu également faite remarquer par certains éditeurs ? 
J'ai effectivement quelques contacts en cours pour des projets de série manga. Je ne peux pas en dire plus, mais je croise les doigts pour que ça se concrétise !
    
On peut également retrouver tes créations sur Internet, où tu t'exprimes essentiellement en anglais. As-tu touché un public international ? As-tu fait des conventions hors de France ?
Pas encore, mais j'adorerais pouvoir faire des salons hors de France, car grâce à mon travail j'ai rencontré de nombreuses personnes vivant à l'étranger et je voudrais les retrouver "en vrai". Mais Internet m'a en effet permise de m'ouvrir à un public très large, la plateforme de vente par correspondance sur mon site étant principalement dédiée au visiteurs internationaux, d'où l'emploi de l'anglais.
       
D'où viennent ces visiteurs, essentiellement ?
Un peu de partout ! Des Etats-Unis, d'Amérique du Sud, du Japon comme dans le reste de l'Asie (Indonésie, Taiwan),... et bien sur, pas mal de fans Européens. 
Au Japon, j'ai rencontré des gens adorables qui souhaitent m'aider à me faire connaitre chez eux ! 
   
Tenter de percer au Japon, c'est une idée à laquelle tu as réfléchi ? 
Oui, mais je pense que pour connaitre le succès au Japon, il faut obligatoirement s'y rendre personnellement, et le système y est bien différent. J'ai eu tout de même la chance d'être en 2009, finaliste à la troisième édition du MICC (Morning International Comic Competition), un concours organisé par la Kôdansha à destination des dessinateurs étrangers.
   
Pour revenir sur ton site, quels articles peut-on y trouver ?
On y retrouve essentiellement mes deux artbooks, [♣] et Héliotrope, ainsi que le one-shot Sukûn sorti l'année dernière. Les illustrations imprimées en grand format ne sont quant à elles disponibles que durant les conventions. Etant occupée dernièrement par mes différents projets professionnels, je n'ai pas pu sortir d'autres articles en autoédition, mais je compte bien y revenir pour proposer de nouveaux ouvrages d'ici la fin de l'année.
     
      
      
      
S'agira-t-il d'œuvres plus longues ? De quel genre se rapprocheraient-elles ? 
J'ai en tête de nombreuses histoires, qui sont généralement beaucoup plus longues que celles que j'ai proposées jusqu'ici. Je m'oriente plutôt vers du shônen, éventuellement du young seinen,... bref, plutôt des lectures de garçon !
    
Du young seinen ? C'est plutôt inattendu !
Oui, mais en fait, le shôjo, ce n'est pas du tout mon truc ! Pour avoir lu beaucoup de shôjos en espérant trouver la perle rare, j'ai fini par comprendre que je n'accrochais pas du tout à ce style. On reproche beaucoup de stéréotypes au shônen, je trouve qu'il y en a encore plus dans le shôjo ! 
      
Tu pourrais donc t'orienter à l'avenir vers des ambiances plus sombres, comme de la dark fantasy, par exemple ?
J'ai effectivement dans mes tiroirs un projet de dark fantasy, mais si je dois le dévoiler un jour, je pense que j'irais le présenter directement au Japon. Dans mes projets en discussion avec le monde éditorial français, il s'agit plus de shônens ou de seinens plus légers.
         
As-tu envisagé de travailler avec un scénariste, ou bien tiens-tu à tout faire toi-même ?
J'avoue que je préfère travailler seule. En réalité, pour mes idées de scénario, je pars souvent d'un personnage, et c'est lui qui va me raconter son histoire. J'aurais, je pense, plus de mal à suivre des directives extérieures.
        
Passons maintenant à l'aspect artistique de ton travail. Quelles ont été tes principales sources d'influence, les séries qui t'ont le plus marquée ?
Au tout début, lorsque j'ai commencé à dessiner, j'étais surtout inspirée par CLAMP, ma première lecture étant X -1999. J'ai parcouru plusieurs de leurs séries, en tombant amoureuse au passage de Trèfle. Par la suite, j'ai élargi le cercle de mes lectures aux shônens, en particulier avec One Piece, que je suis toujours, bien sur ! (rires)
Par la suite, je suis tombée en admiration pour œuvres de Hiroyuki Asada, au point de le considérer aujourd'hui comme mon auteur préféré. J'ai ressenti en I"ll une sensibilité inédite dans le genre shônen, et même s'il s'agit d'une série sportive à la base, la narration se focalise très rapidement sur ses protagonistes avec une profonde sincérité. Pour moi, cette série sort du lot et reste une de mes principales sources de motivation :  je souhaite un jour pouvoir réaliser un titre aussi fort, aussi marquant. Mon projet en cours d'écriture va d'ailleurs dans ce sens-là, j'essaie d'y mettre en avant l'évolution des personnages, au-delà de la trame "basique" que peut impliquer le shônen.
      
D'un point de vue uniquement graphique, de quels auteurs penses-tu te rapprocher ?
Je me situerais parmi les dessinatrices réalisant du shônen, et qui y apportent leur trait plus féminin. Au niveau du style graphique, je dirais être plus proche d'Akira Amano, l'auteure de Reborn. En tant que filles, on aime bien sur dessiner des jolis garçons (rires), bien les habiller, les mettre en valeur... Mais sans oublier pour autant les personnages féminins, ni les réduire à de simples spectatrices qui encouragent les héros. Elles ont aussi le droit d'être mises en avant !
        
     
        
En effet, on retrouve dans tes illustrations un ratio assez équilibré entre garçons et filles. En revanche, la plupart de tes personnages ont un aspect enfantin. Comment l'expliques-tu ?
C'est surtout car j'ai du mal à sortir de l'enfance ! (rires)
Mais je pense aussi que dessiner des personnages plus jeunes apporte beaucoup de liberté, ils ont un côté très onirique qui ouvre le champ des possibles. Alors qu'avec des personnages adultes, on s'enferme dans des considérations plus réalistes. Même si l'on dit que le dessin est un art libre, je pense qu'on a tendance à être influencé par la mentalité du personnage que l'on est en train de représenter, et un modèle plus âgé va nous apporter un monde plus étriqué, moins ouvert d'esprit. Les enfants sont eux émerveillés par tout ce qui les entoure, ils rêvent éveillés, et je préfère plonger dans leurs pensées pour pouvoir accéder à des univers infinis. 
    
Tes illustrations peuvent d'ailleurs partir dans tous les domaines possibles et imaginables. Comment te viennent tes idées, comment choisis-tu la direction à prendre à partir d'une simple page blanche ?
Dans un premier temps, je suis surtout influencée par la musique que je suis en train d'écouter au moment où je me lance. Je travaille toujours en musique, je m'imagine mal concevoir sans elle, et l'ambiance du dessin va y être liée. Par exemple, quand j'écoute du hip-hop ou du rnb japonais, avec des groupes comme par exemple Kazoku Family, il en ressort des illustrations plus pop, très colorées et énergiques. Quand j'écoute des ballades mélancoliques, je m'oriente davantage vers de l'aquarelle, voire un travail en noir et blanc plus minimaliste, avec de toutes petites touches de couleur dont il ressortira une ambiance peu joyeuse. 
Au second plan, il y a également une grande part de ressenti sur le moment, en particulier en fonction du temps, de la température. Lorsque j'ai chaud, je vais plutôt mettre en avant des aspects aquatiques, le froid m'oriente plus vers la neige,... En revanche, il est rare que je dessine des motifs chaleureux (des ambiances "au coin du feu"), mais je tempère grâce au jeu des couleurs.
        
         
       
Combien de temps te faut-il pour achever complètement un dessin ? Comment se déroule la conception ?
Pour les illustrations que l'on retrouve dans mes artbooks, c'est extrêmement aléatoire. Certaines ne m'ont prise qu'une heure au total, mais même si j'ai passé peu de temps dessus et si elles peuvent paraître plus simples, cela ne m'empêche pas de les aimer quand même. Je les considère tout aussi abouties que les autres, elles ont simplement une orientation différente. Plus généralement, le temps moyen, en comptant tous les effets et les retouches, tourne plutôt autour des sept heures. Les travaux de plus grande envergure peuvent quant à eux atteindre une quinzaine d'heures. 
La plupart du temps, j'ai en tête l'idée finale du dessin très rapidement, il est rare que je fasse des retours en arrière, il n'y a pas de temps gâché. Mais je travaille sur le dessin jusqu'à atteindre ce que j'avais imaginé au départ.
    
On retrouve d'ailleurs dans ton précédent artbook, [♣] un dessin décortiqué étape par étape. Suis-tu toujours le même processus ? T'arrive-t-il d'utiliser des outils différents de temps à autre ?
Oui, cela peut m'arriver. Par exemple, lorsque je reste sur du dessin traditionnel, j'aime utiliser des Copic (marque de feutres japonais). Plus rarement, disons une fois sur dix, je peux également faire de l'aquarelle. Par contre, dès lors que je bascule sur ordinateur, le processus est similaire à ce que l'on peut voir dans l'artbook. A ceci près que je n'utilise plus Open Canvas mais Manga Studio pour réaliser l'étape de line (correction du crayonné). 
Et pour les croquis, je reste sur des outils très simples : criterium 0.7mm ou stylo à bille ! (rires) J'ai essayé plusieurs crayons de différents calibres, parfois très chers, sans jamais avoir été convaincue. Durant mes études, j'utilisais également le pinceau, que je préférais à la plume, mais le rendu après numérisation est plus difficile à corriger.
    
Nous avons parlé de tes lectures mangas, mais as-tu d'autres influences hors de ce domaine ?
Oui, et je conseille souvent aux gens qui ne jurent que par le manga de s'ouvrir au reste ! Je suis notamment fan de cartoons, notamment la dernière série en date de My Little Pony. Malgré tous les préjugés que l'on peut avoir sur la franchise destinée aux petites filles, cette série est bourrée de références à la culture geek (Star Wars, Metal Gear Solid,...) et son écriture est tellement excellente qu'elle peut s'ouvrir à un très large public ! Je pense aussi à Gravity Falls (j'ai d'ailleurs été surprise en apprenant qu'il s'agissait d'une création Disney !) ainsi qu'à une production française que j'ai découverte récemment, Flapacha où es-tu ?, des studios Xilam (Oggy et les cafards).
   
L'animation est un domaine dans lequel tu aimerais travailler ?
Oui, j'adorerais en faire ! Travailler sur du chara-design, des décors, une recherche d'ambiance,... c'est quelque chose qui m'intéresserait vraiment. Mais pour l'instant, je n'ai rien fait en rapport de près ou de loin avec l'animation, et je ne connais ni le milieu, ni le bagage technique qu'il faudrait avoir. Ce serait donc plutôt sur un coup de chance, une opportunité spontanée... On verra bien, qui sait ?
       
    
      
Puises-tu également l'inspiration dans d'autres formats de bande-dessinée, comme le franco-belge ou les comics ?
Niveau comics, je suis une grande fan de Frank Miller. Après, je m'oriente plutôt vers de la BD italienne, notamment vers les œuvres de Dino Battaglia, dont les encrages sont absolument merveilleux, ou encore Sergio Toppi. J'ai aussi des coups de cœur ponctuels, par exemple pour la BD chinoise My Way de Ji Di. J'ai d'ailleurs été frustrée de l'arrêt de la série en France et j'ai fini par me procurer les dernières volumes en chinois, uniquement pour les illustrations. Plus généralement, je reste ouverte à tout, sans préjugés, même si j'avoue avoir plus de mal avec la BD franco-belge. Je connais mes classiques, j'en reconnais les qualités graphiques et le travail qu'elles peuvent représenter, mais sans y accrocher pour autant.
        
Parlons à présent de ton nouvel artbook, Héliotrope. Comment l'as-tu conçu et comment as-tu sélectionné les illustrations qui y figurent ?
Au travers de cet artbook, j'ai voulu proposer un contenu encore plus hétéroclite que pour le précédent. Avec ce dernier, on m'avait souvent associé au bleu, couleur qui ressortait de la plupart des dessins y figurant. J'ai donc voulu m'éloigner de cette ambiance,  et le titre de ce nouveau recueil en témoigne : je me suis "tournée vers le soleil", vers des aspects plus chaleureux, sans pour autant mettre de coté mes travaux précédents. 
Au final, les deux artbooks sont tout aussi représentatifs de ma personnalité, mais j'ai voulu que Héliotrope soit plus généraliste. Il est axé sur ce que j'aime... tout en étant le contraire de ce que je fais ! En effet, s'il peut être pris comme une compilation, on y retrouve des ambiances que l'on ne retrouvera nulle part ailleurs. C'est un témoignage de mon éclectisme.
     
Et donc, au vu de l'orientation de tes projets futurs, doit-on s'attendre à un prochain artbook orienté "young seinen" ? (rires)
Pourquoi pas, j'aimerais bien ! (rires
Mais il ne faudra pas s'attendre à du gore de ma part. Je préfère l'épouvante, quand l'horreur est plus implicite, sans une goutte de sang versée. Les bruits venant de nulle part, les ambiances troubles... je trouve que c'est encore plus effrayant !
    
   
Merci à Senri pour cet entretien, en lui souhaitant bon courage pour ses projets à venir ! 
Si vous souhaitez à votre tour en savoir davantage sur ses travaux, nous vous invitons à découvrir son site internet et sa page deviantArt.
  
   
Interview réalisée à Japan Expo 2013.