RYU Geum-Chul - Actualité manga

RYU Geum-Chul 류금철

Interview de l'auteur

Publiée le Dimanche, 05 Février 2012

Après les auteurs de The Breaker à Japan Expo et Hong Ki-Woo, dessinateur de The Swordsman, à l'édition d'automne de Paris Manga, les éditions Booken accueillirent sur leur stand de l'édition de février de Paris Manga Ryu Geum-Chul, auteur d'Ares et Muryong. Une venue remarquée, qui fut l'occasion pour nous de partir à la rencontre d'un véritable talent du manhwa, mais également d'une personnalité franche et amicale. Compte-rendu.

      
    
  
Manga-News: Ryu Geum-Chul, bonjour et merci d'avoir accepté cette interview. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs français et nous dire quelques mots sur votre parcours professionnel ?
Ryu Geum-Chul: Je suis donc Ryu Geum-Chul et suis ravi d'être venu ici, à Paris, à la rencontre du public français. Je suis l'auteur d'Ares, Nephilim (non paru en France, ndlr) et Muryong (à paraître aux éditions Booken).
Pour remonter aux origines de mon envie de me lancer dans le manhwa, il faut remonter à mon enfance, qui fut marquée par Conan le fils du futur, la série animée de Hayao Miyazaki. C'est une série pour jeunes garçons que j'ai trouvée un peu différente des autres, en ceci qu'elle met en avant des thèmes et des sentiments qu'on ne trouvait pas forcément avant dans ce type de série. Il s'agit de ma première influence, qui m'a donné envie d'essayer, à mon tour, d'apporter quelque chose de nouveau.
Les années sont ensuite passées, et c'est en arrivant en terminale que j'ai décidé de devenir manhwaga. Ma famille s'y est totalement opposée, car c'est une voie qui est loin d'être sûre. A l'époque, mon père était déjà décédé depuis plusieurs années, et je vivais avec ma mère et ma grande soeur. Ma mère était contre mon envie de devenir manhwaga, mais ma soeur y était encore plus opposée, au point de vouloir me faire quitter la demeure familiale. Bien entendu, j'ai refusé et suis resté. Par la suite, plutôt que d'envoyer mes essais de manhwa aux maisons d'édition, je les ai d'abord envoyés chez des auteurs de l'époque en espérant que l'un d'eux me prenne comme apprenti. Trois auteurs se sont montrés intéressés, et j'ai choisi de rejoindre Kwan Gaya (auteur de La Lune et le Soleil, paru aux éditions Soleil, et de Survivants dont seul le premier volume et sorti chez Kami, ndlr).
Après deux années à ses côtés, je me suis rapproché de la maison d'édition Comic +, avec laquelle je n'ai finalement pas fait grand-chose. J'ai ensuite rejoint Seju Cultural, la seule maison d'édition qui voulait bien publier Ares. La série, abordant des thèmes assez pessimistes qu'on ne trouvait habituellement pas de manière aussi poussée dans des sonyun manhwa (équivalent du shônen manga au Japon, ndlr), comme la mort et la guerre, laissait les éditeurs réticents. J'ai publié 17 tomes d'Ares chez Seju Cultural, jusqu'à ce que l'éditeur fasse faillite. 
Après six mois de vide, Ares est repris par l'éditeur BB Comics. Après avoir fini Ares, j'ai signé Nephilim et Muryong chez Daiwon.
Depuis que Muryong est terminé, j'essaie de me rapprocher de différentes agences japonaises pour voir si je peux faire quelque chose là-bas.
  
  
Comment est née l'idée d'Ares ?
A l'origine d'Ares, il y a d'abord mon envie d'apporter un peu d'innovation dans le milieu du manhwa. Je suis un grand fan de shônen manga, notamment de One Piece, comme beaucoup de monde, mais je me suis demandé pourquoi il ne pourrait pas y avoir des sujets plus sérieux, comme la guerre, dans les séries pour jeunes garçons.  Pour cherche à innover, j'ai également eu l'envie de m'inspirer de certaines de mes passions.
   
    
    
A ce sujet, on constate dans la série, via les noms des personnages, des nations et des lieux, de nombreuses références à la mythologie gréco-romaine...
Oui, c'est l'une de mes principales influences, à laquelle on peut rajouter, pour le dessin des bâtiments, l'architecture classique occidentale, mais aussi Conan le fils du futur, encore lui.
L'idée de mélanger toutes ces influences était assez expérimentale. Auparavant, je crois qu'on n'avait jamais vu un mélange de tout cela dans un sonyun manhwa.
  
  
À côté de ça, malgré le sujet de la guerre, on constate que les héros restent assez jeunes...
La série reste un sonyun manhwa, j'ai donc préféré mettre en scène des personnages jeunes au début, mais Ares va être amené à grandir.
De ce côté-là, je suis resté sur les habitudes du genre pour ne pas tout déstabiliser non plus, sinon la série aurait sans doute été un four complet.
  
  
Pour rester sur l'idée de mélange des genres, on voit aussi qu'Ares possède un mélange intéressant entre un univers médiéval et un look des personnages assez contemporain. Par exemple, on a un héros se promenant avec un sweat à poches...
Oui, sur ce point-là aussi, il y a l'idée de mélange. Sur un décor assez antique, on a ces éléments modernes. L'enjeu était vraiment de mélanger des éléments en apparence incompatibles, pour créer quelque chose d'assez nouveau, voire d'un peu irréaliste.
  
  
Vous disiez tout à l'heure qu'il s'est écoulé six mois entre la faillite du premier éditeur d'Ares, Seju Cultural, et la reprise chez BB Comics. Comment avez-vous mis à profit ces six mois de vide ? Pensez-vous qu'ils ont eu un impact sur l'évolution d'Ares par la suite ?
En fait, pendant ces six mois, j'ai continué à travailler sur Ares, et avait quasiment terminé la série quand elle a été reprise par BB Comics.
Malgré la faillite de Seju Cultural, je n'avais pas envie d'arrêter Ares, d'autant qu'il s'agissait de mon premier manhwa. J'y tenais beaucoup et espérais vivement que la série reprenne chez un autre éditeur.
    
  
    
Vous aviez donc quasiment bouclé Ares quand la série a été reprise. Toute l'histoire était donc déjà écrite ?
C'est une question qui m'amuse un peu, car c'est un sujet dont j'ai parlé avec Reno Lemaire (rappelons-le, l'auteur de Dreamland était présent sur le stand Booken pendant Paris Manga, car il est fan d'Ares, ndlr). Sur la façon d'écrire un scénario, écrit-on juste les grandes lignes, ou prépare-t-on absolument tout ? 
Pour être exact, dans le cas d'Ares, j'avais précisément en tête toute la fin, tout comme, au début, j'avais un point de départ précis. Ces points-là étaient pré-établis, mais après, ce qu'il y avait entre les deux pouvait être sujet à l'improvisation, selon les idées qui me venaient à l'esprit. La majeure partie était faite, mais il y avait toujours de nouvelles idées qui venaient s'incruster.
  
  
Avez-vous eu carte blanche tout au long de l'histoire, ou votre éditeur vous a-t-il parfois aiguillé ou posé des limites ?
Je dois avouer qu'on m'a posé beaucoup de contraintes, surtout au départ, puisqu'après la faillite de Seju Cultural j'ai récupéré les droits d'Ares. 
Par exemple, le troisième tome d'Ares voit apparaître les premiers personnages féminins. C'est Seju Cultural qui avait exigé l'arrivée d'une présence féminine après quelques tomes, et la touche sentimentale qui en découle, avec le coup de foudre d'Ares.
Après, je préfère ne pas vous parler de toutes les contraintes imposées, notamment les contraintes économiques, sinon on n'en finira jamais (rires).
   
    
Parlez-nous un peu de votre collaboration avec un scénariste sur Muryong...
C'était la première fois que je travaillais avec un scénariste. Sur Ares et Nephilim, j'étais seul. C'est l'éditeur qui m'a contraint de travailler avec un scénariste, moi je n'en avais pas vraiment envie.
  
  
Malgré tout, vous avez pu fournir des idées pour le scénario de Muryong ?
Le problème, c'est que c'est l'éditeur qui nous a imposé à tous les deux de travailler ensemble. Ce n'était pas un choix qui émanait de nous, et notre collaboration s'est déroulée de manière assez distancée. On a travaillé chacun de notre côté, sur notre partie. Lui sur l'histoire, moi sur les dessins. Il y a eu quelques désaccords au départ, puis ça s'est arrangé, notamment parce que Muryong était prévu pour être une série courte et qu'il n'en découlait donc pas non plus un travail colossal destiné à s'étirer sur des années.
      
    
    
Vous parliez tout à l'heure de votre intérêt pour One Piece. Justement, le caractère des héros d'Ares, fonçant naïvement en écoutant rarement les conseils des autres, rappelle un peu un personnage comme Luffy de One Piece. Est-ce là aussi une influence directe ?
Je pense que l'on retrouve ces traits de caractère dans bon nombre de shônen manga, mais il est vrai que je suis un très grand fan de One Piece. Et maintenant que vous me le dites, il est tout à fait possible que j'aie inconsciemment rapproché le caractère de mon héros de celui de Luffy.
    
    
Conan le fils du futur, One Piece, la mythologie gréco-romaine... Avez-vous eu d'autres grandes influences?
Avec par exemple la mythologie gréco-romaine, mes influences ne sont pas que dans le domaine du shônen manga. Il n'y a pas vraiment d'autres mangas en particulier, mais signalons que je me suis efforcé de respecter tout de même les principaux codes du shônen manga.
En dehors du manga, il y a deux oeuvres littéraires qui m'ont beaucoup influencé. 
Tout d'abord, la légende des Trois Royaumes, qui m'a donné envie de mettre en avant la guerre civile, les conflits entre états, la guerre et la violence armée... 
Puis il y a une oeuvre sur l'histoire des Romains, écrit par une Japonaise nommée Nanami. C'est un livre très connu en Corée du Sud et au Japon, où il est même devenu un best-seller. C'est une saga en dix tomes, qui revient sur l'histoire de l'Empire Romain, de ses débuts à sa fin, le tout de manière un brin fictive. Cette saga fut pour les Coréens et les Japonais un véritable guide sur cette époque.
Du côté des mangas, il y a aussi, dans une moindre mesure, Vagabond, avec le parcours de Musashi Miyamoto dans un Japon au bord de la guerre civile.
   
   
C'est cette saga qui vous a rendu passionné de mythologie gréco-romaine, ou vous vous y intéressiez déjà avant ?
Je m'y intéressais un peu avant. Pendant la conception d'Ares, j'étais vraiment à fond dans tout ça. Mais là-bas, ce n'est pas quelque chose que l'on nous inculque dans l'éducation, les livres sur le sujet ne sont pas nombreux, et si l'on n'a pas profondément envie de s'intéresser à ce sujet on passe complètement à côté. Forcément, on s'intéresse plus aux Trois Royaumes par exemple, car ça nous concerne plus directement. Du coup, mettre des éléments de la mythologie gréco-romaine dans une oeuvre, c'est plutôt original en Corée.
  
  
Ares commence doucement avec la présentation des personnages et du royaume de Cronos, mais on sait que par la suite les choses ne vont cesser de se développer autour du passé des héros, de leurs liens, des complots politiques, stratégiques, et des conflits avec les royaumes voisins. Quel aspect vous tenait le plus à coeur ?
La guerre, les conflits. 
En lisant la légende des Trois Royaumes, je me suis pris de passion pour les conflits armés, les stratégies de guerre, les jeux d'alliance et d'opposition. Pour être plus précis, j'ai également cherché à proposer la guerre dans son ensemble, à offrir des batailles collectives plus que des combats individuels. Il y a une guerre de foule, organisée.
      
     
Entre Ares et Muryong, vous avez également créé un manga du nom de Nephilim. Pouvez-vous nous dire quelques mots dessus ?
C'est un projet qui est né sur la même envie que pour Ares : celle d'apporter un peu d'innovation. J'ai voulu y inverser les idées pré-établies. Pourquoi un ange serait toujours bon ? Pourquoi un diable serait toujours mauvais ? Dans ce cadre, Nephilim, qui est à l'origine un personnage biblique, mi-homme mi-ange, se morfond quant à son identité exacte... 
    
  
  
Nous avons cru comprendre que cette série a malheureusement été interrompue en cours de route. Est-ce le cas ?
L'éditeur a exigé que je finisse en peu de temps la série, parce que les ventes n'étaient pas suffisantes.
   
  
Malgré tout, on vous a laissé suffisamment de temps pour offrir à la série une fin convenable ?
Sincèrement, non. D'autant que l'éditeur m'a demandé de travailler sur Muryong tout de suite après, ce qui laissait encore moins de temps.
   
  
Quelle vision avez-vous des différents éditeurs coréens dont vous avez croisé la route ? 
De manière générale, je pense que les manhwagas se font un peu exploiter par les maisons d'édition. Ces dernières sont capables d'imposer avec force certaines contraintes, et je trouve que les auteurs s'y opposent assez rarement, conservent une position un peu fataliste. Peut-être se disent-ils que si l'éditeur leur impose des choses, c'est parce que leur oeuvre n'est pas assez bonne. Peut-être est-ce aussi parce qu'ils se disent qu'ils n'ont pas suffisamment de pouvoir pour se permettre de protester.
C'est une triste réalité.
    
    
Votre style graphique est très stylisé. Quels outils utilisez-vous pour dessiner ?
J'ai dessiné Ares entièrement à la main. Sur Nephirim, j'ai utilisé le numérique pour les décors, le reste a été fait à la main. Quant à Muryong, c'est du tout numérique.
Pour ce qui a été fait à la main, j'utilise au départ, comme beaucoup de dessinateurs, un crayon 2B. J'utilise ensuite le stylo Zebra, un stylo japonais. Enfin, j'utilise un stylo-pinceau.
   
   
Remerciements à Ryu Geum-Chul, aux éditions Booken, et à l'interprète.