REISS Benjamin - Actualité manga

Interview de l'auteur

Benjamin Reiss, l'auteur de Tokyoland (disponible aux éditions 12bis) nous a récemment accordé une interview. Il nous parle notamment de son expérience au Japon (il y a vécu plusieurs années) et de ses projets... Portrait d'un auteur sympathique et disponible!

 


Manga-news: Peux tu nous expliquer ton parcours et comment tu es devenu dessinateur?
Benjamin Reiss: Après mon bac, en 1993, je suis rentré en fac d’Arts plastiques. Le cours qui me passionnait vraiment était un cours d’initiation à la bande-dessinée donne par Jean-Louis Chazelas , un professeur qui nous projetait des diapositives de cases de BD.  Il avait tout un stock de photos qu’il avait pris lui-même et c’était un spécialiste de la diapo. Le fait de voir des cases agrandies sur un écran était quelque chose d’incroyable.  C’est vers cette période que j’ai vraiment voulu devenir dessinateur, malgré un niveau de dessin très moyen. Je me rappelle que le premier exercice consistait à faire des taches d’encre sur un papier humide. Il fallait ensuite choisir une tache  et l’interpréter pour en faire un dessin qui serait le point de départ d’une histoire.  Après trois ans d’université, je suis parti pour une école d’enseignement plus pratique, l’école Emile Cohl de Lyon dont je suis sorti diplômé en 2000. Mon premier contact avec le «vrai» monde de la BD fut mon premier voyage à Angoulême qui m’a permis de rencontrer l’éditeur Emmanuel Proust et environ deux ans plus tard, je commençais une série en trois tomes avec David Foenkinos au scénario.
 

Comment en es-tu venu à partir pour le Japon, et comment s’est déroulée ton arrivée dans la capitale?
D’abord, je dois dire qu’à la base je n’ai pas beaucoup de connaissance de la culture manga.  Je ne suis pas un gars de la génération Goldorak ou de la génération Dorothée. C’est le fait d’avoir d’abord vécu au Japon qui m’a poussé à lire des mangas. En France, pendant une période je lisais des livres tournant autour du zen, des arts martiaux, du bouddhisme et de la méditation. Croyez-moi ou non, j’ai réussi à faire de la lévitation! Cet intérêt pour les courants de pensée d’Asie extrême-orientale avait commencé par la lecture de la biographie de Bruce Lee. Celui-ci était très influencé par des écrivains ou des philosophes comme Krishnamurti et j’ai donc commencé à dérouler le fil. Au bout d’un moment, j’ai voulu savoir comment c’était la vie là-bas. Je suis parti avec un visa vacances-travail. J’avais une petite amie japonaise à l’époque. Nous nous étions rencontrés à Lyon. J’ai débarqué dans son minuscule appartement de Tokyo mais j’ai très vite dû me trouver un logement et un travail. J’ai eu beaucoup de chance de trouver les deux en même temps! Je n’avais peur de rien à ce moment-la. C’était un peu fou; débarquer comme ça avec juste de quoi me payer un billet retour, pas de projet et pas d’amis sur place!
         

               
                
Tu as travaillé en tant qu’assistant Mangaka, peux-tu nous expliquer comment tu as pu décrocher ce job et quelles ont été tes fonctions?
C’est en passant par le site internet J.A.C. (Japan Assistants Club). C’est un site internet japonais qui recense tous les jours de nombreuses offres d’emploi postées par des dessinateurs de manga, professionnels ou non. Ce fut très facile de décrocher un rendez-vous puis d’autres. Je répondais en général aux annonces en  joignant un lien vers mon site internet et j’avais des réponses très rapidement. Mais une fois dans la place, cela a été un peu plus difficile. Il a fallu apprendre des techniques inhabituelles et j’ai du me plier a des tâches pénibles, aux longues journées de travail, à quelques nuits blanches et aux appels surprise en milieu de journée du genre: «j’ai besoin de toi aujourd’hui…jusqu'à demain matin!». On pouvait me demander de faire des animaux, des voitures, des immeubles, des personnages dans le fond d’un décor. La plupart du temps d’après photo. J’avais de la chance car j’avais déjà beaucoup travaillé d’après photo pour la série chez Emmanuel Proust et pour des illustrations personnelles. J’ai aussi posé des trames, fait du «beta», tâche passionnante qui consiste à remplir les zones de noir au marqueur, des lignes de vitesse, de concentration, des mains et des tas d’autres objets. J’ai aussi nettoyé et corriger des planches avant leur impression en version album.


Tu as travaillé notamment pour l’auteur de  Bienvenue à La NHK, peux-tu nous raconter l’ambiance et le travail au côté d’un mangaka réputé?
Au moment où je travaillais chez Ooiwa Kenji, le dessinateur de Goth et de Bienvenue dans la NHK, celui-ci avait en effet plutôt le vent en poupe car NHK venait d’être adapté en série animée. L’ambiance était donc plutôt détendue. On se faisait des sorties après le bouclage de chaque épisode, on est même allé au ski! Ooiwa-san nous a aussi offert a chacun une PSP! Je pense que c’était un auteur un peu particulier, mais en tout cas très généreux. En ce qui concerne le boulot, Il n’aimait pas trop s’immiscer dans le travail des assistants. Il considérait que lui était déjà assez occupé avec le sien et qu’il pouvait suffisamment  nous faire confiance pour que l’on fasse nous même les décors et les trames.  Souvent, un assistant en chef était désigné pour la journée et c’est à lui, plutôt qu’à Ooiwa-san que l’on devait montrer notre travail. Ooiwa-san travaillait pour deux séries en même temps chaque mois mais les deux histoires n’avaient pas droit à la même attention; il s’investissait plus sur une série que sur une autre, souvent parce qu’il en était l’auteur. Par contre ce n’est pas comme en France, les dessinateurs ne vont pas le week-end dans des festivals ou des conventions pour dédicacer.  Le week-end, ça n’existe pas! Tous les mangakas que j’ai côtoyés étaient de très gros bosseurs. Certains de mes collègues assistants travaillaient aussi sur des projets personnels à la maison et faisaient parfois des nuits de 4 heures. Mais le travail paie; un des assistants d’Ooiwa-san a démarré sa carrière pro alors qu’il travaillait avec nous. Du coup, il a arrêté son boulot d’assistant et dessine maintenant dans un magazine.
    
 
   
  
Y-a-t-il des différences entre un mangaka a série régulière et un autre?
Je pense que la plupart des mangakas, à part peut-être les dessinateurs amateurs, ont conscience qu’ils doivent produire des histoires intéressantes en quantité; ils doivent tomber des pages et encore des pages. En général, les artistes se plaignent de ne pas avoir de temps et de ne pas savoir dessiner.  J’ai eu l’opportunité de travailler chez un jeune homme qui ne dessinait que des doujinshi (BD publiées à compte d’auteur et vendues dans des conventions ou par internet, ndlr). Il en vivait, et même plutôt bien. Mais il était obligé de suivre un rythme comparable à celui des dessinateurs pro. Alors celui qui a une série qui marche bien est peut-être de meilleure humeur? Allez savoir... Mais sinon, les deux types de mangakas se ressemblent je pense. J’ai également travaillé pour  une femme mangaka dont la série s’arrêtait suite au plantage du magazine qui l’éditait. Elle n’avait pas trop l’air d’en faire toute une histoire. Peut-être parce qu’ils sont japonais, mais j’ai remarqué que quand les mangakas connaissent l’échec, ils n’ont pas trop l’air de se lamenter sur leur sort et passent vite à un autre projet.


Qu’est ce qui ta poussé à arrêter de travailler comme assistant?
C’est l’envie de créer ma propre histoire. Au début, on se flatte d’être en quelque sorte édité en même temps qu’un auteur; notre travail est hissé au niveau de celui d’un pro. Ça fait plaisir de voir son travail dans un magazine et puis on fait ce qu’on aime en étant payé. Ce n’est pas trop risqué non plus. Pas du tout même. J’ai quand même eu l’impression de me couler dans une sorte de routine, il n’y avait plus vraiment de choses difficiles à faire. Et puis il faut bien décider à un moment de ce qu’on va faire plus tard. J’ai même rencontré un assistant âgé de quarante ans qui faisait l’admiration de tous car il avait travaillé avec des mangakas très connus mais en même temps son âge laissait perplexe.  Comme je ne me voyais pas faire ça à quarante ans, j’ai tout fait pour démarrer ma propre BD.


Que t’a apporté cette expérience?
Des bons souvenirs. Une sorte d’admiration pour la manière dont travaillent les japonais.
   
Ci-dessous: Benjamin Reiss nous montre cette planche et cette couverture, sur lesquelles il a personnellement travaillé.
 

     
   
Quand t’es venue l’idée de l’histoire de Tokyoland?
C’est environ après 3 ans passés à Tôkyô. Les deux premières années j’ai dessiné les deux volumes de la série pour Emmanuel Proust. J’ai ensuite passé une année à approcher les éditeurs japonais. Voyant que cela était quand même bien compliqué, je me suis dit qu’il était plus simple et plus efficace d’écrire directement en français pour publier dans la même langue. On ne s’en rend pas forcément compte à force de vivre dans le même pays toute sa vie mais la culture de nos voisins est différente, les gens sont différents. En tentant de raconter des histoires drôles à des amis japonais, je me suis rendu compte que trois fois sur cinq, je faisais un flop retentissant. En général, ce n’est pas parce que la blague n’était pas drôle mais parce qu’ils n’avaient pas les références culturelles nécessaires. Bon, c’est vrai que pour l’humour c’est quand même assez particulier mais…imaginez un peu quand il s’agit d’écrire un scénario de BD comique, un livre truffé de références culturelles populaires aussi bien au niveau du texte que de l’image..?


Cette histoire est en partie autobiographique, quelle est la part de réalité de ton récit?
Et bien en fait, tout est réel à part l’épisode de l’assistant qui récupère son riz au restaurant; ce qui lui arrive quand il rentre chez lui,  je l’ai imaginé.
Tout est réel mais cela ne veut pas dire que tout m’est arrivé à moi. En tant qu’auteur de BD, je me sens comme un acteur. Les acteurs jouent bel et bien avec des sentiments réels! J’utilise des éléments réels. Pour expliquer cela, j’emprunterais à Jean-Jacques Rousseau et au préambule de ses fameuses Confessions: «Voici l’histoire d’une vie. Ma vie. La vie d’un homme au vingt et unième siècle. Ce que j’ai fait et ce qu’on m’a fait. Si parfois il m’est arrivé d’employer quelque ornement innocent, cela n’a jamais été que pour pallier un défaut de mémoire. J’ai pu quelque fois prendre pour un fait ce qui n’était guère plus qu’une probabilité, mais – et ceci est capital – je n’ai jamais fait passer pour vrai ce que je savais être faux».
    

  
  
Pourquoi ne pas avoir choisi de raconter simplement ton histoire, par pudeur?
Je crois qu’on ne peut pas simplement raconter sa propre histoire. On a trop tendance à se contrôler, à diriger l’histoire vers une direction donnée, à chercher à se montrer sous un angle étudié. Il est difficile de prendre de la distance. On ne se rappelle plus tout exactement, etc. La plupart des gens veulent savoir si c’est vrai ou si c’est faux. Rappelez-vous ce que nous disent tous ces jolis films hollywoodiens: "Que ce soit faux ou que ce soit vrai, l’important, c’est d’y croire".  Le Japon: on est ébloui par des tas de choses quand on y débarque, mais ce ne sont pas des choses intéressantes à mettre en histoire pour moi. Je n’ai pas envie de faire du scrapbooking. Pour cela il suffit d’y aller un mois, de prendre plein plein de photos et voilà on a un beau livre de souvenirs du Japon. 
Ce que je voulais c’est montrer la vie d’un français déjà habitué à la vie japonaise et qui a déjà passé toute cette période d’éblouissement des premiers temps. Une période pendant laquelle on n’a pas tellement de prise sur les choses, on a tendance à se laisser porter par le courant, on n’a pas l’impression d’agir sur le monde, un peu comme un touriste. Et puis au fur et à mesure le temps passe, on s’habitue et on se rend compte que les choses incroyables du début sont en réalité plutôt superficielles. Ce n’est pas ça qui nous aide à vivre au quotidien. Peu à peu on arrête de se dire: «Je suis au Japon» et on commence à rentrer dans la vie quotidienne, à prendre le métro comme tous les japonais, à payer ses factures et même à pointer au chômage. C’est vrai que je n’ai pas envie de raconter tout ce qui m’est arrivé. Ce n’est pas parce qu’on fait une soi-disante autobiographie que l’on ne peut pas avoir de secrets.  Et donc oui, c’est de la pudeur. Mais j’en dirais quand même plus si j’ai l’opportunité de faire un deuxième volume.


Bien que tu sois resté prés de 6 ans au Japon et travaillé pour des dessinateurs japonais, ton dessin ne semble pas voir été influencé par tout ça. C’était voulu?
Je suis bien resté  6 ans à Tôkyô.  Je ne veux pas copier le style des japonais. Par contre, dans Tôkyôland, j’utilise les mêmes techniques que celles employées par les japonais pour les décors, le matériel… Déjà, quand j’ai commencé à dessiner, j’ai eu beaucoup de mal à me détacher de l’envie de ressembler à mes auteurs de prédilection. Je ne voulais ressembler à personne! Cela m’a pris des années. J’ai aussi suivi des conseils d’autres dessinateurs que je n’aurais pas dû suivre. Bref, je pense avoir déjà passé suffisamment de temps à faire «comme». Cette occasion de me plonger dans une culture complètement neuve pour moi m’a aidé à trouver peu à peu une assurance.  Graphiquement, j’étais quelqu’un de nouveau pour eux et mon dessin n’était pas jugé avec notre culture occidentale de grands maîtres dessinateurs genre Leonardo Da Vinci, Ingres et tous ces grands fantômes des Beaux-arts. A Tôkyô, j’ai rencontré un français qui voulait participer à un concours de manga lancé par un gros éditeur. Il l’a fait, mais dans un style «manga japonais». Quel dommage! C’est rater l’occasion de se distinguer, non? Car on se place alors dans le même sac que des milliers de japonais aspirants mangaka qui rêvent depuis des années de gagner à ce concours et qui possèdent mieux que vous le langage graphique utilisé dans le pays.
      

     
   
A la fin de Tokyoland, ton héros espère bien revenir un jour au Japon. Et toi?
Moi, oui, j’espère bien retourner dans un restaurant de Tôkyô manger un shouga-yaki teishoku, aller au sento ou simplement me balader à vélo dans les quartiers secrets de la ville. C’est quand même un petit peu mon pays d’adoption ou sinon mon pays-nourrice. Voilà c’est un peu ma tata ce pays. Mais enfin, le Japon ne me manque pas tant que ça.  Alors qu’à une époque, je me serai au moins coupé les deux mains pour pouvoir y rester 30 ans! Il y a quand même, je l’espère, d’autres magnifiques pays à découvrir. Évidemment, le Japon c’est un peu comme un premier amour...


Au final, quand on renferme ton ouvrage on a bien envie d’en connaître un peu plus sur l’expérience de Jean Yves au Japon.  On peut espérer avoir une suite?
Je commence actuellement une suite qui verra le jour l’an prochain, au mois de Mai 2010. Enfin ça va dépendre aussi de ma situation financière...
 
 
Merci beaucoup!
Merci!


Remerciements à Benjamin Reiss
 

Vous pouvez lire un extrait de Tokyoland depuis notre rubrique Manga en ligne: