MOCHIZUKI Minetaro - Actualité manga

MOCHIZUKI Minetaro 望月峯太郎

Interview de l'auteur

Publiée le Vendredi, 08 Avril 2016

Minetarô Mochizuki est un auteur qui aime se lancer des défis, changeant de style régulièrement et offrant dès lors des oeuvres qui ne se ressemblent jamais. Auteur du récit apocalyptique Dragon Head qui nous plongeait au coeur de la peur humaine, de l'horrifique one-shot La Dame de la chambre close, ou encore d'un Maiwai malheureusement impopulaire en France, l'auteur est aussi celui à qui l'on doit plus récemment le remarqué Chiisakobé, et c'est pour porter cette oeuvre que Le Lézard Noir l'a fait venir pour la toute première fois en France, à l'occasion du dernier Festival d'Angoulême.

De notre côté, c'est lors de son bref passage à Paris que nous avons pu le rencontrer pour une interview. Et même si l'on sentait que le mangaka, malgré sa carrière déjà assez longue, n'a pas grande habitude des interviews, on a découvert devant nous un artiste humble, rieur, complice avec son éditeur, et désireux de nous en apprendre plus sur son dernier manga. Compte-rendu !


credits : getnews.jp

Minetarô Mochizuki, merci beaucoup d'avoir accepté cette interview, c'est un grand honneur de vous avoir en face de nous. On sait que l'idée d'adapter la nouvelle originale de Shugôrô Yamamoto vous a été soufflée par votre éditeur, parce qu'il pensait que ça correspondait bien au type d'histoire que vous recherchiez : peinture des sentiments, atmosphère familiale, travail artisanal... Quel fut votre ressenti à la première lecture de la nouvelle ?

Minetarô Mochizuki : C'est moi qui vous remercie.

En effet, c'est exactement ce que je voulais aborder. A cette époque, je ne connaissais pas encore la nouvelle originale. Bien sûr Shugôrô Yamamoto est un auteur très connu au Japon, j'avais déjà lu plusieurs de ses ouvrages, et plusieurs d'entre eux ont connu des adaptations au cinéma, mais concernant Chiisakobé c'était la première fois que je la lisais. Et en la découvrant, j'ai compris que c'était pile ce que je recherchais.


Chiisakobé possède, parmi ses thèmes centraux, la difficulté d'exprimer ses sentiments. Pourquoi avoir choisi d'aborder cette thématique?

(Minetarô Mochizuki se met à réfléchir longuement, se met à rire un peu de son silence, avant de répondre)

Pour moi, cette difficulté d'exprimer ses sentiments n'est pas à proprement parler l'une des thématiques centrales de Chiisakobé. Je dirais que la relation entre les personnages tient plus de la considération, de la façon dont les gens se considèrent les uns les autres et tiennent compte des sentiment des autres.

Pour vous donner un exemple, au Japon les portes coulissantes ne sont pas fermées à clé. Mais quand elles sont closes, on sait qu'il ne faut pas les ouvrir s'il y a quelqu'un derrière, on ne va pas essayer de rentrer de force. Pour les personnages, c'est pareil.

Désolé de ne pas réussir à mieux exprimer ce que je veux dire. Quelque part j'ai moi-même du mal à exprimer mes sentiments (rires).



Shigeji, mais aussi Ritsu régulièrement, font partie de ces gens ayant du mal à exprimer ce qu'ils ressentent, et dans votre série on comprend pourtant tout ce qu'ils peuvent ressentir en observant leurs différents tics de comportement. Etait-ce pour vous un moyen de nous rappeler d'apprendre à observer les gens, à être attentif envers eux pour bien les comprendre ?

Oui, c'est exactement ça. Pour chaque personnage, à travers les objets qu'il utilise, les vêtements qu'il porte, ses coiffures, ses gestes, cette accumulation de détails, je voulais permettre aux lecteurs de vraiment ressentir la personnalité propre à chacun d'eux.


Dans la série, chaque case semble étudiée au millimètre près, que ce soit dans l'angle de vue, la distance des personnages, les détails, les objets qui semblent presque avoir une âme... si bien que chacune d'elles attire le regard du lecteur pour un ou quelques éléments précis. Comment avez-vous travaillé ce souci de mise en scène, cette minutie ?

J'ai vraiment calculé case par case la quantité d'informations en une case et l'effet que ça procurerait au lecteur. Même la position d'un verre, je la calculais et la modifiais. Par exemple, je me demandais où Ritsu, après avoir bu, poserait précisément son verre, et avec mes assistants on en discutait pour savoir quelle serait la meilleure place. Chaque détail a son importance.


Comment procédiez-vous pour modifier les détails si besoin ? Vous faisiez des brouillons ou des croquis avant ? Vous utilisiez l'informatique ?

Une fois le dessin fait et numérisé, je pouvais facilement déplacer les objets par ordinateur.



Sur Chiisakobé, on vous retrouve avec un travail graphique différent de vos précédentes oeuvres : c'est plus épuré, avec une forte attention aux détails et aux parties du corps... Pourquoi avoir choisi ces changements de style ? Est-ce un besoin de renouvellement ?

En réalité, j'ai déjà opéré ce changement dans ma série précédente, Tokyo Kaido, qui n'est pas encore sortie en France. Ce changement n'est donc pas soudain, il s'est fait par étapes, mais de base il y a en effet une volonté de changement.

C'est en réalisant Tokyo Kaido que je me suis vraiment rendu compte que le fait de limiter les traits et de bien les choisir rendait l'oeuvre plus forte. Cela s'est réellement concrétisé dans Chiisakobé.

Dans mes mauvais jours, pour dessiner un pull je vais accumuler plein de traits pour montrer les plis, alors que dans les bons jours je vais avoir besoin de seulement quelques lignes pour évoquer ces plis.


Du coup, sur vos séries futures, pensez-vous que votre style va encore changer ? Y a-t-il des choses que vous aimeriez expérimenter ?

Je ne pense pas qu'il y a un style et une forme de dessins meilleurs que d'autres, et à chaque oeuvre j'essaie de changer de style. Pour mes prochaines oeuvres, je ne sais pas encore vers quel style je me dirigerai, par contre je veux toujours utiliser mes acquis. Ce que j'ai acquis sur Chiisakobé, j'espère que ça me sera utile sur ma prochaine oeuvre, et ainsi de suite.



Il y a un grand soin pour tout ce qui est architectural : la bâtisse où vivent les personnages, le travail de charpentier de Shigeji... Cet aspect vous a-t-il demandé de vous documenter ?

(Minetarô Mochizuki se tourne vers son éditeur japonais, Kôzô Terazawa)

Aide-moi, toi, on est allés se documenter ensemble ! Réveille-toi ! (rires)

Kôzô Terazawa : Nous sommes allés en reportage ensemble dans d'anciennes maisons, nous avons pris de nombreuses photos. Nous avons multiplié comme ça les visites, sommes allés à la rencontre de charpentiers expérimentés, des artisans traditionnels que nous avons interviewés.


Avec son travail artisanal de charpentier, et sa difficulté à exprimer clairement ses sentiments, est-ce qu'il y a un peu de vous dans le personnage principal de Chiisakobé ?

Minetarô Mochizuki : Dans l'oeuvre originale, Shigeji n'est pas du tout comme ça, il a une personnalité très différente. Il est beaucoup plus viril, et c'est un personnage qui ne doute pas. Mais du coup, je n'arrivais pas à m'identifier à lui, et j'ai alors créé mon propre Shigeji qui comporte effectivement une part de moi-même.



Hormis Shigeji, y a-t-il d'autres grandes différences avec la nouvelle originale, que malheureusement nous ne pouvons pas lire en français ?

Bien sûr, il y a le changement d'époque, puisque la nouvelle originale se déroule sous l'ère Edo. Mais à part ça, la trame est tout à fait identique, je tenais à respecter le récit de Mr Yamamoto.

Le challenge pour moi était plutôt de trouver comment mettre en scène chaque élément du récit. Pour donner un exemple concret concernant la mise en scène, il y a dans le tome 3 une scène de conversation entre Shigeji et Ritsu avec une porte coulissante entre eux, qui les sépare. Cette porte, c'est un ajout que j'ai fait, parce que je me suis dit que le fait qu'ils ne se voient pas transmettrait mieux aux lecteurs les sentiments et pensées de chacun.

Après, il y a tout de même le nombre d'enfants qui change : il y en a plus dans la nouvelle, mais pour pouvoir approfondir la personnalité de chacun j'ai réduit leur nombre dans mon manga.


Shigeji est très nourri par des paroles de son défunt père : "Quelle que soit l’époque dans laquelle on vit, ce qui est important, c’est l’humanité et la volonté". Est-ce vous aussi avec cette mentalité que vous poursuivez votre carrière de mangaka, voire que vous vivez ?

Cela fait partie des petits ajouts que je me suis permis : cette phrase n'existe pas dans la nouvelle originale. Donc comme vous vous en doutez, c'est effectivement un point de vue que je partage et que je tenais à transmettre.

(Minetarô Mochizuki, taquin, se tourne à nouveau vers son éditeur)

Mais c'est quoi cet éditeur qui ne m'aide absolument pas et qui est en train de bailler ?! (rires)



Si vous voulez, j'ai justement une question concernant votre éditeur !

Allez-y ! Réveillez-le un peu ! (rires)


Le magazine Big Comic Spirits, où a été prépublié Chiisakobé, semble regorger d'auteurs qui ont une vraie patte graphique bien à eux et semblent assez libres dans leur travail, comme Junji Ito, Inio Asano, Naoki Yamamoto, Taiyô Matsumoto ou Kengo Hanazawa... Est-ce une spécificité, une mentalité de ce magazine ?

Kôzô Terazawa : Personnellement, je trouve que c'est effectivement la façon de travailler idéale que de respecter pleinement la patte de chaque auteur, mais je ne pense pas que ce soit forcément l'esprit-même du Spirits.

Minetarô Mochizuki : Toi tu respectes le style de tes auteurs, mais tu n'es pas sûr que toute la rédaction fasse de même, c'est ça ? (rires)

Kôzô Terazawa : A mon avis c'est du cas par cas. Sans doute vont-ils être plus interventionnistes avec des auteurs moins expérimentés.



Retour à Chiisakobé ! On note aussi dans la série, un certain goût pour un érotisme assez léger, plutôt sous-entendu, presque fétichiste envers les personnages, et d'ailleurs c'était aussi le cas dans Maiwai...

Minetarô Mochizuki : Je me suis demandé s'il ne valait pas mieux ne pas trop insister sur ces aspects fétichistes et légèrement érotiques, mais en même temps je veux présenter les filles les plus charmantes possibles, et surtout décrire le quotidien, or ces petits éléments un peu érotiques font partie du quotidien. Ne pas les représenter, ce serait montrer un quotidien un peu mensonger.

En tout cas, c'est l'excuse que j'ai utilisée pour pouvoir inclure un peu d'érotisme dans Chiisakobé (rires).


On sait qu'adolescent vous étiez un gros lecteur de manga. Quels titres et auteurs vous ont laissé un souvenir impérissable ?

J'ai fait mes débuts dans le Young Magazine de Kôdansha et ai eu le prix Chiba Tetsuya, or ce dernier est un auteur que j'adorais, et j'ai participé à ce concours parce que je savais que c'était lui qui regardait les oeuvres proposées.

Ensuite, j'ai été influencé par tous les mangakas à succès de l'époque, et par l'artiste Yoshikazu Ebisu qui fait du heta-uma, un genre consistant à dessiner d'une façon qui apparaît maladroite et laide alors que derrière il y a en réalité beaucoup de maîtrise. Je trouve vraiment le dessin de Mr Ebisu surprenant.

(c) Ebisu Yoshikazu.

Enfin, on vous connaît aussi en France pour Maiwai, un récit porté sur l'aventure avec un grand A, avec un aspect finalement assez décomplexé, un sentiment de fun et des héroïnes de rêve. Comment est né ce récit dans votre esprit ?

Dans Dragon Head, je racontais le récit d'adolescents pris dans une catastrophe qui les dépasse complètement, et qui n'avaient plus nulle part où rentrer, plus de chez eux. Avec Maiwai, tout est parti de mon désir de présenter la situation inverse : les héros ont beau partir dans une aventure complètement folle qui va les emmener jusque sur une île perdue et quasiment inaccessible, au final ils peuvent toujours rentrer chez eux.


Un grand merci à Minetarô Mochizuki et à son éditeur Kôzô Terazawa pour leurs réponses et leur sympathie, à Miyako Slocombe pour la qualité de sa traduction, et au Lézard Noir pour avoir permis cette rencontre.

Mise en ligne le 08/04/2016.


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Mardi, 05 Février 2019

En 2016, à l’occasion de la sortie du manga Chiisakobé qui depuis a été auréolé au FIBD d’Angoulême l’année suivante avec le Prix de la meilleure série, Le Lézard Noir accueillait Minetarô Mochizuki, illustre mangaka reconnu également pour Dragon Head ou encore Maiwai. A cette occasion, nous avions déjà pu l'interviewer (lire l'interview). Depuis, nous avons pu le retrouver avec l’excellent Tokyo Kaido, en attendant son retour cette année avec L’Île aux Chiens, adaptation du film de Wes Anderson qui paraît en ce début d’année en librairie après une avant-première au nouveau Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. A l’occasion de cette 46e édition du FIBD, l’auteur était à nouveau présent en France, et nous avons pu une nouvelle fois rencontrer un artiste qui, malgré ce qu’il peut dire sur son inconfort face à un public, reste passionnant à écouter. Aujourd’hui, on vous propose de découvrir notre nouvelle interview de l’auteur, où l’on revient sur Tokyo Kaido et L’Île aux chiens !


Minetarô Mochizuki, merci d’avoir accepté cette interview et d’être de retour en France. Depuis votre précédente venue dans notre pays, on a pu découvrir Tokyo Kaido. Vous souvenez-vous comment vous avez imaginé cette série ?

Minetarô Mochizuki : J’ai conçu Tokyo Kaido à une époque où j’avais des difficultés à bien me poser dans la distance avec les autres, où je ressentais un inconfort dans la vie par rapport à mon entourage. Il est vrai que quand on conçoit un manga, en fin de compte on ne sait pas exactement ce qu’il deviendra, mais en tout cas c’est un moment où je prenais conscience de la situation de la société au Japon. C’est quelque chose dont j’ai pris conscience après coup. Par exemple, on remarquait beaucoup de discours incitant à la haine sur internet, entre autres choses. Je sentais qu’au Japon montait une sorte de déni ou de refus de la diversité.

  
  

Tokyo Kaido aborde des thèmes que l'on retrouvera ensuite dans Chiisakobe, autour de l'apparence, de la difficulté de communiquer, de ce qui est considéré comme normal ou non... En quoi ces thèmes vous tiennent-ils à cœur, en dehors de ce que vous venez de dire ?

Je pense que le choix de ces thèmes s’explique effectivement par les propres difficultés, l’inconfort que je ressentais dans la vie. Constamment je sens que les relations avec l’entourage c’est quelque chose de très difficile. C’est d’ailleurs ce que je ressens encore là, maintenant.


Visuellement, vous montrez comment ces jeunes ayant des troubles du cerveau voient le monde, et ce dès le début : Mari voit des chiens avec une laisse en l'air sans personne au bout parce qu'elle ne calcule pas les humains, ne voit personne au volant des voitures qui circulent, voit des verres se soulever seuls, puis Hana se retrouve à se masturber en public à côté d'un homme gêné... Comment vous est venu ce principe, ce désir de montrer ainsi la façon dont ces jeunes voient ce qui les entoure ?

C’est par leur différence que ces personnages prennent forme et sont identifiés. Il y a vraiment une espèce de trouble, d’oscillation  dans cette infirme différence qu’ils ont par rapport aux autres, et c’est comme ça que leur situation est mise en place. C’est vraiment cette oscillation que je voulais montrer. Je voulais vraiment traiter de la frontière entre ce qui est de l’ordre de l’originalité et ce qui est de l’ordre du pathologique. Comme j’ai montré ça tel quel, j’espère que les lecteurs ont pu ressentir ce balancement entre les deux.
  
  

On note déjà dans la série un fort souci du détail, des objets, des gestes... mais aussi un gros travail de mise en scène, où vous jouez sur les angles, en plongée ou contreplongée, en mettant au premier plan certains parties du corps en particulier (jambes, têtes, bras...), ou en plaçant notre regard par dessus les personnages, voire juste à côté de leur tête comme s'ils avaient une caméra derrière l'épaule. Des éléments posant déjà les bases du style de Chiisakobé. Comment avez-vous développé et réfléchi toutes ces idées de mise en scène ?

Effectivement, à partir de Tokyo Kaido, c’est comme s’il y avait une caméra en moi, comme si j’avais une caméra interne qui va choisir de faire tel plan en grand angle, tel plan en macro… Tout ça pour exprimer les troubles, les angoisses, les oscillations dont je parlais tout à l’heure. Ces expériences faites dans Tokyo Kaido m’ont permis de comprendre quels effets ces détails pouvaient produire pour Chiisakobe.
  
  

Le look des personnages est aussi très travaillé. Avec ses grosses lunettes et sa dent manquante, Mari a l'air toujours contente vu qu'elle n'a pas conscience de ce qui l'entoure et qu'elle est dans son monde. Persuadé d'être un surhomme, Hideo se promène avec une cape. Hashi se cache derrière une mèche. Quant à Hana, on retrouve en elle la pointe d'érotisme presque fétichiste que vous aimez glisser depuis Maiwai. Comment avez-vous imaginé ces looks, et que représentent-ils pour vous ?

En fait, quand je crée!es personnages je commence par les détails. Et ensuite, à partir de ces détails, je vais peu à peu leur donner forme. Ce style de personnage m’est inspiré par des films, des romans que j’apprécie, parfois il m’arrive même de reprendre des personnages un petit peu tels quels et c’est un petit peu limite, mais je fais ça tout à fait innocemment. Après, c’est aussi parce que je veux que les lecteurs puissent ressentir ces personnages sans qu’il y ait besoin d’ajouter des explications, c’est pour ça que pour moi le détail est quelque chose de très important.


Du coup, avez-vous des exemples de personnages que vous avez repris ?

Il y a par exemple les personnages de Wes Anderson que j’adore, qui sont un peu dans d’autres œuvres que j’ai dessinées. Après, j’aime beaucoup aussi le cinéaste John Waters, que j’ai dessiné lors de la scène du bus dans Tokyo Kaido. J’aime beaucoup disperser ça et là mes artistes fétiches, mais de manière à ce qu’on ne se s’en rende presque pas compte.
  
  

Puisque vous évoquez Wes Anderson, parlons désormais de votre nouvelle œuvre. L'année dernière on vous a retrouvé au Japon sur un projet surprenant, qui sort en France chez le Lézard Noir cette année : L'île aux chiens, la version manga du film éponyme du cinéaste américain Wes Anderson, qui à titre personnel est l’un de mes cinéastes préférés depuis une quinzaine d’années. Comment vous êtes-vous retrouvé sur cet alléchant projet ?

Quand on m’a proposé ce projet, j’ai hurlé de joie tellement j’étais content (rires). Moi aussi j’adore Wes Anderson. La proposition est venue du côté de Wes Anderson, et vu que j’étais un fan de longue date de Wes Anderson j’en dansais presque de joie et j’ai dit oui tout de suite. Je tenais à le faire.


Savez-vous comment Wes Anderson a connu votre travail ?

Je ne sais pas (rires).
  
  
  
Vous venez de nous le dire, vous étiez déjà fan de Wes Anderson avant. Qu'aimez-vous particulièrement chez lui ?

C’est assez difficile de répondre parce que j’aime tout chez lui (rires). Mais pour revenir au sens du détail dont on parlait juste avant, je trouve que chez Wes Anderson, quand on est face à une scène on voit tout de suite quel genre d’humain est la personne en face de nous. On comprend tout de suite quel genre de personnage c’est, et j’adore ça.


Quel fut votre 1er ressenti en voyant le film ? Qu'est-ce qui vous a le plus plus dans ce film si unique en son genre ?

J’ai tellement aimé ce film que c’est difficile de lister tout ce qui m’a plu. En tout cas, tout simplement, j’ai été impressionné quand j’ai vu le film. Il a toute la construction de l’imagerie qui est exceptionnelle. Mais tout m’a plu dan dans ce film. Ce n’est pas une réponse digne d’un créateur, désolé (rires).
  
  

Avec ce manga on vous retrouve sur un travail d'adaptation, qui plus est de film. Qu'est-ce que ça a changé dans votre façon de travailler ?

Je ne sais pas si quelque chose de particulier a changé dans ma façon de travailler, mais en tout cas je peux dire que c’était vraiment difficile. Déjà, un film en prises de vue réelles serait difficile à adapter, mais là en plus on était dans un film en stop motion, un style très difficile à mettre en images.


Votre manga a un style visuel et un ton qui paraissent très fidèles au film d'origine, mais en même temps on y reconnaît immédiatement votre patte. Comment avez-vous procédé pour vous imprégner aussi bien du film ?

En fait, c’est vraiment comme ça que j’ai vu le film de Wes Anderson, c’est comme ça que je l’ai interprété. Evidemment, j’avais peur du regard des autres, de comment les gens allaient l’appréhender, mais moi je veux juste dire que c’est comme ça que j’ai vu son film. Je pense que vu que Wes Anderson a des fans vraiment hardcores, ils allaient sûrement me gronder en voyant mon manga. D’ailleurs, moi-même, quand un manga que j’aime est adapté au cinéma en prises de vue réelles, je vais dire « mais non, c’est pas ça », et je me mets en colère aussi (rires). A l’origine le manga ne devait pas avoir autant de chapitres. Et encore, là il n’y a qu’une partie du film qui est adaptée, mais quand j’ai commencé ce projet je ne pensais pas que ça deviendrait un livre à part entière.
  
  

Avez-vous été en contact direct avec Wes Anderson ou d'autre membres de l'équipe du film ? Vous ont-ils aiguillé pour la conception de ce manga ?

Wes Anderson a un ami et créateur japonais, Kunichi Nomura, qui joue régulièrement dans ses films même s’il n’est pas acteur professionnel, avec qui il est très proche, qui a contribué à l’idée originale de L’Île aux Chiens, et avec qui il est en contact régulier par téléphone. Dans The Grand Budapest Hotel, le précédent film d’Anderson, il apparaît au début. Pendant l’avancée du projet, ça passait toujours par lui. Il me disait des choses du style « M. Anderson a cette idée très claire en tête et voudrait la voir dans le manga ». En somme, il me disait les envies de Wes Anderson. Il a fait le lien entre nous.


Vu que le manga n’a duré que 4 chapitres, vous avez dû faire des coupures par rapport au film. Y a-t-il des raisons précises pour lesquelles vous avez choisi certaines scènes et pas d’autres ? Vous êtes-vous senti frustré parfois ?

Je savais dès le début que je ne pourrais pas tout mettre en scène en manga. Je me suis concentré sur l’histoire entre Chief et Atari. Je me suis dit que ce serait mieux de procéder comme ça. Mais je me suis bien amusé à le faire !
  
  

Interview réalisée par Koiwai. Remerciements à Minetarô Mochizuki, à Miyako Slocombe en sa qualité d’interprète, au Lézard Noir pour la mise en place dans cette rencontre, et au FIBD pour les locaux.