MIZUNO Junko - Actualité manga

MIZUNO Junko 水野純子

Interview de l'auteur

Publiée le Lundi, 10 Novembre 2014

Bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Pour commencer, pouvez-nous dire d'où vous est venue l'envie de devenir mangaka ?

Dès l'âge de 2 ou 3 ans, j'ai commencé à dessiner des choses qui ressemblaient à du manga. Petit à petit, j'ai commencé à inventer des histoires avec du texte, des dialogues, même s'il n'y avait pas encore de structure en cases.
A l'âge de 5 ans, je me voyais déjà dessinatrice professionnelle !
Vous vous êtes très rapidement distinguée par votre style graphique à part dans la production manga.



Quelles ont été vos influences ?

Difficile à dire, il y en a eu tellement !
Pour vous dire les choses succinctement, jusqu'à l'âge de 12-13 ans j'étais surtout influencée par les shôjos, ainsi que par les créations de la marque Sanrio, à l'origine d'Hello Kitty.
Par la suite, j'ai commencé à m'intéresser aux artistes étrangers, des illustrateurs mais aussi des plasticiens, de toutes les époques.
C'est vraiment à ce moment-là que je me suis ouvert au monde.




Est-ce à cette époque que vous avez décidé de vous intéresser à l'illustration, plus qu'au manga ?

Quand j'étais petite, outre le dessin, je fabriquais plusieurs choses, comme des poupées ou leurs maisons. Jusqu'à l'âge de 10 ans, mon objectif était de travailler dans le manga, et à l'époque les mangakas n'étaient pas des touche-à-tout.
A cette âge-là, j'ai présenté pour la première fois mes travaux à une revue de prépublication, le Ribbon de la Shueisha, qui présentait les travaux de ses lecteurs dans ses dernières pages, puis dans le Lala à deux reprises ensuite.
Les comité éditoriaux de ces magazines prenait le temps de répondre à chaque artiste en herbe. J'ai ainsi essuyé mes premiers refus, très polis ceci dit.
Et même si je n'étais qu'une enfant, je me suis dit que je n'étais pas faite pour raconter des histoires. Je me suis donc tourné uniquement sur le dessin, pour devenir illustratrice.
Dix années plus tard, j'ai repensé aux créations de mon enfance, et je me suis dit qu'elles pouvaient également me servir dans le cadre de mon travail.
J'ai donc également repris goût à la création d'objets de toute sorte.


Comment avez-vous réussi à percer dans le monde du design ?

On m'a rapidement fait des propositions pour réaliser, par exemple, des T-shirts ou des pochettes de CD.
Ma première publication ne s'est pas effectuée dans un revue de prépublication manga, mais dans un magazine qui traitait de mode et de culture.
Dès mes débuts, j'ai donc été considérée comme une artiste polyvalente.




Vous mélangez avec brio les styles mignons et morbides. Avez-vous été influencée par des œuvres horrifiques ? D'où vous vient cette envie de relier ces ambiances si différentes ?

Comme je l'ai évoqué tout à l'heure, j'aimais beaucoup les productions très mignonnes de la marque Sanrio. D'un autre côté, j'étais également attirée par les films d'horreur, ainsi que par les mangas de Kazuo Umezu.
Ma mère me les interdisait, mais j'allais les lire chez des amis ! J'ai toujours apprécié les choses extrêmes, que ce soit dans le mignon comme dans l'horreur, ainsi que tout ce qui porte sur le fantastique.
Alors qu'à côté, les histoires d'amours adolescentes m'ont toujours laissée de marbre.
Après, ce mélange des genres n'est pas le fruit d'un choix construit et réfléchi, c'est juste le reflet de ma personnalité, de mes goûts et de mes envies spontanées.
J'aime aussi parler de nourriture, d'humour, l'absurde,... et tout cela se reflète aussi dans mon travail.


En France, nous vous avons connu via l'adaptation de contes classiques (Cinderalla, Hansel et Gretel, La petite sirène). Pourquoi vous êtes-vous plongée dans cet univers ?

Ces trois projets sont issus d'un travail de commande suggéré par mes éditeurs de l'époque. Ce n'était donc pas une idée qui m'est venue spontanément, même si j'ai toujours aimé l'univers des contes et légendes du monde entier. Comme toutes les petites filles, j'en ai lu pendant mon enfance et cela fait aussi partie de moi, quelque part.




Pensez-vous que Ravina the witch est dans la même mouvance, bien qu'étant une histoire originale ?

Je n'y avais pas vraiment pensé sous cet angle. Avec ce projet, je voulais raconter une histoire pour adultes, mais sous la forme d'un livre pour enfants.
L'intrigue est simple, mais je l'ai nourrie d'éléments très personnels, qui me touchaient particulièrement. Mais peut-être qu'effectivement, cette démarche peut se rapprocher de la réinterprétation des contes que j'ai faite autrefois.


Avec le recul, comment considérez-vous ce dernier ouvrage ? Aimeriez-vous retoucher à certains éléments ?

Pour moi, cette histoire était un nouveau défi, dont le lancement coïncidait avec mon déménagement aux Etats-Unis en 2009.
J'ai travaillé dessus pendant plusieurs années. C'est aussi le premier projet où réalisé la coloration à la main, ayant toujours travaillé sur ordinateur pour mes travaux précédents.
J'ai assez peu de souvenirs des moments où j'étais concentré dessus, mais aujourd'hui je suis plutôt fière du résultat final.




Et de son adaptation également ?

Oui, d'autant qu'il s'agit d'une exclusivité française ! (c'est à l'origine un projet commandé par Soleil, ndlr) Mais les versions anglaises et japonaises sont en cours de discussion.


Dans la plupart de vos récits, nous retrouvons des héroïnes aux caractères forts, mais que vous représentez souvent nues. La nudité est-elle là pour évoquer une forme de faiblesse, au contraire de liberté, ou simplement pour apporter un côté sexy ?

J'ai toujours aimé dessiner des femmes nues ! Dans mes œuvres, j'essaie de représenter un monde idéal, où le fait qu'une fille se promène torse nu n'est pas plus choquant que si c'est un homme qui le fait. Bien sur, c'est un idéal, dans la réalité la police interviendrait rapidement ! (rires)

Quand je dessine une femme nue, ce n'est donc pas pour l'aspect sexy, mais pour montrer sa beauté, sa féminité.
Pour moi, il s'en dégage une forme de puissance, que j'ai envie de mettre en avant.
Vous présentez un portrait de l'être humain qui n'est pas toujours très tendre.

Pensez-vous que ce monde est difficile ?

J'essaie de donner une vision tempérée du monde, avec des aspects sombres et cruels, mais aussi avec des choses merveilleuses. On retient souvent de mon travail le premier aspect, alors que mon intention première est de nuancer tout ça.


 

Cet automne, nous découvrons également le second tome de Pilou, apprenti Gigolo. Pouvez-nous nous parler de ce titre, de ce qu'il représente pour vous ? Avez-vous modifié votre manière de travailler, pour cette série qui sort du registre de vos one-shots habituels ?

La série s'est terminée au Japon depuis une dizaine d'années, donc j'ai un peu de mal à me rappeler de sa conception. Sur mes expériences précédentes, j'étais publiée à un rythme de l'ordre de deux pages par mois, et pour cette série j'ai du passer à seize. Cela peut sembler peu comparé à d'autres mangakas plus prolifiques, mais pour moi cela représentait un changement colossal ! Mais finalement, ce projet m'a offert beaucoup de confiance en moi, même si quelques soucis de santé sont apparus à ce moment-là et m'ont quelque peu freinée dans mon élan.


Merci beaucoup pour ces réponses !


Merci aux éditions Soleil et à Aurélien Estager pour la traduction.


Entretien réalisé en octobre 2014.