MASE Motoro - Actualité manga

MASE Motoro 間瀬元朗

Interview de l'auteur

A l'occasion du Salon du livre, nous avons eu le plaisir d'interviewer Motorô Mase, l'auteur d'Ikigami, Préavis de mort. Compte rendu!
 

 

Manga-news: Motorô Mase, merci beaucoup d'avoir accepté cette interview. Avec quelles oeuvres, dans le manga ou le cinéma, avez-vous grandi ? Certaines d'entre elles vous ont-elle influencées ?
Motorô Mase: Du côté des mangas, je n'en ai presque pas lus quand j'étais petit, mais je me souviens avoir été très marqué par la lecture d'Akira, de Katsuhiro Otomo, lorsque j'étais à l'école primaire. A la base, je souhaitais devenir réalisateur de films, et c'est pour ça que je suis rentré dans une école de cinéma. A l'époque, je savais déjà dessiner, mais c'est dans cette école que j'ai réellement appris à raconter des histoires. C'est suite à cela que j'ai eu envie de devenir mangaka. On peut donc dire qu'il n'y a pas véritablement de manga m'ayant influencé.
En ce qui concerne le cinéma, beaucoup de films m'ont laissé une forte impression, et c'est pour cela qu'il est difficile de dire lesquels m'ont influencé, mais si je dois en citer quelques-uns, je citerais des oeuvres comme Vol au-dessus d'un nid de coucou. Et surtout, je suis un grand amateur des films de Ridley Scott, comme Blade Runner.




En France, nous vous avons découvert avec Heads, adaptation en manga d'un roman de Keigo Higashino. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'adapter en manga ce roman ?
A la base, c'est mon éditeur qui m'a proposé d'adapter cette oeuvre en manga. Jusqu'à ce moment-là, je n'avais pas lu attentivement de livres de Keigo Higashino, et c'est à partir du moment ou l'éditeur m'a proposé cette adaptation que j'ai commencé à me pencher sur ce roman, que j'ai trouvé très intéressant, et qui me donnait l'impression de correspondre parfaitement à moins univers graphique. J'ai donc accepté la proposition de l'éditeur d'adapter ce roman.




Parlons à présent d'Ikigami, votre série phare. Comment vous est venu le concept de la série ?
Deux éléments m'ont inspiré pour faire cette histoire.
Premièrement, en 2001, j'ai vu à la télévision les images de l'attentat du 11 septembre. Je voyais des milliers de personnes mourir sur les écrans de télévision, je savais que c'était grave, mais le fait de voir cela à la télévision ne me donnait pas la sensation que ça se passait réellement. Je voyais les images, mais je ne ressentais pas les évènements comme quelque chose que je vivais moi-même. C'est à partir de ce moment-là que j'ai trouvé assez dangereux de ne pas pouvoir ressentir ce que les victimes ressentaient derrière l'écran. C'est ainsi que j'ai eu envie de raconter une histoire permettant de réfléchir sur la vie et la mort.
Deuxièmement, il y avait pendant la deuxième Guerre Mondiale ce que l'on appelait akagami, le "papier rouge", qui était une lettre sommant à des civils de devenir soldats pour partir à la guerre. J'ai changé l'époque en me demandant: si jamais cela arrivait aujourd'hui, comment réagiraient les personnes concernées ?


Ikigami est intéressant sur plusieurs aspects, à commencer par le travail apporté aux réactions souvent très différentes des personnages recevant l'ikigami et à leur entourage, et l'aspect totalitaire du gouvernement empêchant toute vraie rébellion. Quel aspect vous tient le plus à coeur, lequel souhaitez-vous développer le plus, et pourquoi ?
C'est parce que je souhaitais raconter un peu ce que pouvait être la vie que j'ai voulu faire cette oeuvre. Au départ, je souhaitais présenter les sentiments de personnages qui n'avaient plus beaucoup de temps à vivre tout en mettant en avant la valeur de la vie. Mais petit à petit, j'ai trouvé qu'il était intéressant de montrer la contradiction que l'on peut trouver entre l'Etat et l'individu: ici, les individus sont tués au nom de l'Etat ou pour le profit de l'Etat, mais il y a évidemment une grande contradiction qui m'a donné envie de développer de plus en plus cet aspect social qui ne demandait qu'à être mis en avant dans mon manga.




Justement, parlons un peu de la psychologie des personnages. Certaines victimes de l'ikigami sont désespérées par leur future mort, d'autres y voient le salut ou l'acceptent avec honneur, d'autres encore parviennent à redonner un sens à leur vie à partir du moment où ils le reçoivent, comme le chanteur Tsubasa Tanabe qui comprendra l'importance qu'avait pour lui son amitié avec Hidekazu. En présentant autant de cas différents, quel message souhaitez-vous faire passer ?
Si je devais dégager un message, ce serait le fait que le temps n'est pas limité, que celui-ci en arrive vite à nous manquer, et qu'il faudrait se rendre compte de ce que nous pouvons améliorer ou changer dans notre vie. Mon principal message est une invitation à considérer avec plus d'attention cet état de fait.


Au fil des 7 volumes parus en France, Fujimoto se pose de plus en plus de questions quant aux bienfaits de la loi de prospérité nationale, mais lui reste encore fidèle. Vous-même, si vous étiez à sa place, comment pensez-vous que vous réagiriez ?
Je pense que je réagirais un peu comme Fujimoto. L'histoire n'est pas encore terminée donc va encore se développer, et Fujimoto va donc être amené à changer, mais pour le moment, je dois avouer que je m'identifie assez à lui.




En observant  la façon de réagir du personnage de Fujimoto, mais également le peuple assagi comme un troupeau de moutons à cause de la menace de l'ikigami et de cette loi très stricte, il paraît difficile de se rebeller contre une telle injustice. Vous-même, qu'en pensez-vous ?
Effectivement, il me paraît extrêmement difficile de se révolter lorsque l'on est à l'intérieur d'une société totalitaire. Beaucoup de personnes veulent changer les choises, mais au final il y en a très peu, peut-être une sur cent, qui arrivent à agir véritablement. Dans tous les cas, je ne souhaitais absolument pas décrire un héros, et voulais plutôt montrer une sorte de monsieur toulemonde, pour que les lecteurs puissent s'y identifier plus facilement, car finalement, je pense que la majorité des personnes sont comme Fujimoto, et que ce dernier peut, en quelque sorte, leur servir de guide pour qu'ils puissent entrer plus facilement dans cet univers. On voit donc un personnage qui a envie de plus en plus envie de changer les choses, mais qui ne parvient pas à se rebeller totalement, et c'est exactement ce que je souhaitais montrer ici.


Et si l'on vous remettait un ikigami, comment pensez-vous que vous réagiriez ?
Cela voudrait dire que je mourrais dans 24 heures... (Motorô Mase se met à rire) Dans ce cas, je pense que les trois dernières heures de ma vie, je les passerais à boire, pour être dans un état qui me permettrait d'oublier tous mes soucis et, surtout, d'oublier la peur de mourir bientôt !
 
 
Interview réalisée par Koiwai. Remerciements à l'auteur, au traducteur et aux éditions Kazé Manga.