MILHAUD Olivier - Actualité manga

Interview de l'auteur

Publiée le Vendredi, 08 Mai 2015

A l'occasion de la sortie du global manga Angélique chez Casterman, nous avons eu le privilège de rencontrer Olivier Milhaud et Dara, respectivement scénariste et dessinateur de cette remise au goût du jour de la saga romanesque créée par Anne Golon. Au cours de cet entretien, nous sommes surtout revenus sur la genèse de ce projet, en découvrant les différences fondamentales entre cette nouvelle version de l'oeuvre et celle que le grand public connait, au travers de ses nombreuses adaptations cinématographiques. Oubliez tout ce que vous savez sur la Marquise des Anges !


 
  
Comment avez-vous rejoint ce projet d'adaptation d'Angélique en global manga ?
Oliver Milhaud : J'ai été contacté le premier, par le coordinateur à l'origine du projet, Nicolas Forsans. Lorsqu'il m'a présenté cette idée, j'étais plutôt sceptique au premier abord : Angélique, c'est quelque chose d'assez sacré, tout le monde a en tête les films des années 1960. Mais je me suis mis à lire les romans originaux, et j'ai finalement été convaincu. Je l'ai donc rappelé pour rejoindre cette nouvelle adaptation. En revanche, le projet initial devait partir sur une bande-dessinée réaliste, au format classique. Mais vu l'aspect feuilleton des romans, j'ai suggéré le format manga, dont le découpage est plus approprié, qui permet quelques digressions et de bien mettre en avant l'intrigue. Quelques semaines plus tard, il avait pris contact avec Dara et organisé une rencontre commune, et nous nous sommes rapidement mis au travail.


 
Dara, comment avez-vous conçu le design de votre Angélique ?
Dara : Avant le projet, je n'avais ni vu les films, ni lu les romans. J'ai commencé à lire le premier tome et j'ai été à mon tour convaincu de l'intérêt du projet. Il m'a aussi semblé plus judicieux de le faire en manga qu'en BD. On imaginait au départ travailler sur un format manga standard, mais le format final s'est décidé un peu plus tard. D'ailleurs, ce format un peu plus grand met davantage le dessin en valeur, j'en suis très satisfait, et pour un dessinateur, c'est très agréable ! (rires)
  
Concernant la création du personnage, la principale difficulté était de la représenter à plusieurs époques de sa vie. Le récit débute alors qu'elle est une enfant, mais dès le tome 2, elle est déjà une adolescente de 14 ans et deviendra vite une adulte. Il fallait assurer une continuité entre les étapes de sa vie, sachant que le récit accorde une certaine importance à ses coiffures qui varient beaucoup. Or, c'est souvent l'élément le plus caractéristique d'un personnage ! (rires)
  
Nous mettrons peut-être un jour dans un album les premières versions de son design, qui s'est affiné au fil des prototypes, notamment au niveau des yeux, et les cheveux ont été rallongés. Et ses robes sont de plus en plus échancrées, mettant son corps en valeur ! (rires)
 
Oliver Milhaud : L'époque le voulait aussi, ce n'est pas qu'une obsession graphique, même s'il m'arrive dans les storyboards de mettre la mention « Shot boobies » ! (rires) Cela dit, ce n'est pas que du fan-service, cela permet de mettre en avant les codes de l'époque...
  
L'introduction de l'histoire est assez surprenante. Était-ce une obligation de débuter ainsi ?
Oliver Milhaud : Oui, nous avons nous-mêmes été surpris à la découverte du roman original. Nous avons été surpris par la richesse de l'histoire, et cette introduction dénature complètement l'image que l'on peut avoir d'Angélique au travers des films de Borderie. On n'est pas dans les gentils batifolages avec Nicolas au bord de la rivière, loin de là... Mais c'est la dure réalité du XVIIème siècle. C'est même cette introduction qui m'a le plus donné envie de me lancer dans cette adaptation. Cependant, malgré la gravité des faits, nous avons tenu à ne rien montrer d'explicite, nous ne faisons qu'évoquer, pour ne pas flatter les bas instincts de certains lecteurs.
 
Dara : Nous avons présenté cette scène sans complaisance, mais elle reste intéressante car représentative de son époque et qu'elle marque la psychologie d'Angélique, renforçant son caractère pour faire face aux mœurs de son temps.
   

 
Du coup, quel est le lectorat visé par cette adaptation ? A partir de quel âge peut-on le lire ?
Oliver Milhaud : A partir du début du collège, mais nous avons fait en sorte que cela reste pour tout public. Nous espérons que les garçons comme les filles s'y intéressent, mais aussi toucher les adultes voire même les personnes plus âgées, qui pourraient être sensibles à cette histoire. Après, effectivement, ce sera plus compliqué pour les plus petits, mais en même temps, on a tendance à sous-estimer leur rapport au monde. Ils voient malgré tout des images dures tous les jours, mais parviennent à dédramatiser par eux-mêmes. D'ailleurs, c'est la même chose pour Angélique, qui est confrontée à une réalité très difficile dès son plus jeune âge, mais qui reste malgré tout très optimiste.
   
Avez-vous fait des recherches documentaires pour reconstituer le contexte de la série ?
Oliver Milhaud : Pour ma part assez peu, car le roman est déjà très fourni en descriptions. J'ai simplement levé quelques incertitudes sur certains mots de vocabulaire, mais rien de plus. Contrairement à Dara qui a eu beaucoup plus de travail !
  
Dara : En effet, des détails pouvant paraître simple comme les coiffures m'ont demandé un certain nombre de recherches. Cependant, il fallait trouver le juste milieu entre la véracité historique et l'efficacité narrative, pour ne pas rebuter le lecteur. Par exemple, à l'époque,l'hygiène dentaire laissait largement à désirer, mais c'est un élément que j'ai « étrangement » mis de côté ! (rires)
 
Internet a grandement facilité mes recherches, mais j'ai aussi pris conseil auprès d'amis costumiers pour des théâtres, qui m'ont fourni des livres géniaux sur le sujet. Après, il ne fallait pas se perdre dans les nombreuses anecdotes sur l'époque, sur la manière de manger par exemple,... Quoiqu'il en soit, c'était un très bon exercice, assez différent de ce que j'ai pu faire par le passé.
   
 

Pour reparler du vocabulaire, comment avez-vous décidé du niveau de langage employé ? On retrouve aussi quelques expressions provinciales, n'est-ce pas un risque de perdre certains lecteurs ?
Oliver Milhaud : Au départ, j'ai fait quelques essais avec un langage plus contemporain, mais ça n'était pas du tout efficace. Cela s'intégrait mal, et on ne ressentait pas les différences sociales entre les personnages. Utiliser un langage plus daté et plus soutenu peut paraître feint et désuet, mais cela contribue à l'esprit du livre ainsi qu'à l'intégration dans un contexte purement français.
  
Du coup, le titre va-t-il avoir des difficultés à s'exporter ?
Didier Borg (éditeur de la série, ndlr) : Non, parce que le propre d'une traduction c'est de retranscrire un texte, une idée. Après, ce sera la responsabilité des éditeurs étrangers et des adaptateurs de mettre en avant telle ou telle différence sociale, ou de retranscrire de manière plus moderne. 
 
Oliver Milhaud : Et puis, nous avons tenu à rester malgré tous compréhensibles, malgré l'emploi de certains termes un peu ardus.
   
Les droits de l'oeuvre d'origine ont-il été difficiles à obtenir ?
Didier Borg : L'auteure, Anne Golon, a apprécié et adoubé tous les éléments narratifs et scénaristiques au fil de l'avancée du projet. Ce n'était pas non plus un processus de validation continu, mais d'acceptation de ce qui a été effectué.
Oliver Milhaud : Nous avons aussi beaucoup échangé avec la fille de la romancière, qui a pu nous conseiller sur certains points, des aspects de caractère et de comportements sous-entendus dans le roman original, par exemple.
  
  
La série va être publié à un rythme assez soutenu pour un projet français, avec deux tomes de 200 pages par an. Comment vous êtes vous organisé pour tenir le rythme ?
Dara : Je travaillais déjà à un rythme soutenu pour Appartement 44, donc je suis plutôt habitué à cette cadence. Mais c'est très stimulant d'avoir un éditeur prêt à publier notre travail alors qu'il vient d'être réalisé, parfois il y a beaucoup plus d'attente avant de voir notre travail en librairie.
 
De plus, je travaille avec deux assistantes, l'une pour les décors, l'autre pour les trames, ce qui me permet de me concentrer sur la mise en page et sur les personnages. Pour les décors, je les réalise une première fois moi-même, afin que mes assistantes aient une base de travail pour les refaire sous différents angles.
  
Oliver Milhaud : Dara et moi communiquons par mail, et c'est aussi par ce biais que je lui envoie le scénario. Il y a parfois quelques retouches lors de la réalisation des planches, mais généralement tout se passe très bien. 
  
Dara : J'avais déjà travaillé avec un scénariste, mais c'est la première fois avec Olivier, et en effet tout se passe très bien, nous sommes sur la même longueur d'onde.
  
   
Comme nous l'évoquions plus tôt, l'histoire va avancer assez rapidement. Comment évolue-t-elle par rapport au roman ?
Oliver Milhaud :  Il faudra environ entre deux et deux tomes et demi du manga pour couvrir un volume du roman. D'ailleurs, nous pouvons vous confirmer qu'Angélique rencontrera Joffrey de Peyrac dès le troisième volume !

  
  
Comment conseillerez-vous la série à un public âgé ?
Oliver Milhaud :  « Vous retrouverez votre jeunesse ! » (rires)
Non, plus sérieusement, je pense que cette histoire est en résonance avec notre société actuelle. Angélique est une jeune fille, enfermée dans un carcan social très difficile, qui s'en sort comme elle peut. On retrouve aussi tout le contexte des guerres de religion, l'exclusion latente des protestants, des huguenots,...
 
Dara : Je dirais pour ma part que c'est l'occasion de redécouvrir l'histoire d'Angélique telle qu'elle a été imaginée à l'origine, loin de l'image que nous renvoient les films. 
 
Oliver Milhaud : En effet, on retrouve toute son enfance, qui était absente dans les films, et l'on va suivre son évolution pas à pas, avec sa force de caractère qui lui fera affronter les pires obstacles.
  
  
C'est une Angélique version shônen nekketsu, en quelque sorte !
Oliver Milhaud :  C'est ça ! D'ailleurs au départ, nous étions parti sur une ambiance plus axée shôjo, mais ça ne fonctionnait pas du tout.
 
Dara : Nous dérivions peu à peu dans une mise en scène grandiloquente, façon shôjo années 70. Même les japonais ne font plus ça aujourd'hui ! Nous aurions pu nous en servir pour faire du second degré, mais nous avons voulu éviter cet écueil, car Angélique a déjà une connotation un peu « kitsch » apportée par les films.
 
Remerciements à Oliver Milhaud, Dara, ainsi qu'à Didier Borg et à toute l'équipe des éditions Casterman.

Mise en ligne le 08/05/2015.