KUSUMOTO Maki - Actualité manga

KUSUMOTO Maki 楠本まき

Interview de l'auteur

A l'occasion du dernier salon du livre, nous avons eu le plaisir de rencontrer Maki Kusumoto, l'auteur de Dolis, qui a bien souhaité répondre à nos questions. Voici le compte-rendu de cette rencontre...
   

 
 
Manga-news: Pouvez-vous nous raconter vos débuts?
Maki Kusumoto: J'ai suivi un parcours classique. J'ai envoyé les planches d'un projet au magazine hebdomadaire Margaret, qui m'a attribué un prix. C'est ce prix qui m'a permis de lancer ma carrière de mangaka au Japon.


Vous avez commencé votre carrière très jeune, vers 16 ans...
C'est exact! A mon époque, débuter à cet âge n'était pas un fait exceptionnel. Mais aujourd'hui, c'est de plus en plus rare...


Vous arriviez à concilier vos études avec votre travail de mangaka?
J'y suis parvenu, mais difficilement! Néanmoins, pour préparer les concours d'entrée à l'université, j'ai arrêté pendant deux ans mon travail de mangaka.


Vous avez étudié la philosophie à l'université. Ces cours vous ont-ils servi dans votre travail de mangaka?
Étudier la philosophie ne m'a pas servi directement pour mon travail, mais ce fut une très bonne expérience!
Malheureusement, j'ai du arrêter mes études à l'université au bout d'un certain temps, car mon travail de mangaka me prenait trop de temps.


Comment ont réagi vos parents face à votre décision d'arrêter vos études?
En fait, mes parents se doutaient que j'allais interrompre mes études... J'étais dans ma septième année de fac alors que mon cursus était censé durer quatre ans...


Vous évoquiez précédemment une pause de deux ans dans votre travail de mangaka... La reprise ne fut pas trop difficile?
Pas du tout, car j'avais énormément envie de dessiner!


Vous avez un style très particulier... Quels sont les artistes qui vous ont influencée?
Il y en a beaucoup! J'ai été très marquée par le travail de l'illustrateur britannique Aubrey Beardsley,  qui a notamment travaillé avec Oscar Wilde. Il est malheureusement décédé prématurément.
  
Ci-dessous: Une illustration de Aubrey Beardsley.
 



Et au niveau des mangakas?
Je peux citer Osamu Tezuka, que je lisais beaucoup quand j'étais jeune.
   



Avez-vous des thèmes de prédilection quand vous écrivez une histoire?
Il n'y a pas de thème central et commun à toutes mes œuvres. Néanmoins, j'aborde souvent la mort dans mes récits, de manière directe ou indirecte. En ce moment, j'aime dépeindre la mort dite «ordinaire», c'est à dire celle qui touche, par exemple, les personnes âgées en fin de vie.


Avez-vous besoin de transmettre un message au travers de vos histoires?
Je n'ai pas vraiment de message précis pour mes lecteurs. Mon but est de créer, et je laisse mes lecteurs libres de faire leurs propres interprétations.


Certains disent que votre style est décadent, dans le sens où il n'est pas vraiment ancré dans la réalité. Qu'en pensez-vous?
Maki Kusumoto réfléchit quelques instants, ndlr
Pourquoi pas? (rires)


Et que pensez-vous de ceux qui assimilent votre œuvre à un courant gothique?
J'aime beaucoup le courant gothique du 16ème siècle. Néanmoins, je ne considère pas mon style comme étant proche du courant gothique, surtout s'il s'agit de celui de ces dernières années, qui se définit plus par une mode vestimentaire.


Vos histoires ont un côté très poétique. Comment arrivez-vous à concilier cette aura poétique avec la notion de mort évoquée précédemment?
Parfois, la mort peut elle-même revêtir une aura poétique... En fait, il est difficile pour moi d'expliquer ce mélange de poésie et de mort, alors qu'il définit un peu mon œuvre.


Mettez-vous une part de vous-même dans vos œuvres?
Lorsque que j'écris, je ne me base pas forcément sur mes propres expériences personnelles. Néanmoins, tout ce que je vis doit forcément influencer inconsciemment mes écrits et est donc en quelque sorte le socle de mon imaginaire créatif.


Dans cette optique, la mort, abordée souvent dans vos œuvres, est-elle un sujet qui vous travaille?
Ce n'est pas un sujet de préoccupation... Pour moi, la mort n'est pas un sujet tabou, et fait partie de la vie quotidienne.


La plupart de vos personnages ont une allure androgyne. Pourquoi ce choix?
Déjà, il faut savoir que les garçons japonais sont souvent fins, et j'aime dessiner mes personnages de façon neutre. Enfin, j'apprécie d'une certaine manière le look androgyne, comme celui de David Bowie par exemple.


Parlons maintenant de Dolis... Comment vous est venue l'idée de l'histoire de ce titre?
Tout le manga Dolis s'est construit à partir de quelques scènes clé que j'avais imaginées de bout en bout. A partir du moment où ces séquences étaient clairement construites dans ma tête, le reste du récit a été pensé plus ou moins facilement.


Mitsu incarne-t-elle pour vous la femme idéale?
En fait, c'est complètement le contraire! (rires)


Mitsu est un personnage très torturé... Avez-vous mis une part de vous-même dans ce personnage?
Un peu... D'ailleurs, on peut dire la même chose pour tous les autres personnages de Dolis, et notamment Kishi, le partenaire de Mitsu.


Quelle part de vous-même avez-vous transmis à Mitsu?
Concernant Mitsu, j'ai du transmettre ce côté narcissique propre à la plupart des femmes, même si chez Mitsu il est exacerbé.

En France nous ne connaissons de vous que Dolis. Les personnages de vos autres œuvres ont-ils le côté torturé propres aux protagonistes de Dolis?
Oui, sans doute! Néanmoins, il faut savoir que Dolis est mon œuvre la plus sombre.


On note la prédominance d'une couleur en fonction des pages de Dolis. Cet état de fait est-il esthétique ou chaque couleur a une signification particulière?
A la base, chaque chapitre de Dolis a été publié dans un magazine à parution mensuelle. Et j'avais choisi une couleur dominante en fonction du mois. Il n'y a pas de signification particulière.


Mitsu est un personnage très difficile à cerner... Pouvez-vous nous en dire plus ce personnage, qui ira jusqu'à s'auto-mutiler?
L'auto-mutilation chez Mitsu trouve peut être son origine dans ce côté excessivement narcissique, qui finit par la ronger. Sans compter qu'elle ne trouve aucune solution à ces problèmes, et qu'aucune personne n'est en mesure de l'aider.


Souvent, l'auto-mutilation est perçue comme un appel de détresse. Or, j'ai l'impression que ce n'est pas le cas pour Mitsu...
Effectivement. La souffrance que procure l'auto-mutilation finit par devenir pour Mitsu une preuve matérielle de son existence.


Avez-vous eu un modèle particulier pour le personnage de Kishi?
Il n'y a pas eu de modèle particulier pour le personnage de Kishi, qui est une totale création.


Vous vivez entre le Japon et l'Angleterre. Qu'est qui vous attache à l'Europe?
Il y a une dizaine d'années, j'ai réalisé que je pouvais faire des mangas quelque soit l'endroit où je vis. Et comme j'avais envie de partir à l'étranger, dans un pays plus ouvert que le Japon, j'ai sauté le pas. Aimant la ville de Londres, c'est tout naturellement que je me suis installée dans la capitale anglaise. Aujourd'hui, j'ai trouvé mon équilibre en partageant ma vie entre Londres et Tokyo.
 

 
 
Quel a été votre parcours après la publication de Dolis?
Après Dolis, j'ai réalisé des œuvres qui n'étaient pas vraiment des mangas. C'est depuis deux ans que je me suis réellement remise au manga, et j'y prends beaucoup de plaisir!


Dolis a été publié au Japon chez l'éditeur Shodensha, connu pour ses auteurs féminins au style particulier. Avez-vous choisi cet éditeur ou est-ce l'inverse?
C'est Shodensha qui est venu vers moi.


Quel est votre rythme de production mensuel? Travaillez-vous seule?
Je réalise environ huit pages par mois. Je travaille seule.


Comment s'organise votre travail sur un mois?
La première semaine est une phase de réflexion. La deuxième semaine est consacrée aux esquisses, la troisième aux dessins que je vais rendre à l'éditeur. La dernière semaine est quant à elle consacrée au repos.


Et lors de ces phases de repos, quels sont vos loisirs?
J'aime me balader à Londres, et notamment le long de la Tamise.


Je vous remercie beaucoup!
Merci!
  
 
Remerciements à Maki Kusumoto, Emmanuelle Philipon, Shoko Takashi et aux éditions Kana.