KAWAMOTO Toshihiro - Actualité manga

KAWAMOTO Toshihiro 川元利浩

Interview de l'auteur

Début février, Paris Manga accueillait un grand nom de l'animation : Toshihiro Kawamoto, chara designer de Cowboy Bebop, Wolf's Rain ou encore Golden Boy, et co-fondateur du studio Bones. Fort d'une vingtaine d'années dans le métier, M. Kawamoto est revenu volontiers sur son parcours, sur ses méthodes de travail, sur ses envies et ses prises de conscience, au fil d'un entretien réalisé conjointement avec Total-Manga.
 

 
Toshihiro Kawamoto, merci d'avoir accepté de répondre à nos questions. Comment en êtes-vous venu à travailler dans le monde de l’animation?
Toshihiro Kawamoto : En regardant des oeuvres d'animation datant de quelques années avant mon arrivée dans le métier, j'ai constaté que certains auteurs et animateurs en particulier me plaisaient beaucoup, et c'est leur travail qui m'a donné envie de me lancer dans ce milieu.


Quels artistes ou oeuvres en particulier ?
Nausicaa de la vallée du vent de Hayao Miyazaki, Mamoru Oshii et son film Urusei Yatsura – Beautiful Dreamer, Shôji Kawamori qui est à l'origine de la majeure partie de la saga Macross. Aujourd'hui, ce sont tous des grands noms, chez lesquels j'ai pu puiser des ressources afin de me lancer.


Après quelques années passées au sein du studio Sunrise, vous avez été approché par Masahiko Minami, collègue chez Sunrise, pour fonder le studio Bones en 1998. Comment avez-vous été convaincu de vous lancer dans cette aventure ?
Le fait de travailler tous les deux chez Sunrise nous a rapprochés dans un premier temps.
A l'époque, il était difficile de concevoir l'idée d'une cellule autonome qui permettrait de mettre en avant l'animation faite pour les puristes, tout en s'inscrivant dans les moyens d'aujourd'hui. Nous avons donc commencé par discuter des différents problèmes que nous pourrions rencontrer, comme le passage à l'animation numérique, et ces conversations devinrent de plus en plus prenantes, si bien que nous en sommes arrivés à nous proposer mutuellement de créer notre propre studio.
Pour créer Bones, nous nous sommes également rapprochés de l'animateur Hiroshi Osaka. C'est grâce à notre union à tous les trois que le studio Bones a pu voir le jour.


Bones a aujourd'hui 14 ans d'existence, et est à l'origine de nombreux animes populaires en France. Si vous deviez définir les particularités,  les points forts du studio, quels seraient-ils ?
C'est une question intéressante, car au Japon on n'a pas vraiment l'habitude de raisonner par points forts ou points faibles. De ce fait, j'avoue qu'il est très difficile pour moi de répondre, mais je vais essayer. Cela dit, la réponse risque de ne pas répondre pleinement à la question (rires).
Au sein de Sunrise, la difficulté était de pouvoir être autonome et d'apporter de l'originalité. Il y avait évidemment de la passion dans notre travail, mais aussi et surtout des difficultés de ce genre, difficultés qui existent toujours aujourd'hui dans le milieu de l'animation. Et à partir de là, il pouvait être périlleux de toucher les spectateurs. Par exemple, Gundam, la plus populaire saga du genre mecha, me demandait tellement d'énergie que, dans les moments de faiblesse, je pouvais oublier en route certains critères importants de mon travail. Ca tuait l'autonomie ou l'originalité.
La création du studio Bones a permis de remédier à ce type de problèmes tout en continuant à avancer à notre rythme.


Masahiko Minami à Japan Expo 2009


Vous avez été chara designer sur des séries adaptées d’œuvres déjà existantes (Golden Boy, The Cockpit...), mais aussi sur des oeuvres originales (Wolf's Rain...). Quelles sont, entre ces deux cas,  les différences majeures dans votre manière d'aborder le travail ?
A mon avis, la principale différence est la plus grande liberté sur les oeuvres originales, mais il faut beaucoup plus faire attention à bien interpeller le public. Quand je travaille sur des séries originales, c'est le premier point sur lequel je m'interroge, et la principale différence par rapport au travail sur des oeuvres qui ont déjà une base.


Par exemple, sur Wolf's rain, vous avez certainement dû apporter un soin particulier au design des animaux, à la retranscription animée des loups. Comment avez-vous géré ça ?
Juste avant j'étais à fond sur Cowboy Bebop, et je n'avais pas du tout d'expérience dans le dessin de loups. J'ai donc appris ça un peu sur le tas (rires)


Toutefois, on peut lire sur le net une anecdote signalant que pour les mouvements des loups, vous vous êtes inspirés de votre propre chien. Est-ce vrai ?
Oui, c'est exact. Je l'avais acheté quand j'ai dû travailler sur Ein, le chien de Cowboy Bebop. Pour la petite information, c'est un welsh corgi. Après, j'ai adapté plusieurs choses à ma manière : le fait que la queue soit inexistante, que les pattes soient courtes...


Quand on vous pose des questions sur votre style, vous dites que vous n'en avez pas vraiment, ou alors que votre style est de vous adapter au style des autres. Dans ce cas, quelle est votre méthode pour vous imprégner du style des autres ?
Je vais d'abord dissiper un éventuel malentendu : je ne m'adapte pas à toutes les œuvres, à tous les styles. Je ne peux pas travailler sur des choses où je ne ressens rien.
Après, tout est question d'efforts et de travail. Je m'inspire du style autres, je m'y adapte, mais le but n'est pas uniquement de m'en approcher, il y a aussi toute une partie où je choisis l’œuvre, puis où je choisis comment m'y adapter si j'y ressens quelque chose.
 


Sur une série originale comme Cowboy Bebop, les personnages ont un design unique, tout de suite identifiable. Avez-vous eu des influences en particulier, par exemple pour Ed, ou Ein et son look afro ?
Tout commence par le meeting avec le réalisateur, qui donne des spécificités basiques (tel personnage doit être grand, l'autre petit...). Il y a des fiches techniques prédéfinies, sur lesquels on va ensuite discuter afin de déterminer les traits de caractère des différents personnages. Il n'y a pas de modèle précis. Et il arrive également que l'on puisse dénicher certains traits de caractère chez des membres du staff.


A ce sujet, il y a justement une anecdote affirmant que Yoko Kanno, la talentueuse compositrice de la bande sonore de Cowboy Bebop, a inspiré à certains égards le personnage d'Ed...
C'est exact !
Ensuite, je propose au réalisateur trois ou quatre modèles de dessins, et celui-ci décide quel physique est le plus adapté.


On pense savoir que Shin'ichiro Watanabe, le réalisateur de Cowboy Bebop, est très méticuleux. Comment s'est passé votre collaboration avec lui ?
Alors, pour être franc, mon impression à moi et qu'il n'est pas très méticuleux (rires).
Shin'ichiro Watanabe n'exprimait pas beaucoup ses sentiments, et du coup, je ne savais pas exactement ce qu'il voulait, mais je pense qu'il a aimé ce que j'ai fait.
En fait, ensemble, je pense qu'on a surtout marché au feeling, car il ne m'a rien refusé.
Par exemple, pour la création du personnage de Spike, on a discuté rapidement de ce qui était bien ou moins bien, on a procédé par élimination, et Spike est rapidement arrivé.
Tout ce que j'aurais aimé, c'est qu'il donne parfois un peu plus son avis, qu'il donne plus d'éléments pour définir les personnages.
A part ça, Shin'ichiro Watanabe et moi, nous sommes de la même génération, on aimait les mêmes séries et avions donc un peu les mêmes influences. D'ailleurs on le surnommait gentiment Nabeshin !
Entre lui et moi, je pense que c'était globalement une belle collaboration.


Shin'ichiro Watanabe à Japan Expo 2009


Après vingt années de carrière, que vous reste-t-il à apprendre ? Y a-t-il des domaines que vous aimeriez encore explorer ?
Pour moi, des domaines à explorer, il en existe encore à l'infini. Ce que je cherche le plus à éviter, c'est de me répéter, de faire dans la redondance. Ca tombe bien, car j'ai conscience que je suis assez libre et instinctif dans la création. J'ai eu la chance de travailler avec des personnes qui m'ont laissé cette liberté, et de voir aboutir tous les projets sur lesquels j'ai travaillé. Je souhaite donc continuer sur ma lancée, c'est à dire me renouveler encore et encore.


Enfin, y a-t-il des personnes, des grands noms du milieu de l'animation, avec lesquelles vous aimeriez particulièrement travailler ?

Face à la difficulté de la question, Toshihiro Kawamoto réfléchit longuement.

Hé bien, si je ne dois citer qu'une seule personne, c'est Satoshi Kon. C'était quelqu'un avec qui j'envisageais de travailler, malheureusement ça ne pourra jamais se faire...
Récemment, je prends de plus en plus conscience que le temps est limité, que la vie peut nous être retirée à tout moment, et que les projets peuvent s'arrêter en plein milieu. Fin 2010, cela m'est tombé dessus avec le décès d'Umanosuke Iida, avec lequel je travaillais sur Towa no Quon. C'est pour lui rendre hommage que je suis malgré tout allé au bout du projet.


Satoshi Kon


Remerciements à Toshihiro Kawamoto, aux interprètes, ainsi qu'aux staff de Paris Manga et de Total-Manga.