KANEKO Atsushi - Actualité manga

KANEKO Atsushi カネコアツシ

Interview de l'auteur

En ce mois de janvier 2012, notre pays accueillait Atsushi Kaneko, l'auteur de Bambi (chez Imho) et de Soil (chez Ankama). Présent pour le festival international de la BD d'Angoulême, Kaneko était de passage à Paris juste avant. L'occasion pour nous de partir à la rencontre de cet auteur définitivement pas comme les autres.
 
 
 
Atsushi Kaneko, bonjour et merci d'avoir accepté cette interview. Commençons pas une question classique: comment êtes-vous arrivé dans le milieu du manga ?
Atsushi Kaneko : Comme beaucoup de Japonais, je lisais beaucoup de mangas quand j'étais tout petit, et j'en écrivais. Mais à partir de 12-13 ans et pendant mon adolescence, je me suis avant tout beaucoup intéressé au rock, au cinéma, et au style punk, et j'ai laissé tomber les mangas. C'est en sortant de la fac que j'ai retrouvé le manga sur ma route. Je n'ai pas validé tout mon cursus universitaire, et je n'ai pas trouvé de travail. Je me suis alors demandé ce que j'allais pouvoir faire. J'ai longtemps pensé au cinéma, mais cette industrie ne correspondait pas à mes attentes à ce moment-là. Comme je continuais à dessiner des illustrations pour le plaisir et que j'avais envie de créer des histoires, j'ai repensé au manga.
Si j'avais mieux travaillé à l'université, je ne serais peut-être pas devenu mangaka (rires).


Vous venez de dire qu'à l'époque l'industrie du cinéma ne correspondait pas à vos attentes. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Au Japon, l'industrie du cinéma fonctionne selon un système strict et fastidieux si l'on souhaite accéder au poste de réalisateur. Il faut d'abord passer plusieurs années en tant qu'assistant, passer les étapes une par une. Pendant cette période de formation l'originalité de l'artiste finit par s'effriter petit à petit, à s'effacer un peu, et c'est cette idée qui ne me plaisait pas trop.
Mais il y a une catégorie de personnes qui peut accéder plus vite et plus facilement au poste de réalisateur : les romanciers et mangakas. S'ils parviennent à être suffisamment connus, ils peuvent se voir confier des réalisations. Quand j'ai commencé le manga, je l'ai fait un peu dans cette optique, en me disant qu'un jour, si tout marchait bien, j'arriverais à réaliser un film, et c'est ce qui s'est produit il y a quelques années...


En effet, vous avez pu travailler sur une œuvre cinématographique hommage à Rampo Edogawa, Rampo Noir, en réalisant "Mushi", une de ses parties. Comment avez-vous abordé ce projet ?
Le point commun entre le manga et le cinéma, c'est que l'on y raconte une histoire en s'appuyant sur des images et des dialogues. De ce côté-là ça ne m'a donc pas posé problème, mais là où les choses sont différentes, c'est dans le fait que le cinéma met en collaboration un grand nombre de personnes.  Du coup, on n'arrive peut-être pas forcément au résultat espéré au début, mais il y a aussi la chance de pouvoir peut-être bénéficier d'idées extérieures, de propositions intéressantes de tout un tas de personnes, et ça peut être très enrichissant.
Sur Rampo Noir, j'ai été catapulté au poste de réalisateur, et pour un amateur complet comme moi c'était une énorme responsabilité. Je me suis demandé ce que pouvait être mon point fort dans ce domaine que je ne connaissais pas, et j'en suis arrivé à la conclusion que c'était tout simplement le dessin. J'ai donc commencé par dessiner tout le story-board, du début à la fin, scène par scène.
 

 
Cela dit, on trouve déjà dans vos mangas une mise en scène très cinématographique. Dans Bambi, on trouve une ambiance assez proche des films de Grindhouse, quelques points communs avec les scènes d'action excessives que peut faire un réalisateur comme Sam Raimi. Soil se rapproche beaucoup du style de David Lynch. Quelles sont vos influences exactes ?
Comme je l'ai dit tout à l'heure, vers 12-13 ans j'ai délaissé le manga pour le cinéma, et à partir de cette période j'ai dévoré un nombre incalculable de films. Du coup, je pense que mes influences dans ce domaine sont tellement larges et viennent de tellement de genres de cinéma que j'aurais du mal à me limiter à quelques noms...


Il est vrai que vos influences semblent très larges. Par exemple, dans votre dernière série en date, Wet Moon, on peut voir une référence au film A Trip to the Moon de Georges Méliès. C'est un réalisateur que vous appréciez ?
Je ne dirais pas que je suis fan de Méliès, mais ce que j'aime par dessus tout chez lui, c'est la façon qu'il avait d'expérimenter à tour de bras, sans se poser de limites, sans avoir froid aux yeux. Il s'agissait d'expérimentations presque candides.
Si j'ai choisi de faire ce clin d’œil à Méliès, c'est également parce que le personnage principal de Wet Moon, un policier, est complètement obsédé par la lune. Je me suis demandé quelle image pouvait être immédiatement compréhensible par tout le monde pour parler de la lune, et c'est cette scène de Méliès où la lune reçoit la fusée dans l'oeil qui m'est venue à l'esprit.
 
 
 
On peut voir aussi dans Bambi une énorme influence musicale, de la culture rock, garage rock, punk rock. D'où vous est venue l'envie d'inclure cette ambiance musicale dans Bambi, comment avez-vous voulu la faire ressortir dans votre manga ?
C'est une culture avec laquelle j'ai grandi, toute mon adolescence a été bercée par le rock, donc l'incorporer à ma série est venu tout naturellement.
Sinon, plutôt que la musique elle-même, c'est l'ensemble de la culture rock que j'ai voulu mettre en avant. Dans cette culture garage rock, punk rock, il y a cette ambiance un peu série B, ce goût pour le trash et le bizarre, et c'est ce que j'ai voulu mettre dans Bambi.


Est-ce à partir de ça que l'idée de base de Bambi est partie ?
En fait, avant Bambi j'ai surtout écrit des histoires courtes où j'essayais toujours de m'éloigner le plus possible des codes et thèmes habituels du manga. Avec Bambi, j'ai essayé de revenir vers quelque chose de plus classique, de retrouver un peu la manière d'écrire une histoire, en écrivant le début et la fin, mais en improvisant ce qui se passe entre les deux. Mais même en voulant recoller un peu à une manière plus orthodoxe de faire du manga, je me suis dit que quitte à faire du manga un peu plus classique, autant lui insuffler tous les éléments que j'aime, qui me tiennent à cœur, à commencer par cette culture rock.


La colorisation particulière des pages de Bambi fait-elle partie aussi de cette envie ?
Avec Bambi, je me suis imposé l'idée de faire un manga un peu plus classique en en reprenant les règles, mais je me suis dit que je pouvais jouer avec ces règles. J'ai tout simplement eu envie de voir un manga classique avec ce genre d'expérimentations.
Au moment de la parution du premier tome de Bambi, j'ai beaucoup discuté avec la personne chargée de la conception du livre, et je lui ai dit que ce que je cherchais aussi, c'était à m'inspirer de l'esthétique que l'on pouvait trouver sur les prospectus et flyers des groupes de garage rock et punk rock. Leurs flyers sont très graphiques.
Par exemple, il y a un groupe nommé Destroy All Monsters dont les membres ont publié un recueil de leurs différents flyers et dessins. J'ai trouvé ce recueil vraiment chouette, et il a été l'une de mes principales influences pour Bambi.


Comment vous est venu le personnage si particulier de Bambi ? Ce look flashy, ce goût pour le rose, cet égocentrisme total, ce caractère de flingueuse ne buvant ni ne fumant...
Bambi est née d'un processus assez intellectualisé. Je me suis dit que je voulais faire un personnage assez détestable et capable de dépasser les limites, mais en même temps charismatique. Si son niveau de détestabilité restait trop relatif, ça n'aurait pas été bon. Tandis que si un personnage est trop excessif il peut en devenir charismatique et séduisant. Par exemple, pour expliquer sa manière de se nourrir, c'est tout simplement parce que c'est quelqu'un qui rejette en masse le monde. Elle est vierge parce qu'elle n'aime qu'elle-même, elle tue tout le monde à la chaîne... Par essence, c'est effectivement un personnage égocentrique.
  
  
 
Et comment vous est venue l'idée de Soil ?
J'ai eu l'idée de Soil avant de commencer Bambi, mais comme je ne me sentais pas encore capable de tenir une histoire aussi ambitieuse, j'ai préféré faire Bambi avant.
L'idée de Soil vient du fait que j'avais envie d'écrire une histoire où la normalité et la tranquillité étaient tout à coup interrompues, dérangées par quelque chose. C'est à partir de cette idée vague que je suis parti.


En lisant Soil, il vient une pensée : celle que les apparences peuvent être trompeuses, et qu'une ville bien sous tous rapports peut renfermer de terribles secrets. Était-ce là également une idée importante ?
Oui, il y a exactement cette idée d'apparence cachant des secrets horribles ou étranges. J'ai imaginé la ville de Soil de manière à ce que le contraste entre la normalité et les éléments perturbateurs  venant de l'extérieur soit le plus fort possible. C'est une situation extrême, et j'ai imaginé de quelle manière on pourrait mettre en scène cette idée pour qu'elle soit compréhensible et qu'elle éclate de la manière la plus forte possible. Dans le fond, je me dis que cette ville pourrait exister n'importe où.
Pourtant, quand j'ai fini d'écrire Soil, je me suis rendu compte que le thème principal de Soil avait dévié sur l'adolescence, période de révolte et de défiance à l'égard du monde.


Effectivement, c'est quelque chose que l'on voit dans le manga à travers la révolte des enfants et leurs réunions nocturnes...
Oui. C'est finalement le point de vue de ces personnages-là qui regroupe le plus de messages dans Soil, ce dont je ne m'étais même pas rendu compte en écrivant l'histoire.


Justement, Soil est un récit encore un peu nébuleux. On ne sait pas trop où le récit va aller, les pistes sont nombreuses, finissent par se rejoindre peu à peu. Aviez-vous écrit tout le scénario à l'avance ?
Oui, j'avais déjà écrit toute l'intrigue de Soil avant de commencer à dessiner, et il m'a suffit de la suivre.
 


On constate également au long de votre carrière une évolution narrative : d'abord des histoires courtes, puis Bambi qui commence comme un road movie avant de se structurer un peu plus autour de l'histoire, ensuite Soil où la construction du récit est essentielle, où les éléments s'imbriquent petit à petit... Comment expliquez-vous cette évolution ?
C'est tout simplement parce que le type d'histoire que j'envisageais était différent. L'improvisation était ce qui collait le mieux à Bambi. Au contraire, pour Soil il fallait quelque chose de beaucoup plus cadré. Il m'a d'ailleurs fallu environ 6 mois pour écrire l'histoire, après la fin de Bambi.


Vous avez une patte tout de suite identifiable. Quels outils utilisez-vous pour dessiner ?
J'utilise un feutre-pinceau à la base destiné à la calligraphie, et que probablement aucun autre mangaka n'utilise pour dessiner.


Pour finir, revenons à votre passion pour le rock et le cinéma. Tout simplement, quel est votre groupe préféré ? Votre réalisateur préféré ?
Pour le groupe, The Cramps. C'est un groupe qui existe depuis les années 70 et qui m'a énormément inspiré pour Bambi. En fait, tout l'univers de Bambi tient dans l'esthétique de ce groupe : musique mélangeant punk et garage rock, aspect trash, ambiance de série B d'horreur...
Mon réalisateur préféré est principalement David Lynch. Et au niveau du cinéma japonais, Seijun Suzuki (célèbre réalisateur de séries B, que des auteurs comme Quentin Tarantino, Wong-Kar-Wai ou Jim Jarmusch citent dans leurs influences, ndlr).
 




Remerciements à Atsushi Kaneko, aux éditions Ankama et Imho, ainsi qu'à l'interprète.
 
 
Ci-dessous, l'auteur en pleine dédicace!