JUNG Sik Jun - Actualité manga

Interview de l'auteur

En partenariat avec Bao, nous vous proposons une interview de Jung Sik Jun, qui a répondu aux questions de l'éditeur à l'occasion de la sortie de son art-book Frôlements le 25 Novembre prochain.
  

    
De nombreux lecteurs (et lectrices) vous ont découvert avec la série Couleur de peau: Miel chez Quadrants qui raconte votre parcours d'enfant adopté mais vous avez aussi publié plusieurs albums de mythologie asiatique chez Delcourt, comment parvenez-vous à concilier ces deux univers?
Jung Sik Jun: Ces deux univers ne sont pas si éloignés que ça... J'ai développé en collaboration avec Jee-Yun et d'autres scénaristes des histoires dans lesquelles on retrouve des thèmes qui me sont chers, à savoir, l'identité, l'abandon,le déracinement, l'Asie, etc... La forme est différente. il est vrai que mes albums précédents, je pense à Kwaidan ou Okiya par exemple, sont beaucoup plus travaillés et en couleur.
Je voulais quelque chose de différent pour "couleur de peau: miel", un dessin en noir et blanc, plus jeté, plus spontané pour privilégier une narration improvisée au jour le jour, mais qui est tout de même maitrisée puisqu'elle part du réel et que j'ai bénéficié de plus de 15 ans d'expérience...
J'aime dessiner parfois 4 planches par jour dans un style spontané, jeté et d'un autre côté passer plusieurs jours sur une belle illustration en couleur. Mais attention, je ne pourrais jamais rester plus de 3 jours dessus car j'aurais vite envie de faire autre chose. Courageux, mais pas téméraire, hein!

On découvre dans Couleur de peau: Miel que vous avez été adopté vers l'âge de 5 ans par un couple belge dans un orphelinat Coréen et que de nombreux enfants Coréens ont vécu la même expérience dans des conditions pas toujours très claires. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur cette aventure, en particulier après avoir mis tout ça noir sur blanc dans vos albums?
Je suis heureux d'avoir fait ces albums qui par ailleurs auront d'une part une prolongation éditoriale puisqu'il est prévu que je fasse un tome 3 après être retourné en Corée et d'autre part une prolongation cinématographique puisque je co-réalise actuellement avec Laurent Boileau "Approved for adoption" un film autobiographique adapté en partie des 2 tomes de Couleur de peau:Miel et qui devrait sortir en 2011 au cinéma.
Dessiner "Couleur de peau: Miel" m'a conforté dans l'idée qu'il faut s'accepter tel qu'on est . J'ai été adopté, oui et alors! Evidemment le chemin qui mène à l'épanouissement de soi peut pour certaines personnes être long. Mais je me dis que ça vaut le coup de voir le bon côté des choses.
     
  
  
La spécificité du label Bao est de vouloir construire des passerelles entre les cultures asiatiques et européennes mais vous semblez déjà être à cheval entre ces cultures, comment vivez-vous cette double appartenance?
Adolescent, je ne voyais que les inconvénients à cette double appartenance. Maintenant, c'est plutôt une force, un enrichissement, voire un privilège. Je fais partie de ces nombreuses personnes "déracinées" ... Je suis convaincu que, dans le futur, avec l'arrivée d'internet, les voyages, Erasmus, etc, ce sera presque "banal" d'avoir une double appartenance. Comme il est banal maintenant d'avoir des parents divorcés!

Pour en revenir au livre Frôlements, c'est un album qui regroupe plus d'une centaine d'images très sensuelles, même érotiques et parfois plus. C'est un aspect un peu inattendu de votre travail, mais qui semble cohérent avec les sensations vécues par les personnages de vos histoires. Pensez-vous, comme le suggère la préface, qu'il y a un lien entre les sensations d'isolement de l'enfant que vous étiez et une certaine sensualité de la matière lorsque vous dessinez et dans le choix de ce que vous dessinez?
Même le petit garçon de "Couleur de peau: Miel" est attiré par l'érotisme! ça fait partie de la vie, et donc pourquoi l'occulter? Je dessine ou met en scène toutes les choses qui m'intéressent, et me préoccupent. Le sexe en fait partie. L'isolement a cet avantage d'être mis face à soi-même, face à une page blanche sur laquelle quelques coups de crayons, de pinceaux peuvent vite refléter une partie de sa personnalité.
   
                              
                                    
On a l'impression que votre dessin se libère avec le temps. Le dessins les plus récents sont techniquement moins travaillés, mais semblent beaucoup plus libres, ils s'affranchissent d'un certain maniérisme de votre période "contes et légendes d'Asie". Avez-vous l'impression d'être encore un artiste en mouvement et si oui avez-vous une idée des directions dans lesquelles vous allez?
Maintenant, j'ai une approche beaucoup plus spontanée du dessin. J'ai été longtemps prisonnier de la technique, mais c'était une période d'apprentissage nécessaire, j'avais beaucoup trop de choses à apprendre. C'est très jouissif de pouvoir se libérer de la technique, de la transcender pour aller à l'essentiel finalement: qu'est ce qu'on veut raconter, exprimer? Je pense qu'on évolue et qu'on apprend tout le temps, jusqu'à la fin de sa vie .
Curieusement, la relation que j'ai avec les autres est plus spontanée aussi, moins compliquée.

Pour finir, que souhaitez-vous aux lecteurs qui découvriront Frôlements à-partir du 25 Novembre?
Evidemment, il y a de bonnes et de moins bonnes choses, comme dans le parcours de tout un chacun en fin de compte. Certains dessins sont assez anciens, d'autres très récents! Mais ce n'est pas très important, il faut voir cet album dans sa globalité en oubliant l'aspect technique et se laisser porter par l'invitation que je propose avec mon éditeur de "frôler" les pages une par une et partir dans un voyage visuel, sensuel, sensoriel...

© by JUNG Sik Jun / Paquet