IP Felix - Actualité manga

Interview de l'auteur

Publiée le Vendredi, 29 Janvier 2016

A l'occasion de la venue en France de Felix IP qui était invité par les éditions Kotoji en octobre, nous avons pu poser nos questions à l'auteur de Blood & Steel !



Bonjour, tout d’abord, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Felix IP : Je suis Felix IP, auteur de manhua à Hong-Kong.
Avant cela j’ai travaillé dans le milieu de l’animation pendant environ 10-12 ans.
J’ai toujours été intéressé par l’illustration, l’animation et la bande-dessinée.


Vous vous êtes d'abord fait connaître dans le milieu de l'animation, en tant que directeur de la création au sein des studios lmagi Animation. Comment êtes-vous arrivé à ce poste ? Qu'est-ce qui vous a attiré vers l'animation ?

En fait, avant que je ne rejoigne Imagi, j’avais monté une entreprise avec un ami dans le domaine du jeu multimédia. Puis j’ai rencontré le fondateur d’Imagi en lui proposant l’un de ces jeux. C’est là qu’il m’a demandé de le rejoindre au moment où il montait cette société pour prendre en charge la direction artistique du studio. Il savait que j’avais fait pas mal de choses en direction artistique et en pré-production.
Ce qui m’a attiré vers l’animation à l’époque, c’est que tout était nouveau. J’essaie toujours de faire quelque chose d’intéressant et d’être pionnier dans cette industrie à Hong Kong.
A l’époque où l’on avait créé notre boîte de jeu vidéo, en fait Hong-Kong n’avait que très peu de sociétés dans ce domaine, nous avions donc commencé à partir de zéro. C’est la même chose pour l’animation, il y avait vraiment peu de monde et c’est ce qui m’intéressait vraiment, le challenge…



Avec ces studios, vous avez conçu la toute première série télévisée en CGI hongkongaise : "Zentrix", en 2003. Quel challenge cela a-t-il représenté pour vous ? Quelles ont été les plus grosses difficultés de ce travail ? Quel a été l'impact de Zentrix sur la production animée hongkongaise ?

Quand on avait commencé, personne n’avait vraiment d’expérience dans le domaine de la production d’animation, à part moi.
En fait, tout ce que j’avais appris à l’époque, je l’avais appris de DVDs que j’avais vu sur Pixar ! haha ! Du coup, ils m’ont demandé de faire un peu tout : charadesign, direction artistique, le story board… et ils espéraient que l’on puisse produire un épisode de 20 minutes tous les mois, ce qui était impossible avec notre équipe. Je leur ai donc dit qu’il fallait que l’on  constitue une équipe artistique pour gérer tout ce travail.
En fait, avant que je ne joigne IMAGI, j’avais enseigné un an à l’université et du coup, j’ai fait recruter certains de mes étudiants chez IMAGI.


Vous avez ensuite travaillé en 2007 sur le long métrage TMNT (Teenage Mutant Ninja Turtles, les Tortues Ninja). Quel souvenir gardez-vous de cette expérience qui a connu un joli succès international ?

Je pense que c’est l’un des meilleurs moments de ma vie parce que nous avions fait TMNT dans un studio américain, mais dans un « donjon », un sous-sol sans fenêtre !! Mais tout le monde avait cette passion de faire un nouveau film.
Mon rôle sur ce film était celui de co-producteur, donc plus basé sur l’organisation du travail artistique et faire travailler les équipes américaines et hongkongaises. Je pense que la partie la plus sympa était de pouvoir travailler avec ces talents qui voulaient tous donner le meilleur d’eux-mêmes pour faire le job.



A contrario, l'autre gros film d'animation sur lequel vous avez travaillé, Astro Boy sorti en 2009, semble avoir été un échec au point de provoquer la chute des studios Imagi... Pouvez-vous revenir sur cette expérience qui, parait-il, a été très éprouvante dans sa production ?

Cette question est difficile pour moi. Haha !
Mais je dirais que notre problème principal a été le budget « sur-élevé » du film. Je pense que nous n’avons pas eu exactement les bonnes personnes pour ce film. Mais je préfère ne pas aller plus loin sur cette question… haha ! (Note de Pierre SERY, directeur éditorial de Kotoji : la production a vraiment été difficile pour lui, car il a eu le rôle ingrat de devoir licencier toute l’équipe américaine en pleine production du film, des ex de chez Dreamworks et qui ne tenaient pas la cadence par rapport à l’équipe hongkongaise selon lui).


Aujourd'hui, vous qui êtes un grande figure de l'animation de Hong-Kong, quel bilan feriez-vous de l'état de l'animation dans votre pays ?

Je pense que nous n’avons pas vraiment une « industrie » à Hong-kong car depuis la fermeture d’Imagi, nous n’avons plus de grand studio d’animation réalisant des productions capables de rivaliser avec les autres studios internationaux. Du coup, tous les talents sont partis ailleurs, à Singapour, au Canada, en Chine, à Taiwan…
Et je ne vois pas de grand changement arriver.
C’est un peu comme au Japon maintenant parce qu’il y a beaucoup de petits studios composés de moins de personnes avec des budgets de plus en plus serrés.



C'est après que vous vous êtes orienté vers la bande dessinée avec Blood & Steel. Pourquoi ce « revirement » ?

Le fondateur de Unicorn est le même que celui d’Imagi. Nous avons essayé de faire quelque chose de différent avec deux projets.
Un projet d’animation à plus petit budget qu’Astro Boy.
Pour l’autre projet, on a voulu trouver une propriété intellectuelle chinoise et faire nos « super héros chinois ». A ce moment-là, mon très bon ami Jozev connaissait le succès avec sa série de romans « Sangre y Acero ». Nous avons donc récupéré la licence sur cette série pour en faire un manhua.
La bande-dessinée est un très bon moyen pour promouvoir une nouvelle propriété intellectuelle, en espérant pouvoir la développer sur d’autres supports. 


Blood & Steel est un manhua hongkongais réalisé par le studio Unicorn, dont vous êtes à la tête en tant que directeur artistique. Pouvez-vous nous expliquer votre rôle exact sur la série ? Combien êtes-vous au sein du studio à travailler sur la série ? Comment se répartissent les tâches (autant pour l'élaboration des dessins que pour le scénario) ? Comment est né le studio ?

Au début, mon rôle était surtout de faire le planning et le management, plus comme un producteur et un réalisateur. Donc, j’ai fait toute la direction artistique, j’ai constitué une équipe et créé l’organisation pour produire sur une période très courte, pour faire 200 pages tous les deux mois.
Nous avons donc recruté 5 assistants et même plus après.
Je faisais tout le travail de mise en page et de composition des pages, et les corrections. C’est pour cela que j’ai mis en place un travail 100% digital, parce que c’est plus facile de faire les corrections ainsi. En fait, parmi toutes les personnes de l’équipe, aucun ne venait du milieu de la bande-dessinée. Tous étaient du design et de l’illustration. J’ai donc utilisé tous leurs talents et les ai laissé « jouer » avec ces talents : l’un est très bon pour les décors, un autre est très bon pour les armes…
Et à la fin, je faisais tout ce travail pour composer avec tout cela.
Maintenant, j’ai quitté le studio pour bosser en indépendant. Je travaille encore pour Unicorn en tant que freelance mais me consacre en parallèle à d’autres projets extérieurs au studio.



Qu'est-ce qui vous a donné envie d'adapter en BD l'œuvre originale de Jozev ? Comment se déroule la collaboration avec l'auteur original ? A-t-il un droit de regard sur le manhua ?

Comme je vous l’ai dit, Jozev est un très bon ami à moi et ses romans sont des best-sellers à Hong Kong.
Au début et surtout dans les premiers mois, je lui demandais de venir au moins deux jours par semaine pour qu’il valide notre chara-design, les décors, je voulais vraiment sa validation.


Suivez-vous le scénario original à la lettre, où vous permettez-vous des écarts ?

En fait, j’ai essayé de traduire le plus fidèlement possible l’œuvre originale. La structure de l’histoire n’a pas changé du tout. Mais quelques designs des personnages ont changé.
Par exemple, Jing Lie et Koreiran Shimazu, dans l’histoire originale, la femme japonaise est plus grande que Jing Lie. Mais je trouvais que ça ne faisait pas « cool » dans la mise en image. Du coup, je les ai mis tous les deux à peu près à la même taille. C’est vraiment ce genre de détails que j’ai changé, rien de plus.



Pour vous qui dessinez ici votre toute première BD, n'a-t-il pas été trop dur de changer de registre après toutes ces années dans l'animation ? Comment avez-vous acquis vos talents pour le dessin ? Aviez-vous déjà suivi une formation dans le domaine avant ou avez-vous dû apprendre « sur le tas » ?

J’ai appris le dessin de manière vraiment traditionnelle, le crayon et l’aquarelle au lycée et puis je crois que c’est à peu près tout. Tout le reste, je l’ai appris par moi-même.
Pour moi l’animation et le manga sont des milieux très proches les uns des autres. Chaque support à son propre langage, mais il y a des choses très similaires entre les deux. L’animation nous a en fait beaucoup aidé à nous différencier des autres manhuas hongkongais.


Comment avez-vous conçu le design des personnages ? Vous êtes-vous inspiré de combattants célèbres ?

Oui, on peut dire ça. En fait Jing Lie, par exemple, est un mélange entre Miyamoto Musashi et Bruce Lee. Bruce Lee était un artiste martial qui n’avait pas de frontière dans son art. Il aimait partager sa discipline avec les autres. Et Miyamoto, c’était quelqu’un qui aimait se confronter aux autres combattants, pour être le plus fort. On a donc voulu mélanger les deux.
On a essayé de faire quelque chose d’un peu différent de ce qu’il y avait dans les romans et de mettre encore plus en avant ces côtés là et ces influences.



La série profite d'une grande précision dans les armes et leurs techniques, mais aussi dans les costumes et bâtiments d'époque. Quelle part de documentation cela vous a-t-il demandé ? Avez-vous des documents de référence ?

Dans notre équipe, l’un était responsable des décors, un autre des armes. J’ai demandé à chacun d’étudier fortement la dynastie Ming, période durant laquelle se déroule l’histoire.
Il y a eu un gros travail de recherche sur les costumes, les accessoires… J’ai dû me rendre directement en Chine pour acheter plein de bouquins sur cette période ! Haha !


Et quelles sont vos différentes étapes dans la création des dessins ?

Tout se fait sur ordinateur avec photoshop. Il y a 0% de papier utilisé pour créer un tome de Blood & Steel.
C’est beaucoup plus facile pour moi de faire le « compositing » et cela nous permet de travailler en parallèle. On a mis en place un « process » qui nous permet de travailler en parallèle pour aller plus vite.



De ce que nous avons cru comprendre, le milieu de la bande dessinée hongkongaise est surtout connu pour ses œuvres d'arts martiaux, de cape et d'épée (le Wuxia), comme Blood & Steel. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'importance de ce registre dans votre pays ?

Je crois que cela représente 90% de la production à Hong Kong. En ce qui me concerne, j’ai essayé de faire quelque chose de différent, car dans la production que l’on a actuellement il y a beaucoup de magie, un coup de poing et tout explose dans tous les sens. Je voulais vraiment revenir à des choses plus « réalistes » et aller plus dans les détails des arts martiaux.


Quels sont les personnages de Blood & Steel pour lesquels vous avez le plus d'affection, et pourquoi ?

Sans aucun doute, Jing Lie. C’est un rêve pour tous les hommes non ? Il est charmant, les femmes l’aiment, il est plein de confiance et il est capable de tout faire !!!



Pouvez-vous nous faire un point sur la parution de la série à Hong Kong ? Nous avons cru comprendre que la première série est terminée en 11 tomes, et qu’une deuxième série est actuellement en cours ? Savez-vous déjà jusqu’où vous irez ?

Depuis le tome 12, je travaille seul, car il y a eu une grosse restructuration dans le studio. Cela me prend beaucoup plus de temps pour réaliser un tome du coup, mais je réfléchis à monter une nouvelle équipe pour m’accompagner. Dans tous les cas, j’irai au bout de la série, pour mon public et pour mon ami Jozev.
Il devrait y avoir au final entre 30 et 40 volumes au total divisés en 3 saisons.
 

Qu'auriez-vous envie de dire à ceux qui liront cette interview au sujet de Blood & Steel, pour leur donner envie de lire la série ?

Je pense que Blood & Steel est un titre spécial par ses scènes de combats, c’est quelque chose qui à mon sens n’a pas été fait avant. Je vous recommande vraiment d’y prêter une grande attention et surtout la « storyline » est vraiment cool. Hahaha !! (Note de Pierre SERY : le scénario nous prépare de très grands rebondissements sur la deuxième partie de la série, qui n’est pas encore réalisée)


Récemment, avec le studio Unicorn vous avez aussi travaillé sur le film d'animation CGI « Monkey King ». Pouvez-vous nous en parler ?

En fait ce film est déjà terminé. Le studio attend le bon moment pour le sortir et aussi de trouver un distributeur aux Etats-Unis (car l’audience visée est mondiale). Je pense qu’il sera diffusé l’année prochaine (pour l’année du singe).
C’est l’histoire d’un singe du Sichuan qui voyage à New York pour sauver un ami humain d’un trio de kidnappeurs, pour se rendre compte que le Roi Démon est derrière tout ça. Avec l’aide d’un grand cochon, il va apprendre à maitriser le pouvoir du Roi Singe pour vaincre ses ennemis.



Si on se fie à votre compte twitter et à votre blog où vous parlez souvent de Getter Robo, Kikaider, Mazinger, Ultraman, des EVA d'Evangelion etc, vous semblez être très fan de ce genre de production mettant en scène super robots et superhéros japonais. Qu'est-ce qui vous attire là-dedans ?

En fait, j’ai grandi avec ces personnages. J’avais commencé par Ultraman et j’ai beaucoup de souvenir avec tous ces robots. J’aime juste les dessiner ! haha !


D'ailleurs, on sait également qu'avant la fermeture des studios Imagi vous travailliez sur un film animé adaptant une œuvre de ce genre : Gatchaman (La Bataille des Planètes). Le projet a avorté avec la liquidation des studios Imagi, mais aimeriez-vous, si vous en avez un jour la possibilité, le concrétiser ?

J’adore Gatchaman. C’était un projet qu’on avait avant Astro Boy. L’histoire a beaucoup changé au cours de la production, on réécrit le script encore encore et encore…
Je pense que c’est une des premières équipes de super héros et j’aime vraiment ça. Si c’est possible, j’aimerais vraiment le faire (Note de l’éditeur : 60% du film a été réalisé avant la liquidation d’Imagi Studios. Les droits sont désormais perdus pour le moment et le travail réalisé également).


De manière générale, vous semblez donc amateur d'animation japonaise, voire de manga. Quelles sont vos préférences dans le domaine ? Et que pensez-vous de la production actuelle dans ces domaines ?

C’est une question intéressante. En fait, je regarde de moins en moins de dessins animés. Je les trouve moins impressionnants qu’avant.
En ce qui concerne le manga, ce qui est bien c’est que les japonais arrivent à écrire vraiment de bonnes histoires sur n’importe quel sujet, et ils sont vraiment les meilleurs dans ce domaine là, il n’y a pas photo.


Interview réalisée le dimanche 4 octobre 2015 au festival BD de Marly – propos recueillis et traduits par Pierre SERY pour Manga News. Un grand merci à lui et à l'auteur !

Mise en ligne le 29/01/2016.