INOUE Eisaku - Actualité manga

INOUE Eisaku 井上井上

Interview de l'auteur

Publiée le Vendredi, 22 Avril 2016

En cette année 2016, l'invité d'honneur nippon de Made in Asia à Bruxelles était un nom qui s'est taillé une jolie place dans le monde de l'animation : Eisaku Inoue.
Ayant fait ses armes dans les années 80-90 sur des séries comme Vas-y Julie !, Saint Seiya, Dragon Ball Z, B’tx, ou encore Gunbuster, il continua sa carrière comme directeur de l'animation notamment sur Saint Seiya : Hades Chapter, Interlude, Dna² et Ring ni Kakero, avant de se faire grandement remarquer sur One Piece. Réalisant au départ les storyboards pour la série animée, il est ensuite devenu le character designer et le directeur de l’animation de plusieurs films et épisodes spéciaux de la saga.
C'est un homme sympathique, très rieur, mais surtout très bavard et loin d'être avare en anecdotes, que nous avons pu rencontrer pour une interview dont voici le compte-rendu.




Eisaku Inoue, c'est un honneur de vous avoir en face de nous. Pour commencer, pouvez-vous nous dire ce qui vous a amené dans le monde de l'animation ? Y a-t-il des oeuvres ou des auteurs en particulier qui ont nourri ce choix de carrière ?

Eisaku Inoue : Ca pourrait être très long à expliquer, mais je vais essayer de condenser ça (rires).

Après le lycée, je n'avais aucune intention d'aller à l'université, et depuis la primaire j'adorais dessiner. Je faisais des petits dessins humoristiques que j'aimais montrer à mes camarades. J'étais également nourri depuis l'enfance par les dessins animés que je voyais à la télé, mais jusque là c'était pour moi un autre univers.

Dessiner et regarder des animes étaient pour moi de simples hobbies jusqu'au lycée, et je n'envisageais aucunement entrer dans ce milieu. Mais plus la fin du lycée approchait et plus je me demandais vers quoi me diriger. Une fois le lycée terminé, j'ai commencé à travailler à mi-temps dans un supermarché près de chez moi, et je me disais « ma vie se résumera à avoir un travail alimentaire comme ça, et puis c'est tout ». J'étais résigné.

Or, c'est à cette époque-là que la série animée Uchû Senkan Yamato a connu un boom de popularité, et je n'ai pas fait exception : j'ai adoré cette série, au point que j'ai eu envie de discuter avec le staff de la série. J'ai cherché la boîte qui se chargeait de la production de la série, je l'ai contactée. C'était uniquement pour parler de la série, donc j'avais peur que les producteurs me prennent un peu pour un fou et ne veulent pas se déranger pour ça. Du coup, je leur ai menti en disant que je voulais devenir animateur !

Pour ne pas y aller les mains vides, j'ai emmené mes vieux dessins avec moi dans un portfolio, et c'est comme ça que j'ai pu avoir un entretien avec le directeur. L'entrevue s'est très bien passée, et même trop bien passée ! (rires) J'ai pu discuter autant que je le voulais sur Yamato, il m'a expliqué comment ils avaient conçu la série. Et quand je m'apprêtai à partir, il m'a retenu parce que je ne lui avais pas montré mon portfolio. Il l'a regardé, a trouvé ça pas mal, et m'a dit « Très bien, tu peux revenir à partir de telle date ». Et là, je me suis dit « Quoi ? De quoi il est en train de parler ? » (rires).

Je suis parti, suis revenu à la date qu'il m'avait fixée pour lui montrer de nouveaux sketchbooks sur sa demande, il les a décortiqués avant de me fixer un nouveau rendez-vous, et à la dernière entrevue il m'a dit tranquillement « Bon, tu peux commencer à travailler en avril ».


Et quel a été votre premier poste ?

C'était sur la série animée Ikkyû.

Ikkyû.

Vous avez eu l'occasion de travailler avec le regretté Shingo Araki sur Saint Seiya. Quelles étaient vos relations de travail ? Et comment êtes-vous arrivé sur cette série devenue culte ?

Pour commencer, ce n'est pas parce que je voulais travailler avec Mr Araki que j'ai accepté le poste sur Saint Seiya.

J'ai d'abord commencé par travailler pour l'entreprise qui a fait Yamato, puis on s'est disputés, je suis parti et suis allé travailler pour un autre studio. Dans cet autre studio, tout en faisant divers travaux, j'ai été contacté par les gens de Toei qui voulaient que je travaille sur un projet déjà tout préparé, parce qu'ils appréciaient mon travail sans que je sache trop pourquoi. J'ai mis ça de côté.

Peu de temps après, je me suis de nouveau disputé avec le studio pour lequel je travaillais et ai une nouvelle fois claqué la porte. Je ne savais pas quoi faire, puis je me suis souvenu que Toei appréciait mon travail. Je leur ai téléphoné en leur demandant du travail. On m'a donné rendez-vous dans un café à proximité des bureau de Toei et qui n'était quasiment rempli que par des personnes travaillant pour le studio. En arrivant, le directeur m'a demandé directement sur quoi je voulais travailler. Je lui ai demandé de préférence un projet n'ayant pas encore commencé, plutôt qu'un projet déjà entamé et qui risquerait de se finir plus vite. Il m'a dit ok, et juste derrière lui il y avait le responsable de la future série animée de Saint Seiya. Le directeur l'a appelé et lui a dit tout simplement de me prendre sur Saint Seiya (rires).


Entre Saint Seiya, B'Tx et Ring ni Kakero, vous avez travaillé sur les adaptations de plusieurs mangas de Masami Kurumada. Dans votre travail, comment avez-vous fait pour vous imprégner du style à part de cet auteur ?

En réalité, je n'ai pas eu besoin d'imiter le style de Mr Kurumada. Celui que je devais imiter, c'était Shingo Araki, le character designer de l'anime.


N'était-ce pas trop compliqué ? Mr Araki avait une patte si impressionnante...

Autant j'adorais depuis longtemps le travail de Mr Araki, autant je me sentais incapable de faire la même chose que lui. J'ai eu beau essayer de copier son style, je n'y arrivais pas. En fin de compte, j'ai dû aller dénicher les roughs que Mr Araki avait faits pour la série, et bosser dessus comme un malade pour parvenir à coller à son style.



Quel souvenir gardez-vous de votre courte expérience sur la série animée Dragon Ball Z ?

J'en ai presque honte, mais vu que je me suis contenté d'aider sur quelques dessins, je n'en ai aucun souvenir (rires).


Vous avez également été directeur de l'animation sur la série animée Vas-y Julie !...

Ah, ça rejoint l'époque où je m'étais embrouillé avec le studio à l'origine de Yamato, époque à laquelle je travaillais sur plusieurs séries en rotation dont Vas-y Julie ! faisait partie.

C'était mon premier poste en tant que directeur de l'animation. A l'origine, je suis allé à un meeting de Toei. Il y avait moi qui travaillais pour un autre studio, et d'autres animateurs en freelance. Au départ, c'est l'une de ces personnes en freelance qui devait être directeur de l'animation. C'est le célèbre Junichi Satô qui était en charge du projet.

Au cours de la réunion, la personne qui devait être directeur de l'animation a finalement déclaré refuser le poste. Le staff s'est alors demandé qui pouvait tenir le poste, et là, je ne sais pas pourquoi, mais tous les regards se sont tournés vers moi (rires).

Je me suis donc retrouvé à travailler avec Junichi Satô. A cette époque Mr Satô n'était pas encore vénéré par nombre de fans comme c'est le cas aujourd'hui, mais il était déjà incroyable.

Ce premier poste en tant que directeur de l'animation fut vraiment terrible pour moi. Mr Satô téléphonait régulièrement pour connaître l'avancée des dessins, moi je me plaignais que c'était trop dur et que c'était mon premier poste de directeur de l'animation, et du coup il venait m'aider, même pendant la nuit. Je me souviens que je le regardais travailler et que j'étais bluffé par le travail fantastique qu'il faisait rien que sur les dessins.

Il faut savoir que nombre de réalisateurs devenus incontournables, comme Tetsurô Araki qui est le nom me venant en tête dans l'immédiat, ont fait leurs premiers pas dans cette boîte. A l'époque de Vas-y Julie !, moi je pensais bêtement que Toei ne faisait que des programmes pour enfants, et en voyant travailler leurs équipes je me disais qu'ils étaient vraiment tous des génies dans leur profession, de par la quantité de travail qu'ils semblaient abattre. Mais une fois que j'ai pleinement intégré Toei, je me suis rendu compte qu'à part quelques exceptions vraiment talentueuses, les autres étaient très moyens. Je suis tombé sur les meilleurs ! (rires)



Ces dernières années, on vous a beaucoup remarqué pour votre travail sur One Piece. Là aussi, comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?

Alors, je vais remonter assez loin.

A une époque, j'ai temporairement quitté Toei. Alors que j'étais freelance, je me suis retrouvé à travailler sur Gunbuster. Je suis ensuite rentré dans une petite entreprise où j'ai travaillé sur plusieurs animes. Peu de temps après, l'entreprise a accepté de concevoir une publicité pour le jeu vidéo Puyo Puyo. J'ai pris ce travail, je me suis occupé de tout, et je me souviens n'avoir touché que 60 000 yen en tout et pour tout (rires).

Reste que le directeur de l'entreprise à l'origine du jeu était très content du résultat final, à tel point qu'ils m'ont demandé de venir travailler pour eux. C'est ce que j'ai fait, parce qu'au fil de quelques sorties ensemble il m'a expliqué faire plein de choses différentes. Mais une fois dans sa société, j'ai constaté qu'en vrai, tout ce qu'il faisait c'était du Puyo Puyo (rires). Je lui ai fait part de mon étonnement, il m'a expliqué que ça allait, que du Puyo Puyo il allait encore y en avoir pour 5 ans, et là je me suis dit que le gars n'avait pas les pieds sur terre. Deux ans plus tard, la boîte a coulé.

Entre temps, j'ai reçu un coup de fil des gars de Toei qui voulaient à tout prix me reprendre car ils avaient des problèmes. J'ai accepté, ai travaillé sur Shin Dr Slump, et une fois ce projet terminé ils m'ont proposé de travailler sur One Piece.



Un grand merci à Eisaku Inoue, à son interprète Fabrice Renault, et au staff de Made in Asia qui a permis cette rencontre.

Mise en ligne le 22/04/2016.