HOSODA Mamoru - Actualité manga

HOSODA Mamoru 細田 守

Interview de l'auteur

En deux films, Mamoru Hosoda s'est taillé une place de choix dans le cœur des amateurs d'animation. Présent à Paris pour l'avant-première mondiale de son nouveau film, les Enfants-Loups – Ame & Yuki, qui sortira dans les salles françaises ce 29 août, le réalisateur renommé accepta de nous rencontrer pour une interview. C'est dans le cadre de la galerie Arludik que nous avons pu poser nos questions à cet homme sincère et souriant, qui revint volontiers sur son parcours, sur ses précédents films, sur le message des Enfants Loups – Ame & Yuki, et sur ses nouvelles ambitions avec la création du studio Chizu.

Voici le compte-rendu de notre entretien, que nous publions à l'occasion de la sortie nationale des Enfants loups au cinéma !



 
 
Mamoru Hosoda, bonjour et merci d'avoir accepté cet entretien. Pouvez-vous dire quelques mots sur votre parcours pour celles et ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ?
Mamoru Hosoda: Intéressé depuis longtemps par le domaine artistique, j'ai d'abord rejoint une université dédiée aux Beaux-Arts, où j'ai intégré le département de la peinture à l'huile. Après avoir fini mes études, j'ai suis entré chez le studio Toei, depuis renommé Toei Animation. Là, j'ai travaillé pendant six ans en tant qu'animateur. Fort de cette expérience et désireux de découvrir une autre facette de l'animation, j'ai décidé de passer l'examen permettant de devenir réalisateur au sein du studio Toei, examen que j'ai réussi et qui m'a permis de commencer à travailler au niveau de la mise en scène. Deux ans plus tard, j'ai réalisé mon premier court-métrage, Digimon Adventure. Ensuite, je suis passé aux longs métrages, et j'ai notamment réalisé le sixième film de One Piece en 2005. J'ai ensuite quitté le studio Toei et ai rejoint le studio Madhouse, au sein duquel j'ai réalisé la Traversée du Temps et Summer Wars. A présent, me revoici avec un nouveau film, Les Enfants Loups: Ame & Yuki, pour lequel j'ai créé mon propre studio, Chizu.


On sait également de vous qu'au début de votre carrière, vous avez tenté d'intégrer le studio Ghibli, sans succès. Qu'est-ce qui vous attire chez Ghibli ?
Oui, j'ai effectivement voulu intégrer le studio Ghibli quand j'étais à l'université. A cette époque, Ghibli finissait la réalisation de Kiki la petite sorcière et commençait à travailler sur Souvenirs goutte à goutte, et ce studio me fascinait par sa capacité à aborder des sujets parfois difficiles sans jamais être tombé dans le larmoyant et en restant grand public. Je suis allé passer l'examen d'entrée où j'ai été retenu jusqu'à la dernière sélection, et finalement je n'ai pas été pris.





C'est après que vous êtes entré chez Toei pour devenir animateur. Que vous ont apporté ces années passées à ce poste ?
J'ai appris énormément de choses durant ces années au poste d'animateur. Évidemment, quand j'ai postulé chez Toei, j'ai tout de suite voulu devenir réalisateur, travailler sur la mise en scène, mais comme j'ai fait mes études dans les Beaux-Arts je m'intéressais également au travail d'animateur. Quand j'étais collégien, j'avais déjà fait des petits films d'animation par moi-même, petits films que j'ai d'ailleurs montré au studio Toei quand j'ai postulé là-bas, et c'est en voyant ces films que les gens de Toei m'ont conseillé de travailler d'abord en tant qu'animateur, chose que je ne regrette pas du tout, car je me suis rendu compte qu'apprendre le métier d'animateur était une étape indispensable pour devenir réalisateur. Par exemple, travailler en tant qu'animateur m'a permis de voir un peu le style de mise en scène recherché par les réalisateurs des différentes œuvres sur lesquelles j'ai travaillé. C'était très instructif.


Par la suite, vous avez enfin pu devenir réalisateur, avec plusieurs films de Digimon et le film 6 de One Piece. Comment avez-vous abordé ces travaux qui sont plutôt destinés aux enfants ?

Quand Toei m'a proposé ces travaux, j'étais salarié chez eux, et c'est vraiment en tant que salarié que j'ai réalisé ces œuvres. Je dois avouer que j'ai vu avant tout le studio Toei comme une école, comme une entité formatrice qui m'a permis de faire mes premiers pas dans la réalisation tout en continuant à étudier la mise en scène.
Bien sûr, ces films sont avant tout destinés aux enfants, mais ils m'ont permis non seulement de découvrir toutes les techniques nécessaires à la réalisation de films, mais aussi d'apprendre à gérer une équipe.


Votre carrière a ensuite décollé avec la réalisation en 2006 de la Traversée du Temps, long-métrage inspiré d'un roman de Yasutaka Tsutsui. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'adapter ce roman ?
Pour moi, le roman de Yasutaka Tsutsui a une place toute particulière dans la littérature japonaise, car il a déjà été adapté à de nombreuses reprises : en série télévisée, en film à prise de vue réelle... et à chaque fois, il y avait des réalisateurs et acteurs débutants qui étaient appelés pour participer à ces projets.
A la base, j'étais déjà un grand fan du roman, puis j'ai vu le film réalisé par Nobuhiko Obayashi, où a joué l'actrice Tomoyo Harada, et en me remémorant ce film je me suis dit qu'on pouvait en faire une version différente, par le biais de l'animation, car il avait été réalisé plusieurs années auparavant et que l'époque avait changé. J'ai donc eu envie de faire ma propre version de cette histoire, une version nouvelle, plus contemporaine.
 
 
   
 
 
Vous avez ensuite conçu votre premier projet original : Summer Wars. Comment vous est venue l'idée inventive de ce film ?
Après avoir réalisé la Traversée du Temps, j'ai décidé de me marier, et ce que j'ai trouvé très intéressant, c'est que du jour au lendemain des personnes qui n'avaient aucun lien avec moi sont devenus ma propre famille. Ca m'a procuré une drôle de sensation, et c'est ce qui m'a donné envie de faire un film où la notion de famille serait très importante.


On croise dans la Traversée du Temps et Summer Wars de nombreux thèmes : problèmes d'adolescence comme l'amour, prise de maturité des personnages tout au long du film, importance du temps (qui passe ou se répète), le tout sur des fonds originaux, inventifs, très vivants, où le fantastique côtoie de très près la réalité de tous les jours. Quels éléments vous tenaient le plus à cœur ?
Ce que je tenais avant tout à montrer à travers ces deux films, c'est la vitalité. Dans la Traversée du Temps, l'héroïne, Makoto, est une lycéenne très vivante, qui a la capacité d'agir spontanément, et dans Summer Wars j'ai représenté la vitalité de l'univers familial : quand la famille se réunit, elle dégage une puissance qu'on ne peut pas avoir seul, mais que l'on peut obtenir quand on est tous ensemble.
 
 
 
 
 
Cette vitalité, on la retrouve de nouveau dans votre nouveau film, Les Enfants Loup – Ame & Yuki, par exemple à travers la plus grande des deux enfants, Yuki, qui ne s'arrête pas une seconde...
Oui, on voit parfaitement à travers le personnage de Yuki cette vitalité, mais on la voit aussi chez la mère, Hana. Évidemment, c'est un autre type de vitalité, une vitalité plus posée, mais elle est capable de surmonter tous les obstacles. J'ai beaucoup d'affection pour ce type de personnage, que l'on retrouve d'ailleurs dans mes trois films.
 
 
Hana est effectivement un personnage très attachant tant elle a la volonté de bien éduquer ses enfants, malgré de nombreuses difficultés qu'elle cherche toujours à surmonter. On peut voir en elle un éloge de la mère-courage, capable de tout donner pour ses enfants...
Vous avez entièrement raison, et ça me fait plaisir que vous m'en parliez. Dans ce film, je voulais vraiment féliciter les mamans. Dans le monde, il y a énormément de mères, et beaucoup peuvent avoir de la difficulté à élever leurs enfants. Elles ne sont pas souvent félicitées, et c'est pour ça que dans mon film j'ai voulu mettre en avant tout leur courage, leur détermination pas toujours visible, mais aussi leurs faiblesses qui ne les empêchent toutefois pas de continuer leur travail de mère.
 
 
Nous parlons déjà des Enfants-Loups – Ame & Yuki depuis un petit moment, mais au fait, d'où vous est venue l'idée du film ?
C'est un peu la continuité des origines de Summer Wars. L'origine de Summer Wars vient de mon mariage. Pour les Enfants-Loups – Ame & Yuki, l'idée m'est venue quand plusieurs couples autour de moi ont commencé à avoir des enfants. J'ai vu des femmes devenir mères, je les ai trouvées plus belles et rayonnantes que jamais car elles avaient désormais en elles un sens des responsabilités, et ça m'a donné envie de faire un film sur elles et sur l'éducation des enfants.



 

Vous abordez souvent des sujets complexes, réalistes et durs, mais arrivez pourtant à rester grand public, à toucher aussi bien les petits que les grands. Sur quoi avez-vous dû travailler le plus pour arriver à ce résultat ?
A chaque fois que je fais un film, je pense beaucoup au public qui pourra se retrouver dans les personnages.
Par exemple, dans la Traversée du Temps, le personnage principal est une lycéenne,  j'ai donc voulu que le public lycéen découvre ce film, et j'ai tout fait pour qu'il parle aux lycéens.
Dans les Enfants-Loups – Ame & Yuki, le personnage principal est une mère, et on la voit de 19 ans à 33 ans, accompagnée de ses enfants qui grandissent eux aussi. J'ai donc beaucoup pensé aux femmes entre 20 et 40 ans, et j'avoue que je souhaite vivement qu'elles voient ce film en compagnie de leurs enfants ou de leur mari.
Ca n'a rien à voir avec du marketing, ça n'a aucun but promotionnel, c'est simplement quelque chose qui me tient sincèrement à cœur : à chaque fois, je pense au public, je fais le rapport entre les personnages principaux et le public.


Un autre point commun à vos trois films : le gros travail visuel. Décors somptueux et bourrés de détails, animation des personnages extrêmement fluide et réaliste... Quelles techniques utilisez-vous pour parvenir à de tels résultats ?
Si j'ai pu montrer des décors et des personnages de manière aussi réaliste, c'est sûrement parce qu'il y a des modèles qui existent réellement. Par exemple, pour les paysages de Tokyô, je me suis inspiré des parcs de Koganei et d'Inokashira (photo du parc d'Inokashira visible ci-dessous, ndlr), entre autres. Pour d'autres paysages, j'ai puisé ma source à Kamiichi-machi, ma terre natale.
Du côté des personnages, j'ai aussi des modèles. Parfois je mélange plusieurs modèles pour créer un personnage, mais en tout cas je ne crée jamais les personnages avec mon seul imaginaire.
 
 
Auteur: J. Petersen
 
 
 
Pour les Enfants-Loups – Ame & Yuki, vous avez fondé votre propre studio, le studio Chizu. Quelles sont vos ambitions avec Chizu ? Qu'est-ce que la création de ce studio vous a apporté dans la réalisation de votre dernier film ?
Le studio Chizu a pour vocation de ne faire que des films d'animation pour le cinéma, alors que des studios comme Madhouse ou Toei font également des séries télévisées. Ce choix est parti d'un constat : quand un studio fait des films et des séries, il a tendance à faire des films dans la continuité de ses séries, alors que ce sont là deux choses complètement différentes. Avoir fondé Chizu devrait me pousser à chercher des choses propres au style cinématographique.
Ce qui m'a fait plaisir, c'est que quand j'ai créé ce studio beaucoup de personnes m'ont soutenu.


Merci beaucoup pour cette interview !
C'est moi qui vous remercie !


Remerciements à Monsieur Mamoru Hosoda, à la traductrice, aux éditions Kazé, et à la Galerie Arludik.