HONG Yeon-Sik - Actualité manga

Interview de l'auteur

Publiée le Lundi, 18 Avril 2016

Fin 2013, la sortie aux éditions Ego comme X de la bande dessinée autobiographique coréenne Histoire d'un couple nous charmait totalement, au point que l'album a obtenu le Coup de cœur de notre rédaction et a eu droit plus tard à un dossier.
Dans le cadre de la mise en avant de la Corée du Sud en tant que pays invité, l'édition de mars 2016 de Livre Paris accueillait nombre d'artistes venus du Pays du Matin calme, dont Hong Yeon-Sik, l'auteur d'Histoire d'un Couple. C'est avec plaisir que nous avons pu le rencontrer.

Né en 1971, Hong Yeon-Sik fait ses premiers pas dans la BD en 1990 en devenant apprenti dans l’atelier d’un dessinateur auprès duquel il apprend les bases.
Ses premières histoires courtes en bande dessinée arrivent en 1992, et l'une d'elles est présentée dans un concours d'un magazine, ce qui lui vaut d'être repéré et, bientôt, de recevoir des travaux de commande dans le domaine du manhwa éducatif. Ceux-ci deviennent rapidement nombreux et occupent l'essentiel de son temps, si bien qu'il n'a plus le loisir de dessiner des œuvres plus personnelles. Et cette situation dure pendant une douzaine d'années, jusqu'en 2005 où, avec son épouse, il prend la décision d'aller vivre dans la campagne reculée, expérience au bout de laquelle il conçoit à partir de 2007 Histoire d'un couple, son premier album vraiment personnel.
Toujours désireux de renouer avec la vie à la campagne, après quelques péripéties Yeon-sik Hong et sa compagne ont momentanément posé leurs valises en périphérie de Séoul.
Il a récemment publié en Corée un nouvel album, Mr Madang.




Bonjour Hong Yeon-Sik. Qu'est-ce qui vous a attiré vers le monde de la BD ?

Hong Yeon-Sik : J'ai commencé par travailler en tant qu'apprenti dans un atelier. Pendant deux ans j'ai copié mon maître, et c'est comme ça que j'ai appris les bases. Ensuite, j'ai participé à un concours de débutants.


Concrètement, que vous a apporté cette expérience ?

Mon maître faisait beaucoup de bandes dessinées pour enfants et de BD écologiques, et j'ai essayé d'apprendre sa technique de dessin n'utilisant pas la règle et basée uniquement sur le dessin à la main.


Quand vous avez commencé à réaliser des histoires courtes en 1992, quel type d'oeuvre dessiniez-vous ?

Il s'agissait d'une nouvelle d'Alphonse Daudet, La Dernière Classe. A partir de là, j'ai commencé à adapter ses nouvelles. Un peu après, je suis allé faire mon service militaire.



Pourquoi vous êtes-vous ensuite orienté vers la BD éducative ?

A cette époque, le webtoon commençait à apparaître, et je ne faisais pas partie de ce courant mainstream. Je voulais faire des bandes dessinées plus traditionnelles, et dans ce cas-là la BD éducative était celle qui pouvait me permettre de vivre de la bande dessinée.

A un moment, je me suis rendu compte que j'ai fait ça pendant dix ans...


Que pensez-vous que cette longue expérience dans la bande dessinée éducative vous a apporté dans votre style visuel et votre narration ?

En fait, c'est assez compliqué. Il s'agissait de travaux de commande qui me demandaient à chaque fois de m'adapter, et le fait de devoir m'adapter constamment commençait à me stresser de plus en plus.

Donc je dirais que ce que cette expérience m'a apporté avant tout, c'est la volonté, et le désir de faire de ce stress le moteur pour me lancer dans autre chose et m'extirper des travaux de commande.



Histoire d'un couple et votre première BD réellement personnelle...

J'ai commencé à réintégrer l'école assez tard. J'avais commencé des études, puis me suis marié, et arrêté les études, les ai reprises... bref c'était assez compliqué. Après la BD éducative, j'ai commencé à me demander ce que je voulais faire.

A cette époque, je vivais déjà à la montagne avec ma femme, et je tenais une sorte de carnet de souvenirs qui rendait compte de mon expérience et de ma vie dans cette montagne, et ceci s'est petit à petit étendu.

A la base, ce journal n'était fait que pour moi, je ne comptais pas le publier.


Dans ce cas, comment est né l'idée d'en faire une publication ?

A l'époque je me compliquais la vie en essayant de trouver un personnage et des univers pour faire une œuvre, j'avais plein d'idées en tête mais je ne parvenais pas à les mettre en ordre. C'est là que ma femme m'a dit qu'il suffisait peut-être de reprendre tout ce que j'avais accumulé dans mon journal pour le retransmettre dans une BD.



Justement, pouvez-vous parler un peu de votre épouse ? Dans votre BD, malgré les moments un peu difficiles et les quelques disputes, on sent qu'elle a été pour vous un immense soutien. Pensez-vous que votre expérience commune dans la montagne, isolés de tout, a renforcé votre relation ?

En allant vivre en campagne isolée, nous nous sommes coupés des relations que nous avions en ville, et automatiquement nous étions très isolés. Rapidement, je me suis dit qu'il n'y avait que ma femme pour m'amener la consolation. On s'est naturellement rendu compte tous les deux qu'ils fallait vraiment qu'on se soutienne mutuellement, sinon ça aurait été impossible à vivre.


Le travail visuel sur le cadre naturel est impressionnant. Comment avez-vous fait pour le retranscrire ainsi ? Vous êtes-vous basé sur des photos ? Uniquement sur vos souvenirs ?

Je me suis basé sur deux choses. D'abord l'écriture, puisque mon carnet de souvenirs comportait des annotations assez précises. Ensuite, des photos, puisque pour des paysages comme les montagnes et la maison au début, même en fermant les yeux je ne parvenais pas à les dessiner précisément. Mais à partir du moment où j'avais dessiné un paysage, après je l'avais en mémoire et je pouvais le dessiner plus facilement.



Il y a aussi un certain travail sur plusieurs métaphores visuelles sur les tourments psychologiques que vous avez pu avoir pendant cette expérience. On vous voit vous dédoubler, vous battre avec les personnages que vous dessinez, danser avec des animaux un peu humanisés... Comment avez-vous imaginé ces passages, et pourquoi avez-vous fait ces choix créatifs ?

Au fond de mon être, il y a plusieurs « moi », et comme il s'agit d'une autobiographie je voulais que le lecteur puisse se voir, se reconnaître. Je me suis dit que sans un aspect plus imaginatif ce serait impossible. Ces procédés sont là pour aider le lecteur à s'identifier à moi.


Selon vous, quand on réalise une BD autobiographique, qu'est-ce qui est le plus rude ?

Il faut savoir prendre de la distance, être objectif par rapport à son passé, et mettre en avant les choses qui ont un attrait pour séduire les lecteurs.



Vous évoquez aussi les limites du système des travaux de commande : on sent que vous étiez assez mal payé, endetté, parfois un peu brimé par les éditeurs... Etiez-vous seul dans ce cas ?

Ca arrive souvent. Mais avec le recul, je me suis rendu compte que je n'étais pas si pauvre que ça par rapport à nombre d'auteurs qui le sont encore plus. La précarité n'est pas rare dans ce milieu, et dans ces cas-là soit les auteurs arrêtent tout, soit ils tentent de persévérer et de subsister avec presque rien.


Il doit donc être assez difficile de percer dans la BD coréenne ?

Il y a deux possibilités. Soit commencer par du webtoon, soit recevoir des subventions pour concevoir sa propre BD. Ce sont les deux seules solutions.


A votre échelle d'auteur, quel état feriez-vous de la bande dessinée coréenne actuelle ?

La Corée est un petit pays qui a toujours tendance à suivre les mouvements à la mode, et actuellement la mode dans la BD ce sont les webtoons. Tout le monde s'y intéresse, beaucoup veulent en commencer, que ce soit seul ou en suivant une formation pour apprendre à en dessiner.

Actuellement, le marché de la BD en Corée est donc très ouvert aux débutants, mais malheureusement ça ne concerne que les webtoons. Les formes de BD plus classiques et les graphic novels n'existent pratiquement plus, beaucoup de jeunes ne savent plus comment en faire, et c'est ça que je regrette et qui me fait peur. J'aurais aimé que les aides et subventions concernant la diversité dans la bande dessinée, y compris la BD papier, et qu'on ne soit pas aveuglément séduit que par les webtoons.



Quel a été l'accueil d'Histoire d'un couple lorsqu'il a été publié en Corée ?

Officiellement j'ai reçu le prix Manhwa d'aujourd'hui, et parmi les fans l'accueil a été très positif, ce qui m'a comblé de joie. Il y a eu 5 éditions de deux tomes, et l'éditeur a également ressorti l'oeuvre sous la forme d'une intégrale, comme vous lecteurs français l'avez eue. La série va aussi bientôt sortir en chinois et en anglais !


Pouvez-vous nous parler un peu de votre nouvelle bande dessinée, Mr Madang ?

Cela parle de moi et de ma famille, mais au lieu de nous représenter normalement, j'ai choisi de nous montrer avec des physiques de chats. Cela débute quand la famille de chats quitte la montagne, puis ça évolue, ils ont un enfant...

C'est une sorte de trilogie. La première partie parle des parents du couple, la deuxième du couple, et la troisième de leurs enfants.

Je dirais que le fil conducteur raconte l'histoire de trois générations qui s'influencent. Au début on a l'impression que l'influence ne va que dans un sens unilatéral, mais en fait ce n'est pas le cas, par exemple les enfants vont influencer leurs grands-parents.

C'est, en quelque sorte, la suite d'Histoire d'un couple.



Pour finir, avec le recul, préférez-vous la vie en ville ou à la campagne ? Estimez-vous que les deux ont un intérêt ?

Dans la société coréenne, quand on n'est pas riche et qu'on veut vivre à la campagne, on n'a pas le choix, on doit habiter dans une maison à rénover, que ce soit une ancienne usine ou une ancienne ferme par exemple. Si on veut rénover ces endroits, il faut obtenir l'autorisation de la mairie, sinon c'est souvent illégal. N'ayant pas suffisamment de moyens actuellement et étant dans une situation un peu compliquée, pour l'instant je reste encore écarté de la campagne pour rester proche de la ville, et j'en parle d'ailleurs dans Mr Madang. Bref, pour l'instant je cherche encore où je veux me poser.


Remerciements à Hong Yeon-Sik pour sa gentillesse, à son interprète, aux éditions Ego comme X pour leur présence, et à Livre Paris pour la mise en place de cette rencontre.

Mise en ligne le 18/04/2016.