FURUYA Usamaru - Actualité manga

FURUYA Usamaru 古屋兎丸

Interview de l'auteur

Publiée le Mercredi, 26 Avril 2017

Nous avons eu la chance de pouvoir adresser nos questions par mail à Usamaru Furuya, le très talentueux auteur de Je voudrais être tué par une lycéenne, Litchi Hikari Club, Palepoli, Je ne suis pas un homme, Le Cercle du Suicide et bien d'autres mangas. Voici ses réponses !



Vous êtes un artiste touche-à-tout au parcours très atypique puisque vous vous êtes d'abord intéressé à la peinture à l’huile, la sculpture, le théâtre, la danse butô, l’expression corporelle… A partir de là, qu'est-ce qui vous a poussé à vouloir vous essayer au manga ?

Usamaru Furuya : Je n'étais pas sûr de pouvoir un jour me faire un nom dans le domaine des beaux-arts.

Dans le même temps, je me suis rendu compte que j'observais l'univers du manga avec envie, comme un enfant engoncé dans un carcan qui regarderait ses camarades jouer librement.

Le manga est un genre d'expression qui nécessite peu de personnes pour se concrétiser, ce qui me permet de mettre à profit toutes mes expériences et de déployer à fond mes propres compétences.


Vos débuts se sont faits dans le magazine Garo, vous faites en quelque sorte partie de la dernière génération de ce magazine qui avait au Japon une image bien spécifique. Comment y êtes-vous arrivé ? Que représentait ce magazine pour vous ?

Je leur ai simplement proposé mon manga de moi-même.

Le magazine Garo était réputé pour son genre bien spécifique, et j'avais vraiment envie d'y être publié, même si je n'étais pas assuré de rencontrer le succès.

Garo, de par sa longue histoire et sa réputation, est sans égal à mes yeux.



Dans une interview accordée au magazine Kaboom en 2013, vous disiez qu'à cette époque dessiner pour un magazine plus grand public ne vous intéressait pas. Pourquoi ?

Je ne me souviens pas avoir dit ça. Juste après m'être lancé dans le manga, j'ai été publié dans un magazine grand public et je trouve justement qu'il est intéressant de pouvoir varier les styles de façon à ce qu'ils s'accordent à différents types de public. À la réflexion, je voulais sans doute dire qu'au fond, je n'avais pas envie de me cantonner à un seul style.


A présent votre parcours a bien avancé et on a pu vous retrouver autant dans des magazines de niche que dans des magazines un peu plus grand public (comme le Jump Square pour Genkaku Picasso). Qu'est-ce qui vous a finalement décidé à vous essayer à des registres un peu plus grand public ? Y trouvez-vous les mêmes sensations et libertés artistiques et créatrices que quand vous officiez sur des registres moins grand public ?

J'ai façonné ma série Teiichi no kuni (inédit en France, ndlr) pour qu'elle ait sa place dans un magazine grand public. Or, elle a été adaptée en pièce de théâtre, en film live… et ça m'a fait plaisir de voir ma série toucher à d'autres genres artistiques. Ce qui est important, c'est de rester fidèle à soi-même et de ne pas gommer son individualité malgré les contraintes éditoriales.

Je viens des beaux-arts, et si j'ai voulu me lancer dans le manga, c'est parce que j'ai toujours été attiré par la pop-culture. Mais d'un autre côté, je ressentais une certaine réticence à me jeter tout entier dans cet autre univers. Je voulais apporter un regard un peu différent, plus décalé, sur le manga, et parfois j'ai l'impression de n'y être que d'un seul pied. Toutefois, ma démarche n'est pas incompatible avec le fait de dessiner une série très mainstream, à mon avis. Je conserve mon point de vue sur le monde, mes particularités propres, et j'ai malgré tout de plus en plus de fans. J'aurais envie d'amener sur le devant de la scène des genres de mangas jusqu'à présent sous-représentés.



Votre premier manga, Palepoli, est un véritable laboratoire de petites expérimentations, avec un flot considérable de références japonaises mais aussi occidentales. Est-ce un héritage direct de vos études ?

Je ne sais pas si mes études m'ont véritablement influencé, mais ce qui est sûr, c'est que j'ai voulu évoquer dans mon manga l'ensemble de ce que j'avais vu et entendu au cours de mes 25 ans d'existence.

J'ai voulu toucher à plusieurs genres d'expressions, parler de religions, faire des allégories, et j'ai aligné toutes ces choses les unes à la suite des autres pour faire ressortir à la fois leur beauté, leur puissance et leur incompétence, ce qui les rend comique, en fin de compte.

Cette œuvre a posé les fondations de celui que j'allais être plus tard.


D'ailleurs, en quoi pensez-vous que vos études (peinture, sculpture, théâtre, expression corporelle...) impactent l'ensemble de votre carrière de mangaka ? Parce que les influences de ces études semblent fortes à votre début de carrière, mais on les ressent encore dans vos titres plus récents, par exemple dans certaines scènes de Je voudrais être tué par une lycéenne qui ont quelque chose d'un peu théâtral...

Comme je l'ai déjà répondu à la question 1, je pense que c'est à travers le manga que je parviens le mieux à exprimer toutes mes différentes expériences. J'ai fait beaucoup d'études qui ont forgé celui que je suis actuellement, et j'ai trouvé un métier qui me permet de ne regretter aucune d'entre elles, mais au contraire, de les synthétiser. J'en suis très heureux.

Même si la danse butô n'a pas eu d'impact direct sur ma carrière, elle m'a permis de m'ouvrir à un plan plus spirituel et qui s'apparente à l'état d'esprit qu'on peut avoir quand on écrit un scénario de manga.



Le portrait de la jeunesse que l'on peut voir dans vos mangas passe régulièrement par des personnages qui semblent très poussés dans leurs problèmes, par exemple dans Litchi Hikari Club, et dans Je voudrais être tué par une lycéenne où certains personnages ont des pathologies et fétiches très marqués. Pourquoi ces choix ?

Dans les années 70, le Japon a connu un mouvement étudiant. Les jeunes de cette époque avaient la volonté de changer la société, les conduisant parfois à des manifestations brutales et à des luttes intestines. C'est un contexte très intéressant à dépeindre. J'ai toujours été fasciné par la psychologie humaine qui, même en partant de bonnes intentions et pour défendre les meilleures causes, finit par se laisser aller à la violence.

C'est un sentiment qui peut se retrouver dans tout un chacun.


On constate que Dans je voudrais être tué par une lycéenne il y a un certain impact des parents des personnages, qui peuvent les conditionner. Que pensez-vous de cela ?

Je pense qu'un enfant privé de liberté, qui est sans cesse influencé par ses parents, peut développer des traumatismes qui conditionneront toute sa vie future.

Il est crucial de savoir si, une fois devenu adulte, cette personne sera capable de se confronter à l'enfant qu'il était.


Dans Je voudrais être tué par une lycéenne, vous allez encore un peu plus loin car le personnage principal n'est plus un adolescent mais un prof adulte trentenaire. Faut-il y voir, en quelque sorte, un reflet de votre propre évolution, un gain de maturité ?

Peut-être, oui. Pour moi, le manga n'est pas seulement le miroir de la société, mais un reflet de moi-même. J'ai maintenant 49 ans, j'ai deux enfants, et c'est intéressant de voir dans quel sens ma réflexion a évolué.



Toujours dans Je voudrais être tué par une lycéenne, non seulement les personnages ont des troubles marqués, mais en plus on ressent beaucoup que ces troubles peuvent nuire à leurs interactions sociales, les mettent à mal eux-mêmes. Ils peuvent se sentir incompris, ne pas chercher à ce qu'on les comprenne en cachant leurs problèmes, ou ne pas forcément se comprendre eux-mêmes ou comprendre l'autre. A votre avis, comment faire pour mieux comprendre l'autre, se comprendre soi-même et s'accepter ?

Mes proches, mes amis, et même moi-même, nous vivons tous avec ce genre de problèmes, à différents niveaux. Plutôt que de se plaindre de ne pas réussir à comprendre l'autre, il vaut mieux faire preuve d'introspection, par exemple passer son enfance en revue. Ce n'est qu'après s'être analysé et s'être compris soi-même qu'on est prêt à s'écouter et à guérir ses propres traumatismes. Ensuite, on peut être capable de s'ouvrir aux autres et de les accepter. Une personne de confiance pourra vous y aider, comme par exemple Hikari, le héros de Genkaku Picasso.


En ce portrait d'un malaise adolescent dans une société où il est dur d'être compris, pensez-vous que vos œuvres sont un témoin de la société actuelle ? D'ailleurs, comment ressentez-vous la société d'aujourd'hui ?

À toutes les époques, l'adolescent s'est senti mal à l'aise dans la société. C'est un sentiment inévitable dès lors qu'il s'agit d'interagir avec des gens.

Comme je l'ai répondu précédemment, pour moi, le manga n'est pas seulement le miroir de la société, mais un reflet de moi-même.

Souvent, à la fin de mes mangas, tout n'est pas sombre : il reste une lueur d'espoir. Ça prouve que moi-même, je ne suis pas complètement désespéré par la société.



Quelle importance accordez-vous à la mise en scène et au découpage ? Car à ce titre, de nombreuses scènes bluffent par leur maîtrise.

L'importance accordée au découpage n'est pas spécifique à mon approche, je trouve que c'est ce qui définit le manga en général. Ce qui fait l'identité de la bande-dessinée japonaise, ce n'est pas le style graphique, mais bien la mise en cases.


Par exemple, Dans je voudrais être tué par une lycéenne, vous alternez vues de devant et de derrière sur une même scène pour qu'on en saisisse tout (par exemple dès les pages 5 à 7 quand le prof marche vers le lycée dans l'allée, avec des adolescents devant et derrière lui). Vous pensez aussi aux mouvements secondaires ou hors du cadre avec minutie (comme en page 70, où d'autres silhouettes continuent d'avancer, disparaissent ou apparaissent tandis que Maho et Aoi poursuivent leur discussion dans le couloir). Comment avez-vous peaufiné cette manière de si bien penser l'espace et les mouvements ?

La mise en cases dépend vraiment de la sensibilité de chaque auteur. Je compare le trait à la force physique, et le découpage aux nerfs moteurs. On peut améliorer son niveau en dessin, mais à mon avis, il y a une grande part d'inné dans la façon de découper ses cases. J'ai lu beaucoup de magazines shônen quand j'étais petit, et j'ai assimilé leurs découpages sans même m'en rendre compte. C'est pourquoi j'aurais beaucoup de mal à parler de peaufinage.

Je tiens à adresser mes remerciements à tous les lecteurs français qui, de si loin, ont pris la peine de lire mon manga. J'aimerais avoir la chance de venir en France un de ces jours. Merci à vous !


Questions proposées par Koiwai. Un grand merci à Usamaru Furuya pour ses réponses, et à Fédoua Lamodière pour la traduction !

Mise en ligne le 26/04/2017.