DARA - Actualité manga

Interview de l'auteur

Publiée le Vendredi, 08 Mai 2015

Interview 1



Parmi les nombreuses rencontres de la treizième édition de Japan Expo, nous avons eu l'occasion de revoir Dara, l'auteur d'Appartement 44.

En pleine écriture du dernier tome d'Appartement 44, prévu pour début 2013 chez ANKAMA, cet auteur simple et souriant a bien voulu répondre, une fois de plus, à nos questions.


Entre France et Japon, entre crayon papier et numérique et enfin entre travail professionnel et fanzinat, les influences et les expériences de Dara se sont multipliées ces derniers mois et nous sommes revenus avec lui sur son parcours et ses travaux. Bonne lecture !


Appartement 44 : faire l'état des lieux, mais garder les clefs…


Nous voilà proches de la fin : le quatrième et dernier tome d’Appartement 44 est en cours. Comment ça se profile ?




Ben ça se profile bien, il est quasiment terminé donc il n’y a plus qu’à le sortir ! (Rires)


Non, en fait il me reste deux chapitres à faire sur les huit, c'est-à-dire une quarantaine de pages. Ça devrait donc être fini dans quelques semaines (la dernière page a depuis été atteinte et réalisée, fin août, NDLR).


Est-ce que tu as plutôt hâte d’avoir fini ou est-ce que tu aimerais bien y rester encore un peu dans cette histoire ?


D’un côté je suis un peu triste de quitter les personnages, mais il y a un moment où il faut bien passer à autre chose. Là je viens de commencer un nouveau projet, donc ça me permet de faire ça en parallèle, de me changer les idées…


En parlant de projet : pourrais-tu nous présenter OCRE ?


Au Japon je suis édité depuis 2008 par un ami qui fait des fanzines pour moi et, depuis trois ans, nous suivons un rythme de deux fanzines par an sur place, en français et japonais à chaque fois. Depuis les débuts, le public se renouvelle et l’idée est de présenter mes travaux passés à la nouvelle génération qui arrive.


On est donc remontés jusqu’à mes débuts dans le fanzinat avec les fanzines de SAILOR MOON et mes créations d’ados jusqu’à aujourd’hui, pour créer cette rétrospective du nom de OCRE, qui est sortie en décembre dernier.




Et après OCRE, quels sont les travaux à venir en fanzine ?


Depuis j’ai réalisé un autre fanzine, mais il est un peu à part, car il porte sur l’un des personnages d’Appartement 44, Gigi.


Et d’autres sont prévus puisqu’il y aura quatre histoires, quatre flash-back sur chacun des personnages, qui expliquent un peu leur background. Donc finalement, même après le quatrième tome, ce n’est pas tout à fait fini ! (Rires)


Avant Appartement 44, on te connaissait assez peu…


Je ne suis toujours pas vraiment « connu » ! (Rires)


Mais si, mais si ! (Rires) En tout cas, qu’est-ce que cette aventure a changé pour toi ?


En fait, elle a surtout influencé mon rythme de travail, qui est beaucoup plus soutenu maintenant.


Jusqu’à l’année dernière, je travaillais dans le monde du jeu vidéo, à mi-temps avec le manga. Mais depuis début janvier, je ne fais plus que ça, donc j’ai l’impression de progresser de plus en plus. C’est surtout ça le changement pour moi.


Sinon, sur les conventions, ça ne change pas grand-chose…


(Réfléchis) Si, à la limite, on va parler un peu plus de moi ou me voir dans des conventions un peu plus grand public ou en dédicaces à la FNAC, ce qui ne m’arrivait pas avant. Mais c’est tout.




Qu’est-ce que tu te dis quand tu relis le premier tome ? Est-ce que ça t’arrive d’ailleurs ?


Oui, je relis les tomes précédents très souvent parce que j’ai besoin de références, pour savoir si telle chambre est organisée de telle façon, si la porte s’ouvre à droite ou à gauche… Vous verrez, ça change souvent suivant les besoins de la narration. (Rires) Après, c’est vrai que lorsqu’on ouvre un vieux tome, on trouve des choses à corriger. Mais même sur le tout dernier tome je voudrais déjà changer des choses, mais on ne peut pas. Sinon je passerais ma vie sur la même planche ! (Rires) Donc finalement, je suis assez content du chemin parcouru. Je referais les choses différemment aujourd'hui, mais je suis content d’avoir pris tel ou tel chemin à l’époque parce qu’au moins, j’ai tenté le coup… Et même quand ça n’a pas fonctionné, j’ai appris qu’il existe des voies différentes.


Un exemple des choses que tu ne referais pas ?


(Cherche) Par exemple le fait de choisir d’emblée qu’Appartement 44 fasse quatre tomes. Il y avait toute une symbolique autour du chiffre quatre : quatre personnages, l’appartement 44, etc. Mais s’imposer un nombre de tomes, c’est hyper contraignant sur la narration : j’ai dû comprimer certaines choses alors que le public manga n’est pas forcément habitué aux ellipses…


Dans le monde du manga, le public est souvent mitigé sur les fins, on sent que c’est une étape difficile… Est-ce que ça a été le cas pour toi sur Appartement 44 ?


Je crois que c’est quelque chose de difficile pour les mangas qui sont hyper longs où, par exemple, deux personnages sont destinés dès le début à finir l’un avec l’autre, ou alors lorsque l'auteur doit laisser les choses en suspend à la fin parce qu’on veut faire une suite…


Moi ce n’est pas du tout le cas, c’était prévu dés le départ en quatre volumes, avec un début et une fin.




Manga et BD, papier et numérique : d'un appartement à un autre…


Tu as été présenté comme un auteur de mangas… Quelles sont tes références en la matière ?


J’ai toujours été un gros lecteur de BD, puis de comics et enfin de mangas. C’est pour ça que je ne me vois pas faire du manga toute ma vie.


Le manga par lequel je suis venu à ce genre c’est SAILOR MOON, puis j’ai découvert tous les autres. C’était l’époque d’AKIRA et de Dragon Ball et, comme tous les fans de l’époque, je lisais tous les mangas qui sortaient. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout possible !


Mes auteurs de prédilection sont Akira Toriyama - encore et toujours - pour le côté humoristique des premiers Dragon Ball ou Dr. SLUMP. J’aime beaucoup Urasawa, ou des choses plus légères comme du Takahashi avec Ranma ◊.


J’aime aussi les choses plus sombres comme Say hello to BLACK JACK, des histoires qui délivrent des messages forts. Par contre, je suis moins attiré par tout ce qui est BATTLE ROYALE et compagnie, ce n’est pas mon truc.


Zozo, le chat d’Appartement 44, fait aussi penser à Roméo, le matou fan de crêpes dans Lucile, Amour & Rock’N'Roll…


C’est un lointain descendant… (Rires)


C’est tout à fait ça, mais j’assume complètement, j’ai même relu la série il y a peu lors de la sortie du manga chez TONKAM, avec beaucoup de plaisir.


L’étiquette d’auteur de mangas français est parfois compliquée à gérer, comme dans le cas de Maliki par exemple…


D’autant que pour Maliki, ce n’était pas forcément une étiquette justifiée, ses livres n’avaient rien d’un format manga. En ce qui me concerne, ça ne me dérange pas vraiment… Je m’en fiche un peu à vrai dire.


Je dis plus facilement que je suis auteur de BD et que, en ce moment, je travaille au format manga. Peut-être qu’après je travaillerai au format BD. C’est juste une question de forme.


L'année dernière, au moment de la sortie du deuxième tome, tu nous expliquais : « Dans mon histoire, tout passe par la transformation de ce que ressentent les personnages, le format manga était donc indispensable ». Alors qu'en est-il aujourd'hui, est-ce que ce format manga te convient toujours autant ?


Oui, c’est un format qui me plaît beaucoup, mais, comme je le disais, tout dépend de l’histoire que l'on veut développer. Sur un genre d’histoire comme Appartement 44 où il se passe pas mal de choses, avec un scénario assez long, c’est en effet un format adapté.


Mais si je veux plus de décors, que j’ai envie de présenter un univers, je pense que le format BD conviendrait mieux avec la couleur, les grandes pages… Ça dépend vraiment de ce qu’on veut raconter en fait.


Une des caractéristiques du manga, c’est précisément le noir et blanc. La couleur te manque ?


Oui ça me manque… (Poursuit, en souriant puis en rigolant), Mais avec le nombre de planches qu’il faut sortir, s’il fallait qu’on mette la couleur on s’en sortirait jamais !


Justement, quid des assistants, comme au Japon ?


En fait, j’en ai eu une sur le volume deux et j’en ai une nouvelle, Moemai (la partenaire de Liaze sur Lost Soul chez TAÏFU Comics, NDLR), sur les volumes trois et quatre.


Cela dit, c’est très différent du Japon parce qu’on travaille par mail. On réalise des pages numériques (sur le logiciel Manga Studio) et on ne se passe pas les planches de main à main. Mais ça reste très bien parce que ça permet de dynamiser le travail. Quand on le fait tout seul, c’est parfois un peu rude.


Cette assistante travaille sur quelle partie ?


Moemai travaille sur les décors, principalement, et sur les trames. Je réalise l’encrage des personnages puis je passe tout au crayonné et elle s’occupe des finitions.


Tu réalises tes dessins en numérique, mais ce n’est pas toujours le cas, non ?


C’est vrai qu’avant Appartement 44, je travaillais au crayon, cependant comme les impressions sont maintenant faites numériquement, c’était un gain de temps de ne pas passer par le scan et tout le reste. Mais j’aimerais revenir au crayon sur le prochain projet.


Tu préfères cet outil ?


En fait le problème sur le numérique, c’est que tu travailles souvent en zoom assez serré pour des choses qui ne vont pas forcément se voir à la fin. Travailler sur papier te donne une vue d’ensemble immédiate.




Les conventions et le public, ces chers voisins…




Tu as fait des salons BD / manga en France et au Japon… Quels sont les points communs et différences ?


En tant qu’auteur, la première différence c’est qu’au Japon, on ne fait pas de dédicaces, mais juste des signatures. Donc ça va beaucoup plus vite et c’est moins fatigant ! (Rires)


En plus, on trouve toujours du matériel de dessin là-bas et à un prix raisonnable, c'est assez pratique. Ensuite, le public japonais est hyper respectueux, plus doux, donc c’est assez peu stressant…


De l'autre côté, le public français est plus… exigeant ?


(Souriant) Disons qu'il arrive que le public français fasse des remarques…


Du genre ?


(Imite, avec le sourire) « Ah ! La dédicace de cette année, elle n’est pas terrible par rapport à celle de l’année dernière ». (Rires) Bon ça n’arrive pas souvent, mais quand ça arrive, c’est assez drôle !


Pour en revenir à la question précédente, en tant que visiteur, je trouve qu’on piétine davantage dans les salons français que dans les salons japonais… Je ne sais pas vraiment pourquoi - sans doute une question d’organisation -, mais c’est vrai que sur un salon japonais, on arrive à circuler et on peut assez facilement se rendre où on veut.




Chez nous, les gens ne savent pas toujours où ils vont…


Oui il y a de ça et puis au Japon, il n'y a pas de gens qui s’arrêtent pour prendre des photos en plein milieu des allées ou des attroupements à chaque carrefour.


Donc au final, une légère préférence pour les salons japonais ?


Oui parce que je trouve ça plus exotique, mais j’aime bien aussi des salons comme Japan Expo parce que j’y retrouve tous mes potes donc j’apprécie également.


Puisque l’on parle de Japan Expo, ton avis sur le festival ?


Globalement, je préfère les salons plus petits qui sont souvent plus conviviaux, à taille plus humaine. Là, le problème, c’est déjà d’arriver à venir sur le salon. En RER, c’est l’horreur… En voiture, c’est l’horreur… Villepinte ce n’est pas vraiment l’idéal.


Mais pour les auteurs comme pour les fans, ça reste un incontournable parce qu’il y a toujours des invités intéressants et que c’est là que notre public est présent, donc ce serait dommage de ne pas venir.


Et pour finir, puisque tu parles des lecteurs, un message à leur délivrer ?


J’ai la chance d’avoir un lectorat assez réactif via la page Facebook et je reçois plein de fanarts et de commentaires. Donc je voudrais les remercier, déjà, pour leur soutien.


Et je souhaiterais ajouter des encouragements, parce qu’il y a beaucoup de lecteurs qui dessinent et qui aimeraient devenir professionnels. Donc je voudrais leur dire de continuer et de ne pas se décourager. Même s’ils n’en font pas leur métier, le faire en tant que fanzinat, c’est déjà génial !


Merci Dara… Et bonne route pour tes prochaines aventures !


Interview 2



A l'occasion de la sortie du global manga Angélique chez Casterman, nous avons eu le privilège de rencontrer Olivier Milhaud et Dara, respectivement scénariste et dessinateur de cette remise au goût du jour de la saga romanesque créée par Anne Golon. Au cours de cet entretien, nous sommes surtout revenus sur la genèse de ce projet, en découvrant les différences fondamentales entre cette nouvelle version de l'oeuvre et celle que le grand public connait, au travers de ses nombreuses adaptations cinématographiques. Oubliez tout ce que vous savez sur la Marquise des Anges !



 
  
Comment avez-vous rejoint ce projet d'adaptation d'Angélique en global manga ?
Oliver Milhaud : J'ai été contacté le premier, par le coordinateur à l'origine du projet, Nicolas Forsans. Lorsqu'il m'a présenté cette idée, j'étais plutôt sceptique au premier abord : Angélique, c'est quelque chose d'assez sacré, tout le monde a en tête les films des années 1960. Mais je me suis mis à lire les romans originaux, et j'ai finalement été convaincu. Je l'ai donc rappelé pour rejoindre cette nouvelle adaptation. En revanche, le projet initial devait partir sur une bande-dessinée réaliste, au format classique. Mais vu l'aspect feuilleton des romans, j'ai suggéré le format manga, dont le découpage est plus approprié, qui permet quelques digressions et de bien mettre en avant l'intrigue. Quelques semaines plus tard, il avait pris contact avec Dara et organisé une rencontre commune, et nous nous sommes rapidement mis au travail.


 
Dara, comment avez-vous conçu le design de votre Angélique ?
Dara : Avant le projet, je n'avais ni vu les films, ni lu les romans. J'ai commencé à lire le premier tome et j'ai été à mon tour convaincu de l'intérêt du projet. Il m'a aussi semblé plus judicieux de le faire en manga qu'en BD. On imaginait au départ travailler sur un format manga standard, mais le format final s'est décidé un peu plus tard. D'ailleurs, ce format un peu plus grand met davantage le dessin en valeur, j'en suis très satisfait, et pour un dessinateur, c'est très agréable ! (rires)
  
Concernant la création du personnage, la principale difficulté était de la représenter à plusieurs époques de sa vie. Le récit débute alors qu'elle est une enfant, mais dès le tome 2, elle est déjà une adolescente de 14 ans et deviendra vite une adulte. Il fallait assurer une continuité entre les étapes de sa vie, sachant que le récit accorde une certaine importance à ses coiffures qui varient beaucoup. Or, c'est souvent l'élément le plus caractéristique d'un personnage ! (rires)
  
Nous mettrons peut-être un jour dans un album les premières versions de son design, qui s'est affiné au fil des prototypes, notamment au niveau des yeux, et les cheveux ont été rallongés. Et ses robes sont de plus en plus échancrées, mettant son corps en valeur ! (rires)
 
Oliver Milhaud : L'époque le voulait aussi, ce n'est pas qu'une obsession graphique, même s'il m'arrive dans les storyboards de mettre la mention « Shot boobies » ! (rires) Cela dit, ce n'est pas que du fan-service, cela permet de mettre en avant les codes de l'époque...
  
L'introduction de l'histoire est assez surprenante. Était-ce une obligation de débuter ainsi ?
Oliver Milhaud : Oui, nous avons nous-mêmes été surpris à la découverte du roman original. Nous avons été surpris par la richesse de l'histoire, et cette introduction dénature complètement l'image que l'on peut avoir d'Angélique au travers des films de Borderie. On n'est pas dans les gentils batifolages avec Nicolas au bord de la rivière, loin de là... Mais c'est la dure réalité du XVIIème siècle. C'est même cette introduction qui m'a le plus donné envie de me lancer dans cette adaptation. Cependant, malgré la gravité des faits, nous avons tenu à ne rien montrer d'explicite, nous ne faisons qu'évoquer, pour ne pas flatter les bas instincts de certains lecteurs.
 
Dara : Nous avons présenté cette scène sans complaisance, mais elle reste intéressante car représentative de son époque et qu'elle marque la psychologie d'Angélique, renforçant son caractère pour faire face aux mœurs de son temps.
   

 
Du coup, quel est le lectorat visé par cette adaptation ? A partir de quel âge peut-on le lire ?
Oliver Milhaud : A partir du début du collège, mais nous avons fait en sorte que cela reste pour tout public. Nous espérons que les garçons comme les filles s'y intéressent, mais aussi toucher les adultes voire même les personnes plus âgées, qui pourraient être sensibles à cette histoire. Après, effectivement, ce sera plus compliqué pour les plus petits, mais en même temps, on a tendance à sous-estimer leur rapport au monde. Ils voient malgré tout des images dures tous les jours, mais parviennent à dédramatiser par eux-mêmes. D'ailleurs, c'est la même chose pour Angélique, qui est confrontée à une réalité très difficile dès son plus jeune âge, mais qui reste malgré tout très optimiste.
   
Avez-vous fait des recherches documentaires pour reconstituer le contexte de la série ?
Oliver Milhaud : Pour ma part assez peu, car le roman est déjà très fourni en descriptions. J'ai simplement levé quelques incertitudes sur certains mots de vocabulaire, mais rien de plus. Contrairement à Dara qui a eu beaucoup plus de travail !
  
Dara : En effet, des détails pouvant paraître simple comme les coiffures m'ont demandé un certain nombre de recherches. Cependant, il fallait trouver le juste milieu entre la véracité historique et l'efficacité narrative, pour ne pas rebuter le lecteur. Par exemple, à l'époque,l'hygiène dentaire laissait largement à désirer, mais c'est un élément que j'ai « étrangement » mis de côté ! (rires)
 
Internet a grandement facilité mes recherches, mais j'ai aussi pris conseil auprès d'amis costumiers pour des théâtres, qui m'ont fourni des livres géniaux sur le sujet. Après, il ne fallait pas se perdre dans les nombreuses anecdotes sur l'époque, sur la manière de manger par exemple,... Quoiqu'il en soit, c'était un très bon exercice, assez différent de ce que j'ai pu faire par le passé.
   
 

Pour reparler du vocabulaire, comment avez-vous décidé du niveau de langage employé ? On retrouve aussi quelques expressions provinciales, n'est-ce pas un risque de perdre certains lecteurs ?
Oliver Milhaud : Au départ, j'ai fait quelques essais avec un langage plus contemporain, mais ça n'était pas du tout efficace. Cela s'intégrait mal, et on ne ressentait pas les différences sociales entre les personnages. Utiliser un langage plus daté et plus soutenu peut paraître feint et désuet, mais cela contribue à l'esprit du livre ainsi qu'à l'intégration dans un contexte purement français.
  
Du coup, le titre va-t-il avoir des difficultés à s'exporter ?
Didier Borg (éditeur de la série, ndlr) : Non, parce que le propre d'une traduction c'est de retranscrire un texte, une idée. Après, ce sera la responsabilité des éditeurs étrangers et des adaptateurs de mettre en avant telle ou telle différence sociale, ou de retranscrire de manière plus moderne. 
 
Oliver Milhaud : Et puis, nous avons tenu à rester malgré tous compréhensibles, malgré l'emploi de certains termes un peu ardus.
   
Les droits de l'oeuvre d'origine ont-il été difficiles à obtenir ?
Didier Borg : L'auteure, Anne Golon, a apprécié et adoubé tous les éléments narratifs et scénaristiques au fil de l'avancée du projet. Ce n'était pas non plus un processus de validation continu, mais d'acceptation de ce qui a été effectué.
Oliver Milhaud : Nous avons aussi beaucoup échangé avec la fille de la romancière, qui a pu nous conseiller sur certains points, des aspects de caractère et de comportements sous-entendus dans le roman original, par exemple.
  
  
La série va être publié à un rythme assez soutenu pour un projet français, avec deux tomes de 200 pages par an. Comment vous êtes vous organisé pour tenir le rythme ?
Dara : Je travaillais déjà à un rythme soutenu pour Appartement 44, donc je suis plutôt habitué à cette cadence. Mais c'est très stimulant d'avoir un éditeur prêt à publier notre travail alors qu'il vient d'être réalisé, parfois il y a beaucoup plus d'attente avant de voir notre travail en librairie.
 
De plus, je travaille avec deux assistantes, l'une pour les décors, l'autre pour les trames, ce qui me permet de me concentrer sur la mise en page et sur les personnages. Pour les décors, je les réalise une première fois moi-même, afin que mes assistantes aient une base de travail pour les refaire sous différents angles.
  
Oliver Milhaud : Dara et moi communiquons par mail, et c'est aussi par ce biais que je lui envoie le scénario. Il y a parfois quelques retouches lors de la réalisation des planches, mais généralement tout se passe très bien. 
  
Dara : J'avais déjà travaillé avec un scénariste, mais c'est la première fois avec Olivier, et en effet tout se passe très bien, nous sommes sur la même longueur d'onde.
  
   
Comme nous l'évoquions plus tôt, l'histoire va avancer assez rapidement. Comment évolue-t-elle par rapport au roman ?
Oliver Milhaud :  Il faudra environ entre deux et deux tomes et demi du manga pour couvrir un volume du roman. D'ailleurs, nous pouvons vous confirmer qu'Angélique rencontrera Joffrey de Peyrac dès le troisième volume !

  
  
Comment conseillerez-vous la série à un public âgé ?
Oliver Milhaud :  « Vous retrouverez votre jeunesse ! » (rires)
Non, plus sérieusement, je pense que cette histoire est en résonance avec notre société actuelle. Angélique est une jeune fille, enfermée dans un carcan social très difficile, qui s'en sort comme elle peut. On retrouve aussi tout le contexte des guerres de religion, l'exclusion latente des protestants, des huguenots,...
 
Dara : Je dirais pour ma part que c'est l'occasion de redécouvrir l'histoire d'Angélique telle qu'elle a été imaginée à l'origine, loin de l'image que nous renvoient les films. 
 
Oliver Milhaud : En effet, on retrouve toute son enfance, qui était absente dans les films, et l'on va suivre son évolution pas à pas, avec sa force de caractère qui lui fera affronter les pires obstacles.
  
  
C'est une Angélique version shônen nekketsu, en quelque sorte !
Oliver Milhaud :  C'est ça ! D'ailleurs au départ, nous étions parti sur une ambiance plus axée shôjo, mais ça ne fonctionnait pas du tout.
 
Dara : Nous dérivions peu à peu dans une mise en scène grandiloquente, façon shôjo années 70. Même les japonais ne font plus ça aujourd'hui ! Nous aurions pu nous en servir pour faire du second degré, mais nous avons voulu éviter cet écueil, car Angélique a déjà une connotation un peu « kitsch » apportée par les films.
   
   
Remerciements à Oliver Milhaud, Dara, ainsi qu'à Didier Borg et à toute l'équipe des éditions Casterman.

Mise en ligne le 08/05/2015.