BENJAMIN - Actualité manga

Interview de l'auteur

Publiée le Mardi, 16 Décembre 2014

A l'occasion de sa venue à Paris pour une nouvelle exposition qui lui était consacrée à la Galerie Arludick en novembre 2014, nous avons eu le plaisir de rencontrer Benjamin, artiste chinois au style incroyable...




Bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Pour commencer, pouvez-vous nous raconter votre parcours d'illustrateur d'auteur de bande-dessinée ?

Je me suis lancée dans la bande-dessinée au milieu des années 90, et j'ai publié trois albums au début des années 2000.
J'ai également réalisé deux recueils de nouvelles, et pendant toute cette période je n'ai jamais cessé de peindre. Mon premier recueil d'illustrations, Chinese Youth est quant à lui sorti en 2009.


Quel a été le point de départ de votre dernier ouvrage, Chinese Girls?

Dans Chinese Youth, je m'étais intéressé aux hommes comme aux femmes.
A la sortie de l'album, j'ai pu constater que le public français était intrigué par le fait qu'un homme puisse représenter les femmes avec un tel regard. Face à cet intérêt particulier, j'ai décidé de consacrer mon recueil suivant exclusivement à la gent féminine.
Pour préparer Chinese Girls, j'ai étudié les travaux de nombreux peintres pour étudier la manière avec laquelle ils représentent les femmes.
Mais j'ai souvent eu l'impression qu'ils ne les comprenaient pas : ils expriment souvent un intérêt purement formel, esthétique, avec des modèles dévêtus de préférence. Pour ma part, je cherche à déceler ce qui se cache au fond d'elles. C'est d'ailleurs ce qui m'a poussé à écrire l'histoire de certaines d'entre elles dans l'ouvrage, afin que le lecteur puisse comprendre leurs ressentiments.




Comment s'est déroulé votre rencontre avec Pika Editions, et votre retour en France ?

Ce contact a été rendu possible par mon ancien éditeur français, Xiao Pan, qui m'a mis en relation avec Pika.

Pour la première fois avec Chinese Girls, on découvre un aperçu de votre travail avec des croquis préparatoires.

Quelles sont les étapes de votre travail ?
Certaines illustrations peuvent vous prendre un mois de travail...
Les dessins que l'on trouve dans le carnet ne sont pas des croquis préparatoires pour des illustrations plus complexes.
Ce sont des exercices pour me perfectionner, combler certaines lacunes techniques, essayer des angles de vues inhabituels, faire des essais, ou noter des éléments qui m'interpellent dans la vie quotidienne.

Le portrait de la jeune femme regardant face au spectateur m'a effectivement pris plus d'un mois de travail, car c'est un angle de vue que j'utilise très rarement. On doit présenter toutes les facettes du visage, sans s'abandonner à une symétrie trop plate.
Il faut aussi donner du relief, faire ressortir en avant le bout du nez par rapport aux yeux,... C'est donc un exercice très difficile, et j'ai passé beaucoup de temps à rendre ce visage le plus expressif possible.




Vous utilisez de nombreuses techniques dans votre travail, notamment l'usage de la tablette graphique. Quel intérêt trouvez-vous aux outils numériques ?

La tablette graphique m'offre une certaine liberté, elle me permet de dessiner n'importe où et d'avoir tout le « matériel » en main instantanément. Les outils traditionnels requièrent plus de préparation et plus d'espace.
J'ai beaucoup d'admiration pour les gens qui continuent de travailler sur papier. D'ailleurs, dans le milieu artistique, la peinture numérique est dans une case à part.
Mais je pense qu'à terme, la plupart des artistes devront recourir aux outils informatiques, et que cette séparation n'aura plus lieu d'être. Et c'est la peinture sur papier qui deviendra un cas particulier !
Votre travail sur les couleurs est particulièrement apprécié.



Pourquoi employez-vous des teintes aussi vives, qui contrastent avec le côté mélancolique de vos personnages ?

Les couleurs vives me permettent d'attirer le regard du spectateur. Dans Chinese Girls, je représente des femmes d'aujourd'hui, qui doivent faire face à de nombreux problèmes, à une insécurité latente qui complique les relations amoureuses. Leur position dans la société chinoise contemporaine n'est pas enviable. Cela ressort sans doute dans l'atmosphère de mes compositions. Cela dit, je pense qu'il s'agit d'une étape de notre époque, mais que les relations entre hommes et femmes en Chine sont amenées à évoluer.


Comment compareriez-vous la situation des femmes chinoises par rapport aux européennes ?

Par certains aspects, la société chinoise a une manière de penser encore trop traditionnelle, presque féodale : les femmes vivent au crochet de leurs maris et doivent se marier tôt pour s'occuper de l'éducation des enfants. Elles vivent une double pression contradictoire, entre cette vision paternaliste et l'influence de l'occident et du capitalisme, qui les incite à être indépendantes, à gagner de l'argent par elles-mêmes. Ce sont deux visions très différentes et qui ne peuvent s'accorder.
Et cette incompréhension peut parfois générer des situations très violentes entre hommes et femmes. Au fond de moi, je pense que la Chine manque surtout de romantisme.



Vous faites partie des pionniers de la bande-dessinée chinoise. Pensez-vous être devenu un modèle pour de nouveaux et futurs auteurs ?

En effet, d'autant que j'ai créé une école pour des artistes en herbe, et j'y donne moi-même des cours. Je leur apprends mes méthodes de dessin, même si j'aspire au fait qu'ils trouvent leur propre style.

Merci beaucoup, et bonne continuation...

Merci aux éditions Pika, à Benjamin et son interprète pour cet entretien.