BRANTS Elsa - Actualité manga

Interview de l'auteur

Publiée le Jeudi, 20 Novembre 2014

En Juin dernier sortait aux éditions Kana le premier tome de Save me Pythie, une production française signée Elsa Brants, épouse de Guillaume Lapeyre qui est l’auteur de City Hall. Plus que pour célébrer le quinzième impact de Japan Expo, l’auteure est venue fêter la sortie du premier volet de son titre humoristique sur thème d’Antiquité. Kana a d’ailleurs mis les petits plats dans les grands, avec un espace entièrement consacré à cette nouveauté française.
Pour nous, ce fut l’occasion de rencontrer Elsa Brants à travers un entretien convivial où l’auteure est revenue sur son parcours, ses influences et sa nouvelle série.


                             


Bonjour Elsa. Peux-tu d’abord nous parler de ton parcours et de ce que tu as fait avant Save me Pythie ?

Elsa Brants : J’ai rencontré mon mari en 1998 dans un fanzine. On a tous les deux décidé de devenir d’abord amoureux, puis accessoirement auteurs de bande-dessinée. (rires) Ensemble, nous avons monté différents projets tout en ayant des petits boulots à côté pour vivre. Nous avons procédé ainsi pendant 5 ans avant qu’on signe notre première BD. Il était dessinateur et j’étais coloriste. J’ai ensuite mis plusieurs BD en couleur, par exemple Nanami.
Puis, j’ai eu la chance de pouvoir dessiner une BD sans texte pour les tout-petits, Lily. Elle s’adresse aux 3 à 6 ans qui n’ont pas besoin de parents pour la lire. Il n’y a pas de texte, donc ils imaginent l’histoire selon leurs propres mots. Quand Lily a été arrêtée au bout de 4 tomes, j’ai été très triste mais ai monté d’autres projets avec différents scénaristes et dans différents thèmes. J’en suis arrivée à une période où il ne me restait que deux mois d’économies. Il fallait donc songer à trouver un travail qui me permettrait de faire vivre la petite famille. Deux mois, c’était le temps idéal pour monter un projet seule, dans mon délire, comme ce que je faisais quand j’étais enfant. C’est dans cet esprit que j’ai créé Save me Pythie. C’est en fait ce que j’aurais dû faire depuis le début, car les éditeurs ont de suite accroché.



  

Pourquoi le format manga noir et blanc ?

C’est quelque chose que j’aurais voulu faire dès le départ mais les éditeurs étaient contres, préférant soit le franco-belge, soit éditer des auteurs japonais pour le manga. J’ai été élevée au Club Dorothée et ai lu énormément de manga, et ce même si je lisais de tout, de la BD franco-belge aux comics. C’est néanmoins le manga qui m’accrochait le plus, et c’est sous ce format que je pense pouvoir raconter le plus de choses. Quand on m’a autorisé à faire mon histoire sous ce support, je me suis sentie libérée. Actuellement, quand je dessine, ça coule naturellement tandis que j’avais plus de difficultés sous le format franco-belge.


Comment s’est déroulée la prise de contact entre toi et Kana ?

J’ai envoyé mon projet à tous les éditeurs et, dans le doute, même à ceux qui ne publiaient pas de global manga. J’ai eu plusieurs réponses positives, mais j’ai été ravie quand Kana m’a fait une proposition pour mon projet, car c’était mon choix premier.


Entre le moment où tu as monté ton projet et le feu vert accordé par Kana, combien de temps s’est-il écoulé ?

Ça a été assez rapide puisque seulement deux mois se sont écoulés entre l’envoi du dossier et la réponse positive de Kana. Ensuite, il a fallu deux autres mois pour finaliser le contrat et conclure la négociation, mais ça a été très rapide.


Est-ce que ton mari a eu un petit droit de regard sur ton travail, ou pas du tout ?

On travaille tous les deux à la maison, donc on se voit tous les jours. (rires) Chacun a un second regard sur le travail de l’autre. J’ai les idées pour les design des filles ainsi que les costumes, et lui vient m’aider sur le story-board. Il y a une aide ainsi qu’un échange de bons procédés.


Kana a-t-il eu aussi un droit de regard sur la série ou le scénario ?

Au départ, nous avons discuté de la tournure que prendrait la série, même s’ils ne m’ont pratiquement rien fait changer car mon travail leur plaisait. Après, au jour le jour dans la création, j’envoie tout mon story-board à Christelle Hoolans de Kana. Elle me dit si le rendu lui plait ou si des éléments sont à changer. Souvent, ce sont des points de compréhension dans le dialogue qui ne sont pas tout à fait clairs, ou encore des scènes d’action qui doivent mieux être définies. Pour l’instant, elle me laisse plutôt tranquille. (rires)
Néanmoins, j’aime avoir son avis.


Tu te dis influencée par Gotlib et Rumiko Takahashi. Qu’apprécies-tu dans le travail de ces deux auteurs ?

Dans les deux cas, c’est l’humour qui me plaît le plus. A chaque fois que j’ouvre un ouvrage de Gotlib ou Rumiko Takahashi, je ris aux éclats. Ces auteurs me mettent de bonne humeur.



  

La bande-dessinée humoristique est peut-être la plus compliquée à faire parce qu’il faut sans cesse se renouveler. Est-ce pour toi un challenge, ou as-tu justement énormément d’idées en tête que tu n’as pas encore pu raconter ?

Comme ce n’est que le tome 1, j’ai cette sensation de ne pas avoir tout dit. Le matin, au réveil, j’ai sans cesse de nouvelles idées en tête. Une idée de gag ? Je la note sur le carnet à côté de mon oreiller. (rires)
On verra dans quelques années où j’en serai, mais il me reste beaucoup de choses à dire.


As-tu déjà convenu d’un certain nombre de tomes avec l’éditeur ?

Pour l’instant, nous avons signé trois tomes, en se laissant le temps de voir comment ça marche, réfléchir à si on en fait d’avantage ou si on part sur autre chose. L’histoire est pour le moment prévue pour trois opus, mais elle peut s’ouvrir si la série se poursuit. C’est une mécanique à la Rumiko Takahashi avec une succession d’aventures plus ou moins courtes. Ça nous laisse la liberté de conclure au troisième volet, ou alors de continuer.


A la rédaction de Manga News, nous avons beaucoup apprécié ce premier volume et avons été étonné par le travail de recherches. On a l’impression que tu as lu beaucoup de livres sur l’Antiquité et la mythologie.

En effet, mais je m’y suis pris tôt, je devais avoir neuf ans quand j’ai commencé. Au moment où j’ai commencé Save me Pythie, j’avais déjà toutes les connaissances. Je me suis re-documenté  avant l’écriture pour me rafraichir la mémoire, mais c’était vraiment une passion de jeunesse.



Tu aimes beaucoup le mythe de Cassandre. Peux-tu nous en parler ?

Bien-sûr ! Cassandre, après avoir rejeté le dieu Apollon et refusé ses avances, fut maudite en obtenant le don de prédire les catastrophes, tout en sachant que personne n’allait la croire. Après arriva la guerre de Troie et la chute de son pays. Elle eut une aventure avec le roi Agamemnon et eut des enfants illégitimes avec lui. Elle lui prédit aussi sa mort future mais personne ne l’a jamais crue. C’est une histoire tragique mais une mythologie qui correspond plutôt bien aux femmes au jour le jour. Par exemple, on dit à notre mari « attention mon chéri, si tu fais ça, tu vas perdre le contrat ». Puis on n’est pas écoutées, et ça arrive ! (rires)


En tant que lecteurs de manga, on s’attend en général à un rythme assez rapide, mais les auteurs français ne sont pas forcément habitués à cette vitesse de parution. Où te places-tu dans cette optique-là ?

Hors scénario, j’en suis à 16 pages par semaine, tout en sachant que la semaine dure parfois huit ou neuf jours. Je pense que c’est plutôt un bon rythme étant donné que je travaille sans assistant. Si j’en avais, peut-être arriverais-je à concurrencer les japonais mais je ne suis pas encore dans ce cas de figure. Pour le moment, je travaille entre 12 et 15 heures par jour.
Il faut savoir que je dors très peu. J’ai le temps pour m’occuper des enfants mais vu qu’ils vont à l’école tous les deux, je travaille avant et pendant les cours, puis lorsqu’ils sont couchés les soirs. C’est assez intense.





Le tome 2 est déjà planifié pour Novembre. Après nous avoir expliqué ta journée type, peux-tu nous parler de ta manière de procéder dans le travail « pur » ?

J’aime avoir écrit le déroulement de tout un tome avant de commencer à le dessiner. D’abord, je le rédige sous forme de pièce de théâtre, dans une continuité de dialogues. Les discussions sont importantes pour moi, puis j’y ajoute quelques indications d’action. Je mets le tout en story-board, c’est à ce moment-là que j’envoie le travail à Christelle Hoolans qui me dit ce qu’elle en pense.
Je procède ensuite chapitre par chapitre, autrement dit 16 pages par 16 pages. Je sors mon story-board en format A4 sachant qu’il est à l’origine en format A5. Je colle une feuille par-dessus et fait mon crayonné que je scanne et imprime en bleu sur du papier japonais. J’encre ce bleu au feutre et à la plume. Je scanne la version « noire » et enlève tout le bleu avec Photoshop. Ce n’est pas passionnant, et ça prend environ une journée. Ça serait bien si un assistant pouvait le faire. (rires)
Puis, sur ordinateur, je rajoute tout ce qui est lignes de vitesse, textes et trames. Pour ces dernières, j’utilise le logiciel Manga Studio. On met une trame et si le résultat ne plaît pas, on peut demander à changer la trame sans effacer le contour. C’est très pratique.


Beaucoup de jeunes aimeraient dessiner leur propre manga. Quels conseils pourrais-tu leur donner et qu’est-ce qu’ils devraient le plus travailler ?

Je pense qu’un lecteur va acheter un premier tome pour le dessin, puis il achètera le reste de la série pour le scénario. Si l’histoire ne tient pas, ça ne marchera pas. Je conseille de lire beaucoup, pas que du manga mais aussi du roman. Je conseille aussi de regarder beaucoup de films ou de séries, de s’ouvrir au monde et de faire l’éponge de tout ce qu’on aime. Ça paye par la suite car ça nous aide à avoir des idées et à créer. Il faut se cultiver et produire beaucoup de pages pour ne pas juste proposer des illustrations mais bien construire une histoire.


Kana a mis les moyens à Japan Expo en créant un espace dédié à ta série, où tu trônes littéralement. Ton éditeur a l’air de croire beaucoup en toi et en ton premier album, n’est-ce pas une trop grande pression ?

En fait, je crois que je ne réalise pas encore, c’est comme un rêve. Qui aurait cru que je serai éditée au format manga et qu’on fasse ce stand magnifique ? Je suis contente, j’en ai eu les larmes aux yeux, mais je suis encore en décalage avec la réalité.



Si, par hasard, Save me Pythie devait s’arrêter au troisième tome, as-tu déjà d’autres idées en tête ?

J’ai quelques idées qui me viennent à l’esprit de temps en temps, mais rien de bien précis. Pour l’instant, Save me Pythie occupe toutes mes pensées. Mais une chose est sûre, ça sera de l’humour, et ce même si ça se déroule dans un autre univers, car c’est dans ça que je me retrouve.


Parmi tous les manga que tu as pu lire, lequel aurais-tu voulu écrire ?

Urusei Yatsura. (rires)


Ton personnage principal a en effet un petit air de Lamu, et il te ressemble même un peu !

En effet, je pense qu’on a tendance à se dessiner inconsciemment !


Qu’est ce qui a le plus de « toi » dans ce premier tome ?

Un peu de tout, que ce soit Pythie qui ne se laisse pas faire par les garçons ou le côté gaffeur de Xanthe qui me correspond bien aussi.


Sans trop spoiler, peux-tu annoncer la couleur du tome 2 ?

Dans le second tome, il y aura plus de héros, plus de créatures, plus de Dieux et plus de catastrophes. (rires)



Merci beaucoup Elsa pour toutes ces réponses !

Merci à vous !


Mise en ligne en novembre 2014.