BAILLY Samantha - Actualité manga

Interview de l'auteur

Artiste-phare du catalogue des éditions nobi nobi!, Ein Lee a déjà signé dans nos contrées trois albums jeunesse au succès indéniable, dont un avec la scénariste française Samantha Bailly : La Princesse au bol enchanté.
C'est à l'occasion de Japan Expo que nous avons pu rencontrer ensemble ces deux jeunes artistes aussi charmantes que souriantes, très complices pendant l'entrevue, et qui sont revenues volontiers sur leur parcours et leur collaboration.
 
 


 
 
Manga-News : Bonjour Ein Lee, bonjour Samantha Bailly ! Nous allons d’abord commencer la série de questions avec Ein Lee, si vous le permettez.  La Princesse au bol enchanté est votre troisième livre illustré ainsi que votre troisième collaboration avec nobi nobi !. Quelle différence ressentez-vous entre la réalisation du premier livre; Princesse Pivoine; et ce troisième livre ?
Ein Lee : Tout d’abord, le premier livre était un vrai challenge, parce que je n’avais jamais rien fait de semblable auparavant, c’était la première fois que je réalisais un livre illustré. C’était quelque chose de vraiment expérimental pour moi, il a fallu apprendre à travailler avec nobi nobi ! via courriels et autres. En ce qui concerne le troisième livre, je pense avoir progressé au niveau du style et en technique, et le traitement des images est devenu plus aisé. De plus, travailler avec nobi nobi ! est maintenant quelque chose de naturel, parce que nous nous connaissons depuis un moment. Tout est devenu plus simple en ce qui concerne les conditions de travail, en somme.

 
 
Comptez-vous poursuivre cette collaboration avec nobi nobi ! ?
Ein Lee : Rien n’est complètement décidé pour l’instant. Mais il y a de très fortes chances, du moins je l’espère. (rires)


Vous avez travaillé jusqu’ici avec deux auteurs différents (Christelle Huet-Gomez pour Princesse Pivoine et Le Secret de la grue blanche et Samantha Bailly pour La Princesse au bol enchanté, ndlr). Y-avait-il des différences quant aux méthodes de travail ?
Ein Lee : En fait, je travaille directement avec mon éditeur, nobi nobi !. Je ne travaille pas avec l’auteur. C’est nobi nobi ! qui fait le lien entre les deux, qui me transmet le script de l’histoire complété, qui fixe le nombre de pages et qui me dit quel type d’illustration ils souhaitent. Je fais les croquis et esquisses, et puis je leur envoie pour approbation. C’est ainsi que nous avons fonctionné pour les trois livres.

Samantha Bailly : En ce qui me concerne, je ne fais « que » le texte, avec en tête le nombre de pages demandé par nobi nobi !. Je ne participe pas aux story-boards de l’histoire, je laisse cela à ceux qui ont la fibre artistique. (rires) L’histoire de La Princesse au bol enchanté est très longue, et j’ai donc dû évidemment adapter le conte au format demandé, ce qui n’est pas toujours facile.

Ein Lee : À chacun son job ! (rires)


Vous êtes-vous beaucoup documentée avant de commencer à dessiner l’histoire ?
Ein Lee : Oui, évidemment, la création ne naît pas du néant, et cela réclame de l’inspiration. Après voir lu l’histoire, je me dis : « l’ambiance est glaciale, il neige, il fait froid ». Alors j’ai étudié des images et des photos de paysages enneigés, observé les couleurs et l’atmosphère générale, et j’ai essayé de retranscrire ça dans l’histoire. Tout en continuant à y réfléchir, en me disant que peut-être l’histoire devrait être dans un style plus traditionnel, pour qu’on ressente plus l’aspect crayonné, au niveau de la représentation du vent et autres. Je puise mon inspiration dans beaucoup d’autres recueils d’histoires, mais aussi différents types d’arts. Donc oui, je fais toujours des recherches poussées avant de me lancer.
 
 
 
Vous aimez beaucoup la culture japonaise. Avez-vous d’autres influences et préférences majeures au niveau artistique ?
Ein Lee : En fait, j’aime beaucoup de choses, tout ce qui est beau. J’aime tous les types d’art de tous les horizons, que ce soit l’art-déco, l’art nouveau, j’aime l’art de la Renaissance, la peinture ainsi que certains artistes contemporains. Bref, l’art quel qu’il soit est ma passion.


Et est-ce que vos études vous aident dans votre travail ?
Ein Lee : Je ne fais pas d’études d’art, j’étudie la littérature et les langues étrangères, mais cela m’aide tout de même dans mon travail d’artiste, parce que je suis confrontée à d’autres types d’influences pas seulement artistiques, comme la littérature, les textes anciens, ce qui représente une excellente source d’inspiration.


Donc artiste n’est pas votre profession pour l’instant. Souhaitez-vous passez professionnelle un jour ?
Ein Lee : Je le souhaite, un jour, oui. Dans le futur.
 
 
 
Vous vous êtes déjà bâti une certaine réputation à l’étranger en tout cas pour le devenir.
Ein Lee : (Un peu gênée) Je ne sais pas, je l’espère tout du moins.

Samantha Bailly : Je t’assure que si.

Ein Lee : Ok, si tu le dis ! (rires)


Quels outils utilisez-vous pour vos dessins ?
Ein Lee : J’utilise l’ordinateur, je travaille principalement de façon digitale, parce que c’est vraiment pratique, on ne doit pas utiliser du papier, on ne doit pas s’inquiéter des ratures, gommage et autres. Il est très simple de corriger tout et n’importe quoi. Les possibilités sont illimitées avec cet outil, et j’apprécie vraiment de travailler par ce média. J’utilise Easy PaintTool SAI la plupart du temps et Photoshop seulement pour les petits détails.
 

Combien de temps mettez-vous pour dessiner un livre illustré ?
Ein Lee : Il y a d’abord une étape de préparation, où je fais des croquis préparatoires pour chaque page, et qui doivent être validés ensuite. Cela prend environ trois mois. Tout compris, il faut environ six mois pour réaliser un album complet, même parfois un peu plus.


Et vous faîtes ça durant votre temps libre, donc.
Samantha Bailly : Non, durant les cours ! (Toutes les deux rient)


Avez-vous une date limite pour rendre vos travaux ?
Ein Lee : Pour La Princesse au bol enchanté, oui, parce que nobi nobi ! souhaitait le sortir au printemps, avant ma venue à Japan Expo. Et avec les délais d’impression et autres, il fallait que je rende mes illustrations aux alentours de mars. C’était un défi, mais je voulais vraiment y parvenir, pour pouvoir avancer.


Avez-vous reçu d’autres propositions d’autres éditeurs pour illustrer des livres ?
Ein Lee : Oui, je travaille sur un projet dont je ne peux pas parler maintenant, mais j’ai d’autres projets en cours en effet.
 
 
Est-ce la première fois que vous venez en France ?
Ein Lee : J’étais déjà venue en France une fois auparavant, mais je n’avais pas eu le temps d’en profiter. Cette fois-ci, je suis allée dans des endroits que je ne connaissais pas du tout, notamment dans les villes du Nord (Lille, Amiens), ou encore Lyon. Mon impression est que la France est toujours aussi magnifique que dans mon souvenir. Cette fois, j’ai vraiment eu l’occasion de goûter la cuisine française, de rencontrer les Français, d’échanger avec eux. C’était vraiment fantastique. J’ai vu et appris beaucoup de choses. J’ai même appris un peu le français. C’était vraiment amusant !!
 
 
 
Merci Ein Lee ! Nous allons maintenant nous tourner vers Samantha Bailly. Qu’est-ce qui vous a amené vers le livre jeunesse ?
Samantha Bailly : À la base, j’étais plutôt repérée pour mes romans de fantasy. J’ai publié un diptyque (Au-delà de l’Oraison, ndlr) qui a reçu le prix Imaginales des lycéens, et ensuite un roman épistolaire qui s’adressait aux adultes. J’ai rencontré nobi nobi ! lors d’un salon du livre jeunesse. On avait un peu discuté parce que j’avais trouvé leurs albums très beaux, et je voulais juste les féliciter. Et un an plus tard, ils avaient gardé mon contact et m’ont envoyé un courriel pour me proposer de faire une adaptation de La Princesse au bol enchanté. Du coup j’ai fait des essais, et on est parti là-dessus. Ils recherchaient des auteurs français pour écrire des adaptations de contes, et c’est comme ça que ça s’est fait.


Aimeriez-vous retenter un album de ce type ?
Samantha Bailly : Oui, oui, ce serait avec plaisir !


Avec Ein Lee ?
Samantha Bailly : Oui, si possible. (rires)


Dans La Princesse au bol enchanté, on peut constater une très belle gestion des moments forts de la princesse Haruka, de sa naissance jusqu’au mariage. Est-ce que c’était le principal défi de votre scénario ?
Samantha Bailly : En fait, le principal défi était d’avoir un texte traditionnel japonais qui était assez long. Déjà il fallait faire beaucoup de coupures. Tout en gardant l’essence et l’état d’esprit du conte. Et aussi « édulcorer » certains passages ou en tout cas d’essayer de les adapter au public jeunesse. Même si il y a certaines choses qui ne sont pas du tout passées sous silence, comme la tentative de suicide de Haruka, qui est un moment assez sombre. L’idée, c’était d’arriver malgré tout à passer par une sorte de poésie ou en tout cas de bien choisir ses mots pour ce passage-là. Donc c’était vraiment le défi majeur. L’autre défi était le bol en tant que tel. Qui est quand même une idée un peu incongrue quand on y pense. Il fallait donc retranscrire cela de manière poétique. Ce qui est très grandement aidé par les illustrations, parce que je me demandais vraiment comment Ein Lee allait graphiquement interpréter ce bol en fait, à quoi ressemblerait Haruka avec le bol sur la tête, est-ce que ça allait donner quelque chose de ridicule, ou bien non. Et je crois qu’elle est vraiment parvenue à trouver l’angle parfait pour arriver à quelque chose de très poétique.

Ein Lee : Oui, tout ce que j’avais à faire, c’était de lui donner l’air naturel. (rires)
 
 
 
Quel est pour vous le principal message de La Princesse au bol enchanté ? Est-ce la vertu de l’amour qui va au-delà des apparences ?
Samantha Bailly : Je ne suis pas sûre, parce que je me suis beaucoup interrogée sur le message de ce conte, dans le sens où elle est défigurée, et du coup elle est rejetée de tous. Le prince tombe certes amoureux d’elle et veut l’épouser mais elle est quand même rejetée de la société par son bol. Et c’est le fait qu’elle soit belle et riche qui fait qu’elle accède au bonheur, puisque c’est comme ça finalement qu’elle accède au mariage avec le prince. Donc en termes de message ça peut amener à une certaine réflexion. Mais ce que je trouve beaucoup plus intéressant c’est le bol lui-même et son rôle symbolique. La déesse Kanon lui offre une protection, qui est ce bol qui bien sûr cache une richesse, mais c’est aussi une malédiction. On est vraiment dans une ambivalence entre le bénéfique et le maléfique, par le biais du dernier souhait de la mère de Haruka sur son lit de mort. Du coup je trouve cela original d’avoir cette ambivalence parce que ce bol, c’est ce qui la protège, c’est sans doute ce qui lui permet d’accéder à un destin fabuleux, et en même temps c’est ce qui est source de souffrance. Et c’est l’idée qu’elle est tombée au fond de la rivière et qu’elle est finalement remontée grâce à ce bol, donc tout n’est pas noir ou blanc. Je trouve que c’est un conte qui est vraiment nuancé par cet aspect-là.

 
Remerciements à Ein Lee, à Samantha Bailly et aux éditions nobi nobi !