ARAKI Shingo - Actualité manga

ARAKI Shingo 荒木伸吾

Interview de l'auteur

C'est une interview un peu particulière que nous vous proposons de découvrir aujourd'hui. Une interview en forme d'hommage : celle de Monsieur Shingo Araki, décédé il y a quelques jours (voir news).

On ne compte plus les œuvres sur lesquelles a travaillé ce grand nom, du Roi Leo à Saint Seiya en passant par Lady Oscar. Présent au dernier Paris Manga pour ce qui fut donc sa dernière grande apparition en public, ce géant de l'animation, affaibli par le poids des années et par une quantité de travail qui fut le fondement de sa carrière impressionnante, avait toutefois accepté avec une infinie gentillesse de répondre à nos quelques questions, au cours d'un entretien touchant. L'occasion d'avoir une dernière fois un aperçu de la richesse d'une carrière bien remplie.


 
 
Monsieur Araki, bonjour. D'où vient votre passion pour le manga puis pour l'animation ?
A l'origine, ma passion pour ce milieu est née en lisant des mangas, dont ceux d'Osamu Tezuka. Parmi ceux-là, la lecture du Roi Léo a été très marquante et m'a réellement décidé à m'engager sur la voie du manga. J'ai envoyé ma première création, Arashi to Kyojin, à la maison d’édition de gekiga Central Bunko, et ai remporté le prix du jeune talent. Puis je me suis naturellement intéressé à l'animation en voyant de nombreuses adaptations de manga en anime. Au début, mon principal travail dans ce domaine a été sur Kyojin no Hoshi (ndlr, célèbre manga sportif d'Ikki Kajiwara et Noboru Kawasaki, adapté en un anime-fleuve de 182 épisodes entre 1968 et 1971). C'est cette série là en particulier qui a déclenché mon arrivée dans l'animation.
 



Comment avez-vous été remarqué par Mushi Production, la société d'animation d'Osamu Tezuka pour laquelle vous avez été amené à travailler ?
La personne qui m'a mis sur cette voie-là est un dénommé Masaki Mori, un ami à moi, qui m'a d'abord invité à aller sur Tokyo en juin 1965. Il a regardé mes dessins et m'a alors conseillé de postulé à Mushi Production, où lui-même travaillait déjà. Je m'y suis alors rendu, et j'ai été sélectionné pour y travailler. Joli hasard, il se trouve que j'ai commencé avec l'anime du Roi Léo !
Il faut savoir qu'à cette époque, il existait ce que l'on appelle des prêteurs de manga, qui marchaient très bien. Il s'agissait de sortes de bibliothèques où l'on donnait de l'argent pour pouvoir lire sur place (ndlr, si le sujet vous intéresse, voir le tome 1 d'Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi, qui en parle plus en détails). Quand cette mode des prêts de manga a commencé à décliner, on recherchait beaucoup de gens comme moi pour relancer un peu la machine du manga et de l'animation.


Le fait de travailler au sein de Mushi Production vous a-t-il donné l'occasion de collaborer avec Osamu Tezuka ?
Il est souvent arrivé que M. Osamu Tezuka vienne regarder mes dessins, mais nous n'avons jamais travaillé directement ensemble.


 
 
M. Tezuka avait quelle aura pour vous ?
Depuis ma jeunesse, c'est l'auteur que j'apprécie le plus, et je ne pense pas que ça ait changé depuis.


Vous avez beaucoup travaillé dans le domaine du manga papier, notamment en créant une série axée sur le western...
C'est exact. Ce que j'aime particulièrmeent avec les héros de western, c'est qu'ils arrivent toujours à s'en sortir. Même dans les moments les plus critiques, le héros arrive toujours à rebondir, et c'est ça qui m'a séduit. C'est d'ailleurs en m'inspirant du genre western que m'est venu le personnage de Willie Boy.


Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le studio Jaguar, que vous aviez fondé dans les années 1960 ?
C'est un studio que j'ai créé avec des collègues de Mushi Production, dont Hiroshi Saito et Eiichi Yamamoto, pour pouvoir concevoir des œuvres en toute liberté. C'est grâce à cette étape qu'aujourd'hui encore je peux faire de l'animation de manière assez libre.


Vous avez ensuite fondé en 1975 Araki Production avec l'illustratrice Michi Himeno. Qu'est-ce qui vous a plu chez elle ?
Pour être exact, Michi Himeno est arrivée juste après la création d'Araki Production. Avant de rentrer à Araki Production, elle faisait un peu d'animation, mais moi j'ai beaucoup aimé la beauté de ses dessins. Et à partir du moment où elle est arrivée, tous les dessins d'Araki Production ont évolué à une vitesse hallucinante. C'est également à partir de ces années-là que la mode de l'animation s'est étendue et que mes travaux ont vu leur succès grandir.


Comment s'organisait votre travail avec elle ?
Avant, tout ce qui était animation, lay-out et dessin était fait par une seule personne, et chez Araki roduction nous avons décidé de scinder les tâches, avec le lay-out d'un côté, et les dessins de l'autre. Je m'occupais des lay-out, et Michi Himeno des dessins.


Pendant votre carrière, vous avez également eu l'occasion de travailler avec d'autres grands noms de l'animation, dont Akio Sugino, et Osamu Dezaki, décédé en début d'année. Quelle était leur aura ?
Au départ, tous deux faisaient partie d'un cercle qui voulait révolutionner un peu le monde de l'animation. Comme nous venions du même moule, il y avait toujours une petite rivalité entre nous, mais une rivalité constructive.


On sait que pour la série Ulysse 31, vous êtes à l'origine des personnages de Thémis et Noumaios...
A l'origine les personnages ont été créés en France. On me les a envoyé, puis avec Michi Himeno nous les avons remodelés pour qu'ils soient plus faciles à travailler en animation.




Avez-vous d'autres anecdotes de ce type, sur la création de personnages ?
De ce côté-là, l’œuvre la plus importante reste Ulysse 31, mais j'ai également participé à des séries comme Inspecteur Gadget.


Dans la série animée de Saint Seiya, il y a toute une saison sur les guerriers d'Odin qui n'existe pas dans le manga original, qui est exclusive à l'anime. Quel rôle avez-vous joué là-dessus ?
Avant de faire l'animation, il a fallu créer le scénario. En ce qui concerne les personnages, ils ont tous été créés par mes soins, en toute liberté.
 



Quel travail vous a le plus stimulé dans votre carrière ?
Le principal est Kyoujin no Hoshi. Quand j'ai commencé à travailler sur cette oeuvre, j'ai découvert de nouveaux moyens d'expression. Les mouvements dynamiques des personnages étaient différents de ce qui se faisait à l'époque. Il y a aussi Ashita no Joe,  qui m'a poussé à me surpasser et à persévérer. Cutey Honey (Cherrie Miel, ndlr), pour l'impact que l'héroïne que j'ai dessinée a eu sur les fans. Enfin, Babel 2 possède une importance particulière car à l'époque mon style sur cet anime était vu comme novateur.
  



Pouvez-vous nous parler de Sourire d'enfance, votre dernier manga en date, dont le début a été prépublié en France dans Akiba Manga ?
Sourire d'enfance est un mix de ce que j'ai vécu en tant qu'animateur, en tant que mangaka, et dans ma vie quotidienne en général, parfois pénible : perte de mon père à l'enfance, travail dans une usine pour aider ma famille, accumulation de fatigue qui ne m'empêchait pas de créer des mangas les uns après les autres... C'est pour ça que, dans ce contexte assez rude, je me suis d'abord orienté vers le gekiga. Puis sont arrivées mes débuts et ma percée dans l'animation, et tout ce qui s'en suit.
En 2008, alors que j'étais en convalescence après des années de travail intensif, en revoyant certains de mes cahiers de dessin j'ai remarqué que j'y avais dessiné inconsciemment des éléments autobiographiques. C'est de cette manière que je souhaite dessiner Sourire d'enfance, mais en privilégiant avat tout la fantaisie.


Quand on a fait rêver des dizaines de milliers de personnes à travers le monde, que ressent-on ?
Même avec le temps, je suis toujours surpris de mon succès, et j'ai beaucoup de reconnaissance envers mes fans, car je sais que si je suis ici aujourd'hui c'est grâce à eux.


Merci beaucoup pour cette interview !


Remerciements au traducteur et au staff Paris Manga. Hommage et remerciements particuliers à Shingo Araki. Il nous a quitté mais son oeuvre demeurera dans le coeur de nombreuses personnes. Sincères condoléances à ses proches.