AMANO Yoshitaka - Actualité manga

AMANO Yoshitaka 天野喜孝

Interview de l'auteur

S'il est venu plusieurs fois en France, et même très récemment à Toulouse, c'est finalement à l'occasion du Monaco Anime Game Show que nous avons rencontré l'immense Yoshitaka Amano. Ce fut pour nous l'heure de revenir sur cet artiste aux multiples facettes, surtout connu pour son travail sur la saga Final Fantasy, mais dont la carrière fut très prolifique depuis ses débuts au sein de la Tatsunoko. Resté relativement discret sur le festival, Yoshitaka Amano s'est néanmoins plié au jeu des interviews, nous offrant ainsi cet entretien assez court, mais riche de sens.

           
   
    
Manga-News : Bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Tout petit déjà, vous n'arrêtiez pas de dessiner. Comment vous est venue cette vocation ? Quelles furent vos influences, les artistes qui ont marqué votre jeunesse ?
Yoshitaka Amano : Enfant, je suivais beaucoup de mangas et d'animes, et j'aimais beaucoup les œuvres d'Osamu Tezuka et de Shotarô Ishinomori. En ces temps-là, c'était le boom de l'animation avec des séries comme Tetsuwan Atom (Astro Boy). C'est sans doute ce qui m'a poussé à m'intéresser très tôt à la reproduction du réel, des choses qui m'entouraient...
Je suis originaire de Shizuoka, et en grandissant, certains de mes amis sont partis s'installer à Tokyo. Je leur rendais visite régulièrement, et je me suis rendu compte qu'ils habitaient non loin du siège d'un studio d'animation, la Tatsunoko. Un jour, j'ai finalement pris mon courage à deux mains et je suis rentré dans ce bâtiment, en apportant de nombreuses planches que j'avais réalisées. C'est ainsi que j'ai pu faire mes débuts... 
       
Que retenez-vous de ces années passées dans le domaine de l'animation ?
Je pense que si je n'étais pas rentré à la Tatsunoko, je ne serais jamais devenu dessinateur ! 
J'ai rapidement pris un poste de chara-designer, et l'on m'a rapidement demandé de créer des personnages à partir de rien. Au cours de ces années, j'ai donc inventé une multitude de héros très différents les uns des autres, en m'inspirant du réel, en le déformant... J'ai du également me documenter en profondeur. Par exemple, lorsque j'ai travaillé sur New Honeybee Hutch (1974, suite de Micky l'Abeille, ndlr), j'ai lu beaucoup de livres sur les insectes pour concevoir des personnages de libellules, de papillons,... Mais au bout d'un moment, j'ai voulu me détacher de toute cette documentation, car me contenter de reproduire des modèles nuisait à ma créativité.
A l'âge 30 ans, j'ai quitté le studio pour me lancer comme auteur indépendant. A cette époque, tous ces personnages étaient restés dans ma tête. Ces années au sein de la Tatsunoko ont aiguisé mon imaginaire, ont étendu la palette de mes possibilités. Cette expérience m'aura servi quelques années plus tard, lorsque j'ai travaillé pour la saga Final Fantasy : le design des protagonistes m'est alors venu très naturellement, de manière immédiate, sans recherches documentaires.
    
 
Illustation de Yoshitaka Amano sur la série NeoHuman Casshern, 1973
    
      
Lorsque vous avez décidé de devenir indépendant, quelles étaient vos attentes pour l'avenir ?
Lorsque j'étais à la Tatsunoko, je ressentais une certaine frustration, car le produit final pouvait être très différent de mes dessins de départ. Ainsi, mon travail n'apparaissait pas directement en télévision. J'ai eu alors envie que mes illustrations soient davantage exposées, et c'est ce qui a motivé ce départ. C'était un pari sur l'avenir un peu risqué, mais j'avais envie de tenter ma chance, tout simplement.  
         
En 1984, vous avez également collaboré avec Mamoru Oshii pour le film l'Oeuf de L'ange (Tenshi no Tamago). Comment s'est déroulé cette rencontre, et la naissance de ce projet ?
J'ai rencontré Mamoru Oshii lorsqu'il est entré à la Tatsunoko, en 1977. Ensemble, nous voulions nous occuper de l'adaptation de Lupin III (Edgard Détective Cambrioleur), mais ça ne s'est jamais fait. Mais nous avions encore envie de travailler ensemble, avec cette fois-ci un projet monté de toutes pièces. C'est ainsi que quelques années plus tard surgit Tenshi no Tamago. Ce premier projet commun partait sur des bases très expérimentales ! D'ailleurs, l'accueil du film n'a pas été très glorieux... mais les mois de travail sur ce projet ont été très enthousiasmant, car nous étions entourés de gens talentueux. Aussi, malgré un succès très modeste, nous restons très fiers du résultat final.
      
      
   
1987 marque pour vous l'entrée au sein de Square, et la participation à Final Fantasy. Le format numérique a-t-il été une contrainte pour vous ? Les limitations graphiques de l'époque ont-elles pu modifier votre style ? 
Au départ, je voulais concevoir directement des dessins sur ordinateur, en me pliant à ces contraintes. Mais les gens de Square m'ont finalement dit de continuer à travailler "normalement", sur papier. Aussi, si la saga a suivi l'impressionnante évolution graphique des jeux vidéo depuis son premier opus en 2D 8-bits, ma manière de dessiner, elle, est toujours restée la même. 
     
Le fait d'intégrer  le monde du jeu vidéo, au travers de Final Fantasy comme pour d'autres sagas comme First Queen ou Front Mission, a-t-il changé votre manière de travailler, votre "art" ? 
Pas particulièrement. A cette époque, je travaillais pour des jeux vidéo, mais aussi pour des romans, j'exposais également mes illustrations,... Cela constituait un tout, et j'ai travaillé dans chaque domaine de la même manière. 
     
  
       
Pour Final Fantasy, quelles directives suiviez-vous dans le design des personnages ? Quel était votre degré de liberté ? 
Pour chaque héros, on me précisait son sexe, son âge et son rôle, dans les grandes lignes, et je ne partais que de ça. Pour le bestiaire, en revanche, nous partions sur des choses n'existant pas dans le réel, et les concepts qu'on me proposait étaient plus abstraits, à part quelques détails physiques. 
Plus généralement, il est difficile de mettre des mots sur une idée visuelle. Lorsque nous nous représentons mentalement un homme, nous partons tous d'une conception identique : une tête en haut, deux bras, deux jambes, du sang qui coule si on se blesse,... En revanche, en cherchant à spécifier plus de détails sur son physique ou son caractère, nous en aurons tous une image différente. C'est pour cela que lorsqu'on me demande de créer un personnage, je veux en savoir le moins possible : plus on me donnera d'informations, plus mon idée pourra être déformée. Les mots faussent le jeu. 
       
Avec votre talent d'illustrateur, vous êtes l'un des premiers à avoir insufflé une notion artistique dans le domaine du jeu vidéo. Aujourd'hui, de grands débats existent sur l'idée de considérer le jeu vidéo comme un art à part entière. Quelle est votre position sur le sujet ?
Pour ma part, je pense que le jeu vidéo est à l'équilibre entre création artistique et activité ludique. Si on ne le considère que comme un art, on risque de perdre de vue cette notion de loisir, de la distraction qu'il procure. Il reste à la frontière des deux, et c'est très bien ainsi.
      
    
          
En 1997, vous êtes parti travailler à New York. Qu'êtes-vous allé chercher aux Etats-Unis que vous ne trouviez plus au Japon ?
En partant aux Etats-Unis, je voulais confronter mon travail à un public différent, trouver une réception différente à celle que je pouvais trouver au Japon. Cela m'a également permis de rencontrer des artistes très talentueux, et d'y puiser une nouvelle inspiration, de nouvelles perspectives.
        
Vous avez travaillé dans de très nombreux domaines, de l'animation aux jeux vidéo en passant par les comics et de nombreux artbooks et expositions... Après 40 ans de carrière, vous reste-t-il encore des domaines à explorer, encore des rêves ? 
Sur ces dernières années, je concentre toute mon énergie sur le projet Deva Zan, sur lequel je travaille avec mon propre studio, Devaloka. C'est un projet aux multiples facettes partant d'un film d'animation, et dont le graphic novel est sorti début janvier aux Etats-Unis.
      
   
    
Remerciements à Yoshitaka Amano, à son interprète ainsi qu'à l'équipe de TGS Evenements.