Chronique ciné asie - Pieta- Actus manga
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Ciné-Asie Chronique ciné asie - Pieta

Dimanche, 14 Décembre 2014 à 15h00

Abandonné à la naissance, Kang do est un homme solitaire, sans lien avec le reste du monde. Recouvreur de dettes sans pitié, sans compassion, sans humanité, il mutile les personnes endettées afin qu'elles puissent monter un dossier d'assurance et payer les intérêts mirobolants de leur emprunt. Mais un jour, Kang do reçoit la visite d’une femme inconnue qui affirme être sa mère.




Réalisé par Kim Ki duk, « Pieta » est une référence à la Pietà de Michel-Ange, célèbre statue en marbre de la basilique Saint-Pierre au Vatican. Cela se traduit dans le film par des métaphores religieuses, souvent assez maladroites. Mais le plus grand problème du film n'est pas là. Énorme surprise lorsqu'il a remporté la Mostra de Venise, « Pieta » a vu les critiques négatives fuser de toutes parts. Et on comprend pourquoi.
Les amateurs le savent, toute une partie du cinéma coréen est représentée par un genre de polar noirissime mettant en scène des histoires de vendettas ultraviolentes, appelé le « vigilante ». Comprenant son lot de joyaux, de la trilogie de la vengeance de Park Chan wook (dont fait partie le très – trop ? – connu « Old boy ») au plus récent « J'ai rencontré le diable » de Kim Jee woon, en passant par le meilleur d'entre eux « Memories of murder » de Bong Joon ho, le genre a été usé jusqu'à la moelle et peine à se renouveler.




Si Kim Ki duk ne s'est jamais réclamé du « vigilante » concernant « Pieta », l'intrigue de son film permet très clairement de le classer dans ce genre là. Une classification est certes peu importante. Vous le savez, peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. Pourtant, « Pieta » est le meilleur représentant de ce qui ne va pas dans le cinéma coréen appartenant au « vigilante » depuis quelques années : une complaisance dans une violence extrême au détriment de la dénonciation sociale, morale voire philosophique voulue au départ. Un message social est toujours présent chez Park Chan wook. Le grotesque est omniprésent chez Kim Jee woon, Bong Joon ho, à la façon de Tarantino (qui les adore)...
Le grotesque est-il de la partie ici aussi ? Et bien non. Si le film est complaisant dans la violence, la presse a été elle-même complaisante envers cette violence, en y voyant la même exagération farcesque que chez les cinéastes précités. Or, « Pieta » n'est pas comme les autres.




C'est un film froid. Et c'est tout. « Pieta » sonne creux aussi fort qu'il frappe. Hasard ou pas, « Pieta », film coréen, partage le constat d'une violence vaine et d'une intrigue qui ne prend pas avec un manga, japonais donc, dont nous vous avons beaucoup parlé ici, chez Manga-news. La première heure de « Pieta », c'est clairement « Ushijima » qui aurait traversé la mer pour se rendre en Corée du sud... en encore plus violent !!! L'usurier de « Pieta », Kang do, est capable de tout pour soutirer de l'argent : mutilations, humiliations...
Peu importe la résistance des mères et femmes éplorées, des hommes réclamant la pitié. Pas de délai supplémentaire, une mutilation déguisée en accident de travail pour toucher l'argent de l'assurance, et c'est tout. Or, si vous êtes adeptes du manga, dont les situations sont assez proches du film chroniqué ici, vous saurez que depuis quelques tomes, on lui reproche de ne plus user de la violence comme moyen de dénonciation de la précarité, mais d'une violence purement complaisante, répétitive, avec une intrigue qui tourne en rond. On peut reprocher la même chose au dernier Kim Ki duk. Le cinéaste a lui-même conscience d'être revenu de sa période de dépression (voir plus bas dans ces lignes) avec ce film à la violence crue, après les parenthèses « Printemps, été, automne, hiver... et printemps » et « Locataires ». Oui, et bien du cru pour du cru, non merci !




Où est passée la belle sensibilité d'un « Locataires », la terrifiante froideur de « l'Ile », la poésie de « Printemps, été, automne, hiver...et printemps » ? On se situe davantage ici du côté d'un « Samaria », en bien moins maîtrisé. C'est vraiment gratuit, et les dialogues sont pauvres. Il aurait pourtant été possible de faire quelque chose de nettement plus intéressant, autant avec le jeu de sadomasochisme de la première heure qu'avec celui de la manipulation de la deuxième. Mais non. Si la seconde partie du film rattrape l'inanité de la première (le nihilisme laisse en fait place à un petit côté thriller...), on verse tout de même dans la caricature. Pourquoi ? Parce qu'évidemment, au contact de sa soi-disant (?) mère, le bourreau Kang do s'adoucit. Facile. Trop facile, lorsqu'on voit la faiblesse du travail sur la psychologie des personnages.




Et si Kim Ki duk avait réussi son coup en rendant hommage à l'iconographie bouddhiste dans « Printemps, été... », les métaphores tirées de l'imagerie chrétienne sont ici peu marquantes...voire quasiment inexistantes, même pour un spectateur tentant d'intellectualiser à fond ce qu'il a devant lui. Kang do, Oedipe contrarié ? Mouais, et après ? La mère en vierge de la pitié ? Certainement, mais quel intérêt au final ? Un comble pour un film faisant une référence aussi appuyée à un chef d’œuvre de la sculpture de la Haute renaissance florentine. Heureusement, la mise en scène dynamique de Kim Ki duk est toujours là. Le réalisateur sait parfaitement comment filmer ses personnages dans les situations les plus folles pour les rendre plus puissantes que jamais visuellement. Un viol ? Caméra juste au-dessus du ventre de la femme, et sur le visage ; l'agresseur fait son affaire, on ne s'en préoccupe pas.




Des coups, des mutilations ? La victime est à côté de la caméra, c'est même la caméra qui prend ! Le réalisateur a avoué avoir sollicité pour les deux rôles principaux Jude Law et Isabelle Huppert – au même moment où ses compatriotes Park Chan wook et Kim Jee woon s'attachaient les services de Nicole Kidman et Arnold Schwarzenegger (pour « Stoker » et « Le dernier rempart ») – sans que ceux-ci aient répondu favorablement.
Pas de regrets à avoir, car si « Pieta » est critiquable sur le fond, les acteurs livrent de très grandes prestations, alors même qu'ils jouent la majorité du temps des scènes très difficiles.

L'édition DVD est l'occasion de profiter d'un bonus de taille : « Arirang », qui dure plus de 90 minutes.




Cela nous donne donc deux films dans une même jaquette ! Mais qu'est-ce au juste que ce « Arirang » ? Simple : un autoportrait du réalisateur pendant sa période de dépression de 2009 à 2011. Un drôle d'objet cinématographique durant lequel Kim Ki duk se filme malade mentalement, sujet à toutes les obsessions, terrifié par sa crise d'inspiration, ne supportant plus l'accueil critique de ses films. Beaucoup de réalisateurs traverseraient cette période au cours de leur vie, mais il est assez impressionnant de voir que l'un d'entre eux a choisi de filmer ses confessions avec une violence qui n'a pas à rougir vis-à-vis de celle déployée dans ses propres films. « Arirang » est aussi intrigant que dérangeant. Complaisant dans l'ultraviolence, d'une froideur à toute épreuve et pas franchement passionnant, « Pieta » est loin des vengeances machiavéliques, subversives, puissantes et jubilatoires des œuvres qui l'ont précédé.




On espère retrouver Kim Ki duk en meilleure forme la prochaine fois, laissant de côté sa description brute de la violence... mais ce n’est pas gagné.
Son prochain film, « Moebius », décrit l'histoire d'un père surpris en plein adultère par son fils et qui décide de se castrer pour se purifier de ses péchés. Le fils obligerait ensuite sa mère à avoir des rapports sexuels avant que celle-ci ne le tue accidentellement... Viol, castration, sang... En Corée du sud, le comité de censure a refusé le visa d’exploitation. Le cinéaste en a appelé à l’arbitrage de ses collègues réalisateurs pour trancher, ceux-ci lui ayant donné raison. Cela lui fera une raison de moins pour se laisser aller à sa paranoïa entrevue dans « Arirang ». Il s'agit de se reprendre, car les orgies d'ultraviolence deviennent lassantes depuis un moment maintenant. Et celle de « Pieta » tout particulièrement.
  
L'avis du chroniqueur
RogueAerith

Dimanche, 14 Décembre 2014
9 20

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