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Ciné-Asie Critique - L'Anguille

Vendredi, 12 Juillet 2013 à 12h00

Aujourd'hui, RogueAerith vous propose de découvrir sa critique du film L'Anguille, réalisé par Shohei Imamura. A noter que le film a obtenu la Palme d'or au festival de Cannes en 1997.


Alerté par des lettres anonymes, Yamashita (Koji Yakusho) prend sur le fait sa femme adultère. Fou de rage, il la tue de multiples coups de couteaux, puis se livre de lui-même à la police. Huit ans plus tard, Yamashita bénéficie d'une liberté conditionnelle. Placé sous la protection d'un bonze, il souhaite repartir de zéro en ouvrant un salon de coiffure dans une zone rurale désertifiée. Il semble très perturbé, ne discutant qu’avec une anguille apprivoisée en prison. Au contact de Keiko (Misa Shimizu), une jeune femme qu’il a sauvé et qu'il prendra pour assistante dans son salon, son passé ressurgit.


Réalisé par Shohei Imamura, inspiré par le roman « Liberté conditionnelle » de Akira Yoshimura, « L'anguille » a reçu la Palme d’Or ex-aequo à Cannes en 1997 (la deuxième pour le réalisateur nippon après « La Ballade de Narayama » en 1983). Alors, Palme méritée ou surestimée ? Je suis le premier surpris à devoir le dire : plutôt la deuxième option. On ne peut effectivement pas dire que « L'anguille » soit un chef d'oeuvre intemporel, et le palmarès de l'année 1997 était d'ailleurs relativement pauvre. Cette oeuvre s'égare presque aussi souvent qu'elle brille par une richesse évidente. Si l'histoire est belle, entre rédemption et réconciliation d’un homme avec autrui, mais surtout avec lui-même, le film s'inscrit davantage dans un hommage au cinéma de genre (références multiples, symbolique forte) que dans une dynamique cohérente (thèmes sous-exploités, personnages déjà vus, hésitations d'ambiance).


Au-delà d'un rythme linéaire qui permet au spectateur de s'insérer dans le quotidien des personnages rencontrés, mais qui passe un peu moins bien que dans un Kitano, ce sont les symboles qui constituent l'essence du film, au premier rang desquels l'anguille, bien sûr. Mais en fait, de quelle anguille parle-t-on ? Celle apprivoisée par Yamashita ? Ou Yamashita lui-même, qui a tout d'une anguille ? Dès sa sortie de prison, Yamashita se fait discret, telle une anguille dans la vase. Il limite les conversations au minimum, glissant entre les doigts de quiconque essaye de s’en approcher.
L'anguille est aussi le symbole d'une sexualité refoulée, expliquant son crime passé, et le malaise nouveau face à Keiko. Bref, Imamura cuisine sa métaphore de l'anguille à toutes les sauces...sauf au sens propre justement : il est inimaginable pour Yamashita de porter une atteinte physique à l'anguille, si bien qu'on se doute que celle-ci revêt en fait le rôle de sa femme défunte, l'idée de réincarnation n'étant pas loin mais jamais explicite. Surtout, comme le dit Yamashita lui-même, « l'anguille n'en dit jamais trop » : l'épouse parfaite en somme. L'autre symbole du film, c'est le fameux bentô (le célèbre casse-croûte traditionnellement préparé par la femme nippone dans son rôle de maîtresse du foyer à son mari ou à ses enfants), préparé par Keiko à Yamashita. Celui-ci refusera cette petite attention de son assistante, l'acceptation du bentô conditionnant les liens affectifs. Accepter ce panier-repas signifie effectivement la prendre pour amante. Ajoutez à cela les multiples petites références qu'un spectateur occidental peinera sans doute à comprendre (voir par exemple, les gros plans de quelques secondes sur des crapauds, qui semblent représenter l'ingratitude), et on se retrouve devant un film riche, dans lequel on peut comprendre beaucoup de choses de façon différente sans que cela soit gênant, bien au contraire.


De plus, les références sont nombreuses. Le début du film, avec sa scène de crime sanglant filmée en caméra subjective (gare aux éclaboussures), faisant suite à une découverte traumatisante de l'adultère par une fenêtre, sonne comme une double référence aux « Fenêtre sur cour » et « Psychose » de Hitchock, mais aussi au genre italien dit giallo (particulièrement apprécié par Mario Bava et Dario Argento), tant la scène de sexe entre la femme adultère et son amant est crue. La suite du film, avec une Keiko ressemblant dans sa démarche à la défunte épouse de Yamashita, fait encore une fois référence à Hitchcock et son « Sueurs froides », de façon toutefois nettement moins prononcée.


Problème : si la symbolique et les références sont travaillées, Imamura s'éparpille un peu trop avec des thématiques peu exploitées et des personnages déjà vus, et par une ambiance générale floue, qui peine à trouver sa voie entre drame et ton plus léger. L'éparpillement narratif apparaît avec la folie de Yamashita, qui est souvent évoquée (le fait qu'il ne soit loquace qu'avec son anguille, ses nombreuses hallucinations, son imagination ayant créé les lettres dénonçant l'adultère) mais jamais vraiment résolue, puisque même en toute fin de film, l'anguille étant pourtant libérée, Yamashita continuera d'avoir des hallucinations. On regrette également que Yamashita n'ait jamais réellement à se battre, à faire face au poids de la société, pour gagner sa légitimité suite à la révélation de ses secrets : l'impact social de son incarcération est très largement occulté. De même, les personnages secondaires sont caricaturaux et cabotins : si cela fonctionne dans un Kitano, c'est plus difficile ici. La bande de bras cassés imaginée par Imamura, du rustre charpentier campagnard au jeune se la jouant faux yakuza, en passant par un chasseur d’ovnis et la mère de Keiko un peu folle, est attachante... mais sans plus. La faute à un humour burlesque (danse de flamenco, appel des ovnis) qui n'est pas vraiment efficace. La palme revient à une séquence-clef du film, un combat entre la petite bande réunie autour de Yamashita et des membres d'une société de finance n'ayant rien à envier à des yakuzas. Cette séquence semble volontairement, soit surjouée, soit mal jouée par tous, n'a rien d'un hommage au film de yakuza et ressemble davantage à un raté. D'abord parce que les personnages extrêmement nombreux dans un intérieur clos rendent la scène brouillonne. Ensuite parce que ce genre de scène a été déjà vue mille fois dans un film nippon. Enfin, parce que la tension dramatique se situe dans un entre-deux désagréable, où les enjeux dramatiques ne sont pas désamorcés par l'humour, mais pas non plus au comble de leur intensité...


Cet entre-deux difficilement identifiable est parfaitement représenté par une bande-son peu mémorable, qui hésite elle-aussi à servir drame ou scènes plus cocasses. La comparaison avec un film de Kitano est inévitable, tant le ton général de « L'anguille » est difficile à cerner, fluctuant et apparaissant au final peu maîtrisé, au contraire de Sonatine, A scene at the sea ou Hana-bi, qui savent bien mieux mélanger les genres. « L'anguille » s'avère donc assez inabouti et inachevé, ce qui pour un film de 1h50, fait tache, et n'est clairement pas le ténor de la filmographie de son réalisateur. Heureusement, la mise en scène, classique mais superbe, rattrape l'ensemble, de même qu'un personnage principal vraiment intéressant, et c'est un euphémisme, bien qu'il reste mystérieux suite aux idées sous-exploitées vues supra. « L'anguille » nous gratifie qui plus est de quelques superbes messages (« Cette nuit-là, je suis mort avec elle »). L'acteur Koji Yakusho retranscrit bien la détresse de son personnage, mais le manque de gros plans sur son visage en décevra beaucoup. Ce rôle tout en retenue demeure néanmoins efficace et confine au rôle quasi-muet, sacré défi pour un film sorti en 1997.


« L'anguille », malheureusement, représente bien les flottements du film de Imamura. Le ton ambigu, qui hésite en permanence entre drame et légèreté et se perd dans des thèmes sous-exploités et des personnages secondaires peu originaux, ressemble à une anguille qui se faufile entre les rochers. Ni vraiment drôle, ni totalement romantique, ni pleinement philosophique, « L'anguille » déçoit, malgré une grande richesse symbolique et référentielle, et un récit basé sur le poids des non-dits et de l'implicite.

 

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